Par un arrêt en date du 22 mai 2003, la Cour de justice des Communautés européennes a annulé une décision de la Commission relative à la répartition de fonds structurels. Cette décision intervient dans un contexte de gestion des initiatives communautaires, instruments financiers visant à renforcer la cohésion économique et sociale au sein de la Communauté. La Commission avait procédé à une modification des répartitions indicatives de crédits afin de financer un programme spécial en faveur de la paix en Irlande du Nord, affectant par cette redistribution les montants initialement alloués à plusieurs États membres, dont la République italienne.
Saisie d’un recours en annulation par cet État membre, la Cour a été confrontée à des questions de nature tant procédurale que substantielle. En cours d’instance, l’Irlande et le Royaume-Uni sont intervenus au soutien de la Commission. L’un des intervenants a soulevé une exception d’irrecevabilité du recours, arguant de sa tardiveté et de la nature de l’acte attaqué, alors même que la Commission, partie défenderesse, s’était abstenue de le faire. Sur le fond, la République italienne soutenait que la décision litigieuse était inexistante ou, à tout le moins, nulle pour violation des formes substantielles, n’ayant pas fait l’objet d’une authentification conforme au règlement intérieur de la Commission.
Il revenait donc à la Cour de justice de déterminer, d’une part, si une partie intervenante est recevable à soulever une exception d’irrecevabilité non invoquée par la partie qu’elle soutient. D’autre part, il lui incombait de statuer sur les conséquences d’un défaut d’authentification d’une décision de la Commission sur la validité de cet acte. En réponse, la Cour a jugé que l’intervenant n’avait pas qualité pour soulever une telle exception, puis a prononcé l’annulation de la décision pour violation des formes substantielles. L’analyse de cet arrêt révèle ainsi une application rigoureuse des règles de procédure encadrant l’intervention (I), qui laisse place à une réaffirmation de l’exigence de sécurité juridique dans l’édiction des actes communautaires (II).
I. Le cadre procédural strict de l’intervention
La Cour de justice, avant d’examiner le fond du litige, a précisé les limites du rôle de la partie intervenante. Elle a ainsi jugé irrecevable l’exception soulevée par l’un des États membres intervenus (A), confirmant par là une jurisprudence bien établie qui consacre le caractère accessoire de l’intervention (B).
A. L’irrecevabilité de l’exception soulevée par la partie intervenante
La Cour écarte l’exception d’irrecevabilité soulevée par l’Irlande au motif que la Commission, partie défenderesse, n’en avait pas elle-même soulevé. Le raisonnement de la Cour est fondé sur une lecture combinée de l’article 37 du statut de la Cour de justice et de l’article 93 de son règlement de procédure. Il en ressort qu’une partie intervenante ne peut avoir d’autre objectif que de soutenir les conclusions de l’une des parties et doit accepter le litige dans l’état où il se trouve au moment de son intervention. Ainsi, l’intervenant ne dispose pas d’une autonomie procédurale lui permettant d’altérer l’objet du litige ou les moyens de défense choisis par la partie principale. La Cour affirme de manière péremptoire qu’« une partie intervenante n’a pas qualité pour soulever une exception d’irrecevabilité et qu’il n’y a pas lieu que la Cour statue sur une telle exception ». Cette solution vise à préserver l’équilibre processuel et à éviter que l’intervention ne devienne un moyen de contourner la stratégie procédurale de la partie soutenue.
B. La confirmation du caractère accessoire de l’intervention
En déclarant l’exception irrecevable, la Cour ne fait que réitérer une solution constante de sa jurisprudence. Elle avait déjà jugé, notamment dans les arrêts *Matra c. Commission* et *CIRFS e.a. c. Commission*, que les conclusions de l’intervenant ne peuvent aller au-delà de celles présentées par la partie qu’il soutient. Cette décision renforce la conception selon laquelle l’intervention est une voie de droit accessoire, destinée à permettre à des tiers justifiant d’un intérêt à la solution du litige de faire valoir leur point de vue, sans pour autant devenir des parties principales. La portée de cet arrêt est donc avant tout pédagogique : il rappelle aux États membres et aux institutions que le cadre de l’intervention est étroitement délimité. L’intervenant ne peut ni élargir l’objet du litige, ni soulever des moyens que la partie principale a délibérément choisi de ne pas invoquer. La Cour garantit ainsi que le débat judiciaire reste centré sur les prétentions des parties originaires au litige.
II. La sanction de la violation d’une forme substantielle
Après avoir réglé la question procédurale, la Cour examine le moyen tiré du défaut d’authentification de la décision. Elle caractérise ce vice comme une violation des formes substantielles (A), dont la sanction d’annulation réaffirme l’importance attachée au principe de sécurité juridique (B).
A. La caractérisation du défaut d’authentification
La requérante faisait valoir que la décision attaquée n’avait pas été authentifiée conformément à l’article 16 du règlement intérieur de la Commission. Cette disposition exige que les actes adoptés en réunion soient joints de façon indissociable au procès-verbal et authentifiés par les signatures du président et du secrétaire général. En l’espèce, la Cour constate que le tableau contenant la nouvelle répartition des crédits n’était ni joint au procès-verbal de la réunion, ni signé. Se fondant sur sa jurisprudence antérieure, notamment l’arrêt *Commission c. ICI*, elle juge que ce manquement constitue en lui-même une violation d’une forme substantielle. Elle précise que « la violation d’une forme substantielle est constituée par le seul défaut d’authentification d’un acte, sans qu’il soit nécessaire d’établir, en outre, que l’acte est affecté d’un autre vice ou que l’absence d’authentification a causé un préjudice à celui qui l’invoque ». La solution est donc particulièrement nette : le simple constat objectif du vice de forme suffit à entraîner l’illégalité de l’acte, sans que le requérant ait à démontrer un quelconque grief.
B. La portée du principe de sécurité juridique
En annulant la décision pour ce seul motif, la Cour confère une portée significative aux règles de procédure interne d’une institution. Si elle écarte la qualification d’acte inexistant, qu’elle réserve aux vices d’une gravité exceptionnelle, elle estime que l’authentification n’est pas une simple formalité mais une garantie fondamentale pour les justiciables. Elle souligne qu’il est indispensable que l’authentification de l’acte précède sa notification, car « à défaut de quoi il existerait toujours un risque que le texte notifié ne soit pas identique au texte adopté par la Commission ». Cette exigence assure la certitude quant au contenu de l’acte et garantit que la volonté de l’institution a été fidèlement retranscrite. La décision commentée s’inscrit donc dans une lignée jurisprudentielle qui fait de la sécurité juridique et du respect du principe de légalité des piliers de l’ordre juridique communautaire. Elle rappelle aux institutions qu’elles sont tenues par les règles qu’elles s’imposent, lesquelles constituent une protection pour les États membres et les particuliers.