Par un arrêt en date du 27 avril 2001, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé les éléments constitutifs de la base d’imposition à la taxe sur la valeur ajoutée dans le cadre d’une opération d’échange. En l’espèce, une société spécialisée dans la vente par correspondance remettait des primes en nature, telles que des livres ou des bicyclettes, à ses clients qui lui présentaient de nouveaux adhérents. La société achetait ces primes auprès de fournisseurs tiers et assumait elle-même les frais liés à leur expédition aux clients ayant agi comme intermédiaires. L’administration fiscale allemande a considéré que ces livraisons de primes constituaient des opérations assimilables à un échange et a inclus dans la base d’imposition à la TVA, outre le prix d’achat des primes, les frais d’expédition correspondants.
La société a contesté cette position, arguant que l’inclusion des frais d’expédition n’était pas conforme à la sixième directive 77/388/CEE. Après un rejet de son recours par le Finanzgericht Münster, elle a formé un pourvoi en « Revision » devant le Bundesfinanzhof. Cette juridiction, estimant que la jurisprudence antérieure de la Cour ne permettait pas de résoudre clairement le litige, a décidé de surseoir à statuer. Elle a saisi la Cour de justice d’une question préjudicielle visant à déterminer si la base d’imposition pour la livraison d’une prime en nature, constituant la contrepartie de la présentation d’un nouveau client, devait inclure, en plus de son prix d’achat, les frais d’expédition supportés par le fournisseur. La Cour répond par l’affirmative, jugeant qu’« en application de l’article 11, a, paragraphe 1, sous a), de la sixième directive […], la base d’imposition pour la livraison d’une prime en nature constituant la contrepartie de la présentation d’un nouveau client comprend, outre le prix d’achat de cette prime, également les frais d’expédition, lorsque ceux-ci sont pris en charge par celui qui livre la prime. »
La solution retenue par la Cour repose sur une interprétation extensive de la notion de contrepartie dans le cadre d’une opération d’échange (I), consolidant ainsi une conception large de l’assiette de la TVA qui emporte des conséquences pratiques notables (II).
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I. La consécration d’une acception extensive de la contrepartie dans les opérations d’échange
La Cour de justice fonde son raisonnement sur l’idée que la contrepartie d’une livraison de biens peut être une prestation de services dont la valeur doit être appréciée subjectivement (A), ce qui la conduit logiquement à y intégrer l’ensemble des frais exposés pour sa réalisation, y compris les frais accessoires (B).
A. La prestation de services comme contrepartie subjective de la livraison de biens
Dans cette affaire, la Cour réaffirme sa jurisprudence constante selon laquelle la contrepartie d’une livraison de biens, au sens de l’article 11, A, paragraphe 1, sous a), de la sixième directive, n’est pas nécessairement monétaire. Elle peut parfaitement consister en une prestation de services, à la double condition qu’il existe un lien direct entre la livraison et le service, et que la valeur de ce dernier puisse être exprimée en argent. En l’occurrence, la présentation d’un nouveau client par un client existant constitue bien la prestation de services qui est directement rémunérée par la livraison de la prime en nature.
La Cour rappelle ensuite que la valeur de cette contrepartie est une « valeur subjective », par opposition à une valeur estimée selon des critères objectifs. Cette valeur est celle que le bénéficiaire de la prestation de services, c’est-à-dire l’entreprise, attribue aux services qu’il entend se procurer. Comme le souligne la Cour au point 23, cette valeur « correspond à la somme qu’il est disposé à dépenser à cette fin ». Ainsi, la base d’imposition ne se détermine pas par la valeur de marché du service rendu, mais bien par le coût que le fournisseur a effectivement supporté pour obtenir ce service. C’est cette approche subjective qui justifie l’analyse subséquente des différents postes de dépenses.
