Par un arrêt du 16 décembre 1997, la Cour de justice des Communautés européennes, saisie d’un renvoi préjudiciel par la cour d’appel de Douai, a apporté des précisions essentielles sur l’interprétation des règlements d’exemption par catégorie applicables à la distribution automobile. En l’espèce, deux concessionnaires automobiles exclusifs avaient engagé une action en concurrence déloyale à l’encontre d’un vendeur indépendant qui commercialisait des véhicules neufs des mêmes marques sans appartenir à leurs réseaux de distribution. Le tribunal de commerce de Douai avait rejeté leur demande, considérant que leurs contrats de concession n’étaient pas conformes au règlement communautaire d’exemption et, par conséquent, inopposables au tiers. Saisie en appel, la juridiction de renvoi a interrogé la Cour sur la compatibilité de plusieurs clauses contractuelles avec les règlements (CEE) n° 123/85 et (CE) n° 1475/95. Les clauses en question concernaient, d’une part, la simple mention de « justifications objectives » sans plus de précision pour déroger à une obligation de non-concurrence, d’autre part, l’interdiction pour le concessionnaire de vendre des véhicules d’autres marques y compris dans des locaux commerciaux distincts, et enfin, la fixation d’objectifs de vente par le constructeur assortie de sanctions. La question de droit posée à la Cour était donc de déterminer si de telles clauses faisaient obstacle au bénéfice de l’exemption par catégorie et, dans la négative, si les contrats concernés tombaient sous le coup de l’interdiction de l’article 85, paragraphe 1, du traité CE. La Cour a jugé que si une clause se bornant à mentionner l’existence de justifications objectives ne prive pas le contrat du bénéfice de l’exemption, une interdiction de vendre des véhicules d’autres marques dans des locaux distincts est en revanche incompatible avec les règlements. Elle a également encadré la validité des clauses d’objectifs de vente et a rappelé qu’un contrat non exempté doit faire l’objet d’une analyse individuelle au regard des critères de l’article 85, paragraphe 1.
L’analyse de la Cour clarifie ainsi le périmètre des clauses admissibles dans les contrats de distribution automobile, en adoptant une interprétation stricte des conditions de l’exemption (I), tout en rappelant les conséquences d’une non-conformité à ces dernières (II).
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I. Une interprétation stricte des conditions d’exemption par catégorie
La Cour de justice opère une distinction nette entre les clauses qui, bien qu’imprécises, respectent l’esprit du règlement (A) et celles qui, par leur portée, contreviennent manifestement à l’équilibre recherché par le législateur communautaire (B).
A. La validation d’une clause de non-concurrence souple
La première question portait sur la validité d’une clause contractuelle qui, pour permettre aux parties de se libérer de leurs obligations de non-concurrence, se contentait de renvoyer à l’existence de « justifications objectives », sans en détailler la nature. La Cour considère qu’une telle stipulation est conforme au règlement n° 123/85. Elle juge que l’article 5, paragraphe 2, point 1, du règlement « se limitent à poser le principe selon lequel les parties doivent prévoir dans leur contrat la possibilité de se libérer de l’obligation de non-concurrence par la preuve de telles justifications objectives, sans pour autant exiger que le contrat contienne une liste exhaustive des justifications susceptibles d’être invoquées ». Cette approche pragmatique évite un formalisme excessif qui aurait contraint les contractants à anticiper de manière exhaustive toutes les situations pouvant justifier une dérogation à l’exclusivité. En se focalisant sur le principe de la possibilité d’une dérogation plutôt que sur son inventaire, la Cour préserve une certaine souplesse contractuelle. La solution garantit ainsi que l’objectif de la disposition, qui est d’introduire un correctif à la rigidité de l’obligation de non-concurrence, est atteint sans pour autant imposer une charge rédactionnelle déraisonnable aux parties.
