Arrêt de la Cour (sixième chambre) du 5 octobre 1999. – Azienda Agricola « Le Canne » Srl contre Commission des Communautés européennes. – Pourvoi – Aquaculture – Règlements (CEE) nºs 4028/86 et 1116/88 – Concours financier communautaire – Réduction de l’aide. – Affaire C-10/98 P.

Par un arrêt en date du 27 septembre 1999, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé les conditions de modification d’un concours financier octroyé dans le secteur de la pêche et de l’aquaculture. En l’espèce, une société avait bénéficié d’un concours financier communautaire pour la modernisation de ses installations piscicoles, au titre du règlement n° 4028/86. Après avoir réalisé des modifications substantielles du projet initial sans en notifier au préalable les autorités nationales et communautaires compétentes, la société bénéficiaire s’est vu notifier une diminution du montant final de l’aide. Cette diminution résultait de la décision de l’administration nationale, confirmée par la Commission, de considérer une partie des dépenses engagées comme inéligibles au financement.

Saisie d’un recours par la société, le Tribunal de première instance a rejeté ses prétentions par un arrêt du 7 novembre 1997. Les juges de première instance ont estimé que la décision de la Commission ne constituait pas une réduction du concours au sens de l’article 44 du règlement précité, mais une simple adaptation du montant final aux dépenses réellement éligibles. Par conséquent, le Tribunal a jugé que la Commission n’était pas tenue de suivre la procédure consultative formelle prévue par ce même article. La société a alors formé un pourvoi devant la Cour de justice, soutenant que toute diminution du montant initialement accordé constituait une décision de réduction soumise aux garanties procédurales y afférentes.

Le problème de droit soumis à la Cour consistait donc à déterminer si la décision de la Commission de ne pas prendre en compte certaines dépenses, entraînant une minoration du versement final du concours, devait être qualifiée de « réduction » au sens de l’article 44, paragraphe 1, du règlement n° 4028/86. Une telle qualification impliquait en effet l’obligation pour l’institution de respecter la procédure de consultation du comité permanent des structures de la pêche, ainsi que les droits de la défense du bénéficiaire prévus par la réglementation.

La Cour de justice censure l’analyse du Tribunal de première instance et annule son arrêt. Elle juge que l’acte de la Commission, en ce qu’il diminue le montant total de l’aide financière, doit bien être interprété comme une décision de réduction. Pour la Cour, le règlement « vise de manière claire à couvrir tous les actes de la Commission qui réduisent, en tout ou en partie, le montant du concours initialement octroyé lorsque l’une des conditions susmentionnées est remplie ». Dès lors, en s’abstenant de mettre en œuvre les procédures prévues aux articles 44 et 47 du règlement n° 4028/86 et à l’article 7 du règlement n° 1116/88, la Commission a violé des obligations substantielles.

I. La qualification extensive de la minoration du concours et l’application impérative des garanties procédurales

La Cour de justice adopte une lecture large de la notion de réduction du concours (A), ce qui déclenche de manière automatique l’application d’un formalisme procédural strict destiné à protéger le bénéficiaire de l’aide (B).

A. Une conception matérielle de la notion de « réduction » de concours

La Cour de justice s’oppose à l’interprétation restrictive retenue par le Tribunal de première instance, qui distinguait entre la simple constatation de l’inéligibilité de certaines dépenses et une décision formelle de réduction du concours. Pour les premiers juges, seule la seconde hypothèse, qui impliquait une réévaluation du projet dans son ensemble, aurait nécessité le respect de la procédure prévue à l’article 44 du règlement n° 4028/86. La Cour balaye cette distinction en se fondant sur une approche purement matérielle. Elle estime que ce qui définit l’acte de réduction est son effet, à savoir la diminution du montant financier alloué au bénéficiaire par rapport à la décision d’octroi initiale.

Ce faisant, la Cour affirme que la qualification de l’acte ne dépend pas de sa forme ou de sa motivation, mais de son résultat concret. Peu importe que la Commission justifie sa décision par le fait que « le projet n’est pas exécuté comme prévu ». Cette circonstance est précisément l’une des hypothèses visées par l’article 44 pour justifier une réduction. Par cette interprétation téléologique, la Cour garantit que la protection offerte par le texte ne puisse être contournée par un simple artifice de qualification. La Cour énonce ainsi que le pouvoir de la Commission de « suspendre, de réduire ou de supprimer le concours » doit s’entendre de manière large afin de « couvrir tous les actes de la Commission qui réduisent, en tout ou en partie, le montant du concours initialement octroyé ».

