Arrêt de la Cour (sixième chambre) du 3 mai 2001. – The Queen contre Minister of Agriculture, Fisheries and Food et Secretary of State for the Environment, ex parte Monsanto plc, en présence de I Pi Ci SpA. – Demande de décision préjudicielle: High Court of Justice (England & Wales), Queen’s Bench Division (Divisional Court) – Royaume-Uni. – Directive 91/414/CEE – Produits phytopharmaceutiques – Autorisation de mise sur le marché – Examen d’une demande d’autorisation – Période transitoire. – Affaire C-306/98.

Par un arrêt rendu sur renvoi préjudiciel, la Cour de justice des Communautés européennes a clarifié l’articulation des régimes d’autorisation de mise sur le marché pour les produits phytopharmaceutiques durant la période transitoire établie par la directive 91/414. En l’espèce, une société titulaire de l’autorisation initiale pour un produit phytopharmaceutique contenant une substance active non encore inscrite au niveau communautaire a contesté la pratique d’un État membre consistant à octroyer des autorisations pour des produits génériques sans exiger la fourniture de données scientifiques et techniques actualisées. La protection des données initialement fournies par cette société pionnière était arrivée à expiration, permettant aux fabricants de produits génériques de s’y référer pour leurs propres demandes d’autorisation de mise sur le marché.

Saisie d’un recours par la société à l’origine du produit, une juridiction nationale s’est interrogée sur l’interprétation des dispositions transitoires de la directive. La société requérante soutenait que l’article 8, paragraphe 3, de la directive imposait à l’État membre d’évaluer toute nouvelle demande d’autorisation, y compris pour un produit générique, au regard des exigences de sécurité et d’efficacité détaillées à l’article 4, paragraphe 1, de ladite directive. À l’inverse, les autorités nationales considéraient que cette obligation ne visait que le « réexamen » d’une autorisation déjà existante et non la délivrance d’une première autorisation pour un produit générique, cette dernière relevant des règles nationales maintenues en vigueur par l’article 8, paragraphe 2.

La question de droit soumise à la Cour était donc de déterminer si l’octroi d’une première autorisation de mise sur le marché pour un produit phytopharmaceutique générique, contenant une substance active déjà commercialisée mais non encore inscrite à l’annexe I, devait être soumis aux exigences de l’article 4 de la directive 91/414, en application de son article 8, paragraphe 3.

La Cour de justice a répondu par la négative, jugeant que « l’article 8, paragraphe 3, de la directive 91/414 […] ne s’applique pas lorsqu’un État membre est saisi, en application de l’article 8, paragraphe 2, de la même directive, d’une demande de première autorisation de mise sur le marché d’un produit phytopharmaceutique générique ». Par conséquent, l’État membre n’est pas tenu d’examiner une telle demande à l’aune des critères stricts prévus à l’article 4. La Cour a ainsi consacré une lecture restrictive du champ d’application de la procédure de réexamen (I), ce qui a pour effet de préserver un régime transitoire autonome pour les produits génériques (II).

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**I. Une interprétation stricte de la notion de réexamen**

La solution retenue par la Cour de justice repose sur une analyse littérale des termes de la directive, distinguant clairement le processus d’autorisation initiale de celui du réexamen d’un produit (A), une approche confirmée par une lecture comparative et fonctionnelle de la disposition litigieuse (B).

**A. La dissociation conceptuelle entre l’autorisation initiale et le réexamen**

La Cour opère une distinction fondamentale entre la procédure d’octroi d’une nouvelle autorisation de mise sur le marché et celle du réexamen d’un produit déjà autorisé. Elle souligne que l’article 8, paragraphe 3, de la directive ne s’applique que lorsque les États membres « procèdent au réexamen de produits phytopharmaceutiques ». Or, selon les juges, « un tel réexamen présuppose que le produit phytopharmaceutique a déjà fait l’objet d’une autorisation de mise sur le marché ». Une demande d’autorisation pour un produit générique, même s’il contient une substance active connue, constitue juridiquement une demande de *première* autorisation pour ce produit spécifique et non le réexamen d’une autorisation préexistante.

Dès lors, la Cour conclut logiquement qu’à l’occasion d’une telle demande, « il ne saurait être question de procéder au réexamen du produit phytopharmaceutique en cause au sens de l’article 8, paragraphe 3, de la directive 91/414 ». Cette lecture écarte l’argument selon lequel l’évaluation d’un produit générique équivaudrait matériellement à un réexamen de la substance active qu’il contient. La Cour s’en tient à la nature juridique de l’acte : l’octroi d’une autorisation nouvelle est une procédure distincte du contrôle d’une autorisation en vigueur.