B. L’intégration des frais accessoires dans la valeur de la contrepartie
Une fois le principe de la valeur subjective de la contrepartie posé, la question centrale devient celle de la délimitation des dépenses à prendre en compte. La Cour établit que l’expédition de la prime n’est pas une prestation autonome mais une prestation accessoire à la livraison principale. Pour ce faire, elle mobilise le critère selon lequel « une prestation doit être considérée comme accessoire à une prestation principale lorsqu’elle ne constitue pas pour la clientèle une fin en soi, mais le moyen de bénéficier dans les meilleures conditions du service principal du prestataire » (point 20). En effet, le client parrainant un nouveau membre a droit non seulement à la prime, mais aussi à sa réception à son domicile, formant ainsi une opération unique.
Dès lors, la contrepartie que constitue le service de présentation ne rémunère pas seulement la livraison du bien, mais l’ensemble de l’opération unique incluant son expédition. En application logique du principe de la valeur subjective, la Cour conclut que la valeur du service rendu correspond à la totalité des dépenses engagées par le fournisseur pour l’obtenir. Au point 24, elle énonce que « font partie de la valeur de la prestation de services toutes les dépenses supportées par le bénéficiaire pour l’obtention de la prestation en question, y compris les frais des prestations accessoires qui sont liées à la livraison des biens ». Par conséquent, puisque l’entreprise a supporté non seulement le prix d’achat de la prime mais aussi les frais d’envoi, ces derniers doivent nécessairement être inclus dans l’assiette de la TVA.
II. La consolidation d’une conception large de l’assiette de la TVA
En intégrant les frais d’expédition dans la base d’imposition, la Cour de justice confirme sa jurisprudence antérieure relative à la détermination de la contrepartie (A), tout en précisant la portée de cette solution pour les opérations promotionnelles impliquant des livraisons en nature (B).
A. Une solution s’inscrivant dans la continuité de la jurisprudence antérieure
La décision commentée ne constitue pas un revirement de jurisprudence, mais plutôt une clarification et une confirmation de sa ligne interprétative. La Cour se réfère explicitement aux arrêts *Naturally Yours Cosmetics* (230/87) et *Empire Stores* (C-33/93), qui avaient déjà établi que la base d’imposition dans une opération d’échange correspond à la valeur subjective de la contrepartie. L’apport principal de l’arrêt est d’appliquer ce principe de manière rigoureuse à la question spécifique des frais accessoires, qui n’avait pas été explicitement tranchée auparavant.
En procédant de la sorte, la Cour assure la cohérence du système commun de la TVA. Elle évite une fragmentation artificielle de la base d’imposition qui pourrait résulter d’une exclusion des frais accessoires. La solution renforce le principe selon lequel la TVA doit frapper la totalité de la valeur que le fournisseur a effectivement consacrée à la réalisation d’une opération imposable. Cette approche garantit une application uniforme de la taxe et prévient les distorsions de concurrence qui pourraient naître si les entreprises pouvaient minorer leur base imposable en isolant certains coûts liés à une même transaction.
B. La portée de la décision sur les opérations promotionnelles
Au-delà de sa logique juridique, cet arrêt revêt une portée pratique considérable pour les entreprises recourant à des schémas promotionnels similaires. Il établit clairement que l’assiette de la TVA doit refléter la réalité économique de la transaction dans son intégralité. En incluant les frais d’expédition, la Cour neutralise toute tentative de réduire artificiellement la charge fiscale en présentant certains coûts comme étant distincts de la contrepartie principale, alors qu’ils sont indissociables de l’opération du point de vue du bénéficiaire.
Cette solution préserve le principe de neutralité de la TVA. Si les frais d’expédition n’avaient pas été inclus, l’opération aurait été moins taxée que si le client intermédiaire avait reçu une somme d’argent équivalente au coût total (prime et envoi) et avait ensuite acheté lui-même le bien et payé sa livraison. En définitive, la décision garantit que la charge fiscale finale demeure la même, que la contrepartie soit payée en nature ou en numéraire. Elle confirme ainsi que l’assiette imposable doit englober tout ce que le fournisseur a sacrifié pour obtenir la contrepartie de sa livraison, assurant ainsi une perception juste et complète de l’impôt.