B. La censure d’une exclusivité de marque absolue
À l’inverse, la Cour se montre beaucoup plus stricte s’agissant de la clause interdisant au distributeur de vendre des véhicules neufs de toute autre marque, même dans des locaux commerciaux distincts. Elle rappelle que les dispositions d’un règlement d’exemption, en tant que dérogations au principe de prohibition des ententes de l’article 85, paragraphe 1, « ne sauraient faire l’objet d’une interprétation extensive ». Or, l’article 3, point 3, du règlement n° 123/85 permet seulement d’interdire la vente de véhicules concurrents « dans des exploitations commerciales dans lesquelles sont offerts des produits contractuels ». Par conséquent, étendre cette interdiction à d’autres locaux, même s’ils sont gérés séparément, constitue une restriction de concurrence qui n’est pas couverte par l’exemption. La Cour précise que « la dérogation visée à l’article 3, point 3, du règlement ne couvre pas l’obligation éventuellement imposée au concessionnaire de ne pas vendre de véhicules neufs offerts par d’autres que le constructeur dans des locaux commerciaux autres que ceux dans lesquels sont offerts les produits contractuels ». Cette solution, qui s’applique tant au règlement n° 123/85 qu’au règlement n° 1475/95, protège la liberté commerciale du distributeur et favorise une certaine concurrence inter-marques, en empêchant les constructeurs d’imposer une exclusivité qui dépasse la seule protection de l’image de marque au sein du point de vente contractuel.
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II. Les conséquences d’une sortie du régime d’exemption
Après avoir défini les clauses incompatibles avec l’exemption, la Cour examine le sort des contrats qui les contiennent. Elle précise les conditions de validité des objectifs de vente (A) avant de renvoyer à une analyse individuelle au regard du droit commun de la concurrence (B).
A. L’encadrement de la fixation des objectifs de vente
La juridiction de renvoi s’interrogeait sur la conformité d’une clause fixant des objectifs de vente au concessionnaire et prévoyant des sanctions pouvant aller jusqu’à la résiliation du contrat en cas de non-réalisation. La Cour établit une distinction selon le règlement applicable. Sous l’empire du règlement n° 123/85, une telle clause bénéficie de l’exemption à la condition que l’objectif de vente constitue « l’expression d’une simple obligation de moyens ». L’engagement du concessionnaire est alors d’employer ses meilleurs efforts pour atteindre l’objectif, et non d’y parvenir impérativement. Le règlement n° 1475/95 durcit cette condition en y ajoutant une exigence procédurale : il faut en outre que la fixation de l’objectif « ait eu lieu d’un commun accord entre les parties ou, en cas de désaccord, par un tiers expert ». Cette évolution témoigne d’une volonté de rééquilibrer la relation contractuelle en protégeant le concessionnaire contre la fixation unilatérale et potentiellement abusive d’objectifs par le constructeur. En sanctionnant le défaut d’accord, la Cour garantit que les objectifs de vente demeurent un outil de stimulation commerciale et non un instrument de pression excessive sur le distributeur.
B. Le renvoi nécessaire à l’analyse concurrentielle individuelle
Enfin, la Cour rappelle que le fait qu’un contrat ne remplisse pas les conditions d’un règlement d’exemption par catégorie n’entraîne pas sa nullité automatique. Il cesse simplement de bénéficier de la présomption de validité. Il appartient alors à la juridiction nationale de procéder à une analyse au cas par cas. Elle doit vérifier si les clauses litigieuses, ou l’accord dans son ensemble, « ont pour objet ou pour effet de restreindre de manière sensible la concurrence à l’intérieur du marché commun et si elles sont de nature à affecter le commerce entre les États membres ». Pour ce faire, le juge national doit tenir compte du « contexte économique et juridique », ce qui inclut l’existence d’un réseau de contrats similaires pouvant avoir un effet cumulatif sur le marché. Si une ou plusieurs clauses s’avèrent contraires à l’article 85, paragraphe 1, leurs conséquences sur le reste du contrat ne relèvent pas du droit communautaire mais du droit national applicable. Cette solution réaffirme la fonction de l’exemption par catégorie comme un « havre de sécurité » et confirme le rôle central du juge national dans l’appréciation concrète des effets anticoncurrentiels d’un accord, ainsi que dans la détermination des suites de sa nullité partielle.