**B. La confirmation par l’analyse textuelle et téléologique**

La Cour de justice renforce son raisonnement en se penchant sur l’incise « avant que ce réexamen ait lieu », présente à l’article 8, paragraphe 3. Elle rejette l’interprétation selon laquelle cette expression viserait toute situation précédant un réexamen potentiel, y compris une demande d’autorisation. Au contraire, la Cour estime que cette formule établit un lien fonctionnel : c’est « à l’aune des exigences prévues à l’article 4, paragraphe 1, sous b), i) à v), et sous c) à f) […] que les États membres décident de procéder au réexamen de produits phytopharmaceutiques ». Autrement dit, le respect de ces critères n’est pas une condition de l’autorisation d’un produit générique, mais un standard permettant de déclencher le réexamen d’un produit déjà sur le marché.

Cette interprétation est consolidée par une analyse des différentes versions linguistiques de la directive, qui pour la plupart confortent l’idée d’un lien nécessaire entre l’évaluation au regard de l’article 4 et la décision même de réexaminer un produit. En dissociant ainsi les procédures, la Cour assure la cohérence du régime transitoire, dont l’objectif était précisément de permettre une évaluation graduelle des substances actives existantes sans paralyser le marché.

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**II. La consécration de l’autonomie du régime transitoire national**

En limitant le champ d’application de l’article 8, paragraphe 3, la Cour de justice confirme la persistance d’un système national pour l’autorisation des produits génériques durant la phase transitoire (A), assurant ainsi une sécurité juridique au marché tout en reportant l’application du niveau de protection le plus élevé (B).

**A. La primauté des règles nationales antérieures pour les produits génériques**

L’arrêt a pour conséquence directe de valider la pratique des États membres consistant à appliquer leurs propres règles nationales pour l’autorisation de produits phytopharmaceutiques génériques. La Cour précise qu’une telle demande relève en réalité de l’article 13, paragraphe 6, de la directive. Cette disposition autorise explicitement les États membres à « continuer, dans le respect des dispositions du traité, d’appliquer les règles nationales antérieures concernant les exigences en matière d’informations tant que ces substances ne seront pas inscrites à l’annexe I ».

Cette solution consacre donc un régime à deux vitesses durant la longue période transitoire de douze ans. D’une part, les nouvelles substances actives et les produits innovants sont soumis aux exigences harmonisées rigoureuses de la directive. D’autre part, les produits contenant des substances actives déjà sur le marché avant l’échéance de deux ans suivant la notification de la directive restent régis par les systèmes nationaux préexistants. La Cour reconnaît ainsi que le législateur communautaire a volontairement ménagé une transition progressive, acceptant temporairement une hétérogénéité des niveaux d’exigences pour ne pas perturber excessivement les marchés nationaux.

**B. La portée de la solution : une clarification pragmatique pour le marché**

La décision de la Cour de justice, bien que rendue dans une affaire spécifique, revêt une portée générale significative pour l’ensemble du secteur phytopharmaceutique. Elle offre une clarification essentielle en validant une approche pragmatique de la gestion de la période transitoire. En effet, une interprétation contraire aurait imposé aux autorités nationales et aux fabricants de génériques une charge administrative et financière considérable, en exigeant une mise à jour complète des dossiers pour chaque nouvelle autorisation « me-too ». Cela aurait pu compromettre l’objectif même des mesures transitoires, qui était d’assurer un examen progressif des substances existantes par la Commission sans créer de vide juridique ou de blocage du marché.

Toutefois, cette solution n’est pas sans contrepartie. En permettant que de nouvelles autorisations soient fondées sur des données anciennes, elle diffère l’application du principe de précaution et de l’objectif d’un « niveau élevé de protection », pourtant affirmé par la directive. Ce n’est qu’au terme du programme de réexamen communautaire des substances actives que le marché sera pleinement harmonisé et que tous les produits, y compris les génériques, devront satisfaire aux mêmes exigences scientifiques actualisées. L’arrêt illustre ainsi la tension inhérente au droit de l’Union entre l’harmonisation complète et la nécessité d’aménager des transitions économiquement et administrativement viables.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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