B. Le caractère obligatoire des garanties procédurales attachées à la réduction

La qualification de la décision litigieuse en une mesure de réduction emporte une conséquence juridique déterminante : l’obligation pour la Commission de respecter les garanties procédurales prévues par les textes. La Cour souligne le caractère non équivoque de cette obligation. L’article 44 du règlement n° 4028/86 « exige de manière explicite que, dans l’hypothèse où elle le fait, elle respecte la procédure prévue à l’article 47 du même règlement ». Cette procédure impose notamment la consultation du comité permanent des structures de la pêche. De plus, l’article 7 du règlement d’exécution n° 1116/88 prévoit que le bénéficiaire doit être mis en mesure de présenter ses observations avant qu’une telle décision ne soit prise.

En jugeant que la Commission ne pouvait se soustraire à ces obligations, la Cour réaffirme l’importance fondamentale du respect des droits de la défense et des formes procédurales substantielles dans le droit communautaire. Ces procédures ne sont pas de simples formalités ; elles constituent une garantie essentielle pour l’administré face à un acte de l’administration lui faisant grief. Elles permettent d’assurer un dialogue contradictoire et de soumettre la décision envisagée à l’examen d’un comité technique, offrant ainsi des garanties de transparence et de bien-fondé. La Cour rappelle ainsi que l’exercice par la Commission de ses prérogatives, même lorsqu’il est justifié sur le fond, demeure subordonné au respect des formes prescrites par le législateur communautaire.

II. La primauté du formalisme procédural sur les considérations d’opportunité administrative

En censurant la Commission, la Cour de justice réaffirme avec force la prééminence du principe de légalité sur les contraintes pratiques de l’administration (A), renforçant par là même la protection juridique des opérateurs économiques bénéficiant de fonds communautaires (B).

A. Le rejet de l’argument tiré des difficultés administratives

Devant la Cour, la Commission avait tenté de justifier son approche en invoquant les lourdeurs qu’entraînerait une application systématique de la procédure de l’article 44. Elle soutenait que devoir consulter le comité pour chaque ajustement technique des dépenses éligibles conduirait à un blocage des programmes de financement. Cet argument d’opportunité administrative est écarté sans ménagement par la Cour. Celle-ci énonce de manière péremptoire que « des difficultés d’ordre administratif ne peuvent constituer une base valable pour modifier les effets légaux » d’un règlement.

Cette affirmation constitue une manifestation classique du principe de la hiérarchie des normes et de la soumission de l’administration au droit. Elle rappelle que les institutions ne sauraient se prévaloir de leurs propres contraintes organisationnelles pour déroger aux règles de procédure édictées par le législateur. La valeur de cette solution est considérable, car elle empêche l’administration de s’ériger en juge de l’opportunité d’appliquer une norme, garantissant ainsi la prévisibilité et l’application uniforme du droit. La Cour privilégie ainsi la protection des garanties accordées aux administrés sur l’efficacité administrative, lorsque celle-ci est invoquée pour justifier une entorse à la légalité.

B. La consolidation de la sécurité juridique des bénéficiaires de fonds communautaires

La portée de cet arrêt dépasse le cas d’espèce et s’analyse comme un arrêt de principe en matière de gestion des aides structurelles. En imposant une procédure formelle pour toute modification défavorable au bénéficiaire, la Cour offre à ce dernier une sécurité juridique accrue. Les opérateurs économiques savent désormais que la Commission ne peut réduire unilatéralement une aide, même en cas de mauvaise exécution d’un projet, sans respecter au préalable une procédure contradictoire et transparente. Cette solution prévient les risques d’arbitraire et assure que toute décision de réduction soit prise sur la base d’un examen complet et équilibré des faits.

Enfin, en décidant, après avoir annulé l’arrêt du Tribunal, de statuer définitivement sur le litige en annulant elle-même l’acte de la Commission, la Cour fait une application notable de l’article 54 de son statut. Cette démarche, qui témoigne d’une bonne administration de la justice, permet de clore le litige sans renvoyer l’affaire devant une autre juridiction, offrant ainsi une solution rapide et définitive à la société requérante. La portée de l’arrêt est donc double : il renforce les garanties procédurales des bénéficiaires de concours communautaires et illustre la capacité de la Cour à assurer une protection juridictionnelle effective.

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