Arrêt de la Cour (sixième chambre) du 4 mai 1988. – Fernand Watgen contre Caisse de pension des employés privés. – Demande de décision préjudicielle: Conseil supérieur des assurances sociales – Grand-Duché de Luxembourg. – Transfert des droits à pension. – Affaire 64/85.

Par un arrêt rendu sur renvoi préjudiciel le 9 mars 1988, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé les modalités de transfert des droits à pension nationaux vers le régime communautaire. En l’espèce, un fonctionnaire du Parlement européen avait, antérieurement à sa titularisation, acquis des droits à pension auprès d’un régime de sécurité sociale luxembourgeois. Souhaitant faire usage de la faculté prévue par le statut des fonctionnaires, il a sollicité le transfert de l’équivalent actuariel de ses droits. L’organisme national a rejeté cette demande, n’autorisant que le transfert d’un forfait de rachat, correspondant aux cotisations versées majorées d’intérêts, seule modalité prévue par la législation nationale pour un transfert vers le régime d’un organisme international.

Le fonctionnaire a contesté cette décision devant les juridictions sociales luxembourgeoises. Après un premier jugement défavorable, la juridiction d’appel, le Conseil supérieur des assurances sociales, a sursis à statuer. Elle a saisi la Cour de justice de plusieurs questions préjudicielles visant à déterminer la portée de l’article 11, alinéa 2, de l’annexe VIII du statut. Il s’agissait ainsi de savoir si cette disposition confère au fonctionnaire un droit de choisir entre le transfert de l’équivalent actuariel et celui du forfait de rachat, y compris lorsque le droit national de l’État membre concerné ne prévoit pas l’une de ces modalités. La Cour de justice répond par la négative, en subordonnant l’exercice de cette option à l’existence d’une telle possibilité dans le droit interne. Elle énonce que les fonctionnaires « ne jouissent de la faculté de demander le transfert de l’équivalent actuariel des droits acquis dans le régime national, tel que prévu par cette disposition, que dans les cas où cette possibilité existe dans le droit interne auquel est soumis l’organisme national de sécurité sociale ». Cette solution, qui clarifie l’articulation entre le droit statutaire européen et les législations nationales en matière de sécurité sociale (I), emporte des conséquences significatives pour la portabilité des droits des fonctionnaires (II).

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I. La subordination du choix statutaire aux prévisions du droit national

La Cour de justice adopte une lecture restrictive de l’article 11, alinéa 2, de l’annexe VIII du statut, en refusant de lui reconnaître un effet créateur de droit autonome (A). Cette interprétation confirme la compétence des États membres dans l’organisation de leurs régimes de sécurité sociale et évite de leur imposer des obligations non prévues par les traités (B).

A. Une interprétation littérale de la faculté de transfert

L’analyse de la Cour se fonde sur la finalité de la disposition statutaire. Elle juge que « l’objectif de l’article 11, alinéa 2, de l’annexe VIII du statut n’étant que de garantir le passage d’un système d’assurance national au système communautaire », ce texte ne saurait contraindre les États membres à offrir un choix que leur propre législation ignore. Le terme « faculté » accordée au fonctionnaire doit donc s’entendre non comme un droit absolu et inconditionnel, mais comme la possibilité de déclencher une procédure de transfert si, et seulement si, les mécanismes nationaux le permettent.

La Cour distingue ainsi l’existence d’une option dans le texte statutaire de ses conditions d’exercice, lesquelles demeurent régies par le droit national. Le statut européen se contente de coordonner les systèmes, en prévoyant l’accueil de droits acquis dans un autre régime, sans pour autant harmoniser les modalités de calcul et de transfert de ces droits. En l’absence d’une volonté claire du législateur communautaire de créer une obligation uniforme, la Cour refuse de donner à la disposition une portée qui excéderait son objectif de simple coordination.

B. Le refus d’imposer une nouvelle obligation aux États membres

En conditionnant le transfert de l’équivalent actuariel à son existence en droit interne, la Cour respecte la souveraineté des États membres en matière de sécurité sociale. Imposer à un État membre la création d’une modalité de transfert spécifique, potentiellement complexe et coûteuse pour l’équilibre de son régime de pension, aurait constitué une ingérence significative dans un domaine relevant de la compétence nationale. L’arrêt rappelle implicitement que le droit communautaire, même statutaire, ne peut s’interpréter comme imposant des charges nouvelles aux administrations nationales en dehors des cas expressément prévus.

Cette approche pragmatique permet d’éviter de perturber les logiques de financement propres à chaque régime national. La Cour souligne que la technique de l’équivalent actuariel doit être disponible pour les fonctionnaires européens uniquement « dans les cas où les dispositions nationales connaissent la technique de l’équivalent actuariel pour le transfert de droits à pension vers un autre régime national ». La solution retenue est donc une solution de cohérence : elle garantit une égalité de traitement entre un fonctionnaire se dirigeant vers le régime communautaire et une personne se dirigeant vers un autre régime national, sans créer de droit spécial au seul profit des premiers.

II. Une portée limitée de la portabilité des droits à pension acquis

La décision de la Cour, si elle est juridiquement fondée, n’en limite pas moins la portabilité des droits à pension pour les fonctionnaires européens (A). Elle illustre ainsi la tension persistante entre la logique d’unification du statut de la fonction publique européenne et la diversité des systèmes nationaux de sécurité sociale (B).

A. Les conséquences pratiques pour les fonctionnaires européens

Concrètement, la solution consacre une inégalité de traitement entre les fonctionnaires européens selon l’État membre dans lequel ils ont acquis leurs droits antérieurs. Un fonctionnaire ayant travaillé dans un État dont la législation prévoit le transfert de l’équivalent actuariel pourra consolider ses droits de manière plus avantageuse qu’un fonctionnaire provenant d’un État ne prévoyant que le forfait de rachat, méthode de calcul souvent moins favorable. La portabilité des droits, pourtant essentielle à la mobilité professionnelle encouragée par la construction européenne, se trouve ainsi directement dépendante des particularismes nationaux.

Cette situation peut constituer un frein à l’attractivité de la fonction publique européenne pour des personnes issues de certains États membres. Le fonctionnaire au principal se voit privé d’une valorisation de sa carrière antérieure, le forfait de rachat ne représentant qu’une fraction de la valeur de ses droits à pension accumulés. La décision de la Cour, en validant cette situation, entérine une fragmentation des droits sociaux au sein même de la fonction publique européenne, au détriment d’une approche unifiée.

B. L’articulation entre droit statutaire et systèmes nationaux de sécurité sociale

Cet arrêt met en lumière la difficulté d’articuler le droit de la fonction publique européenne, qui tend vers l’uniformité, et le droit de la sécurité sociale, qui reste un bastion des compétences nationales. La Cour de justice agit ici comme un régulateur, cherchant un équilibre entre l’efficacité du droit communautaire et le respect des prérogatives étatiques. La solution n’est pas une fin en soi mais le reflet d’un état du droit où l’harmonisation des systèmes de sécurité sociale n’est pas achevée.

En définitive, bien que rendue dans une affaire d’espèce, la décision a la portée d’un arrêt de principe quant à l’interprétation de la relation entre le statut et les droits nationaux. Elle confirme que, en l’absence de disposition communautaire explicite imposant une harmonisation, la coordination reste la règle. L’évolution vers une plus grande portabilité des droits à pension des fonctionnaires européens ne pourra donc provenir que d’une modification du statut lui-même, ou d’une convergence progressive des législations nationales en matière de transfert de droits à pension.

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