L’arrêt rendu par la Cour de justice des Communautés européennes dans l’affaire opposant la Commission à la Finlande offre un éclairage sur les exigences de la directive 79/409/CEE, dite « oiseaux ». Ce litige portait sur la mise en œuvre par un État membre de ses obligations de classement de territoires en zones de protection spéciale (ZPS) afin d’assurer la conservation d’espèces d’oiseaux sauvages. En l’espèce, les autorités finlandaises avaient communiqué à la Commission une liste de sites destinés à former le réseau de ZPS sur leur territoire, dans le cadre plus large du programme Natura 2000. Cependant, cette communication était assortie d’une réserve de taille : la décision administrative nationale désignant ces zones faisait l’objet de nombreux recours devant la plus haute juridiction administrative finlandaise. Par conséquent, l’État membre considérait que les sites contestés ne pouvaient être regardés comme définitivement intégrés au réseau européen tant que les litiges internes ne seraient pas tranchés.
Saisie d’un recours en manquement sur le fondement de l’article 226 du traité CE, la Cour de justice était amenée à se prononcer sur deux griefs principaux formulés par la Commission. D’une part, celle-ci soutenait que la transmission d’une liste de sites dont le statut juridique restait précaire en raison de procédures contentieuses nationales ne constituait pas une exécution valide de l’obligation de classement. D’autre part, elle arguait que la liste était, en tout état de cause, matériellement incomplète, au regard des données scientifiques disponibles, notamment un inventaire ornithologique de référence qui identifiait un nombre supérieur de zones importantes pour la conservation des oiseaux. Il revenait donc à la Cour de déterminer si un État membre satisfait à ses obligations en désignant des zones de protection spéciale de manière provisoire et scientifiquement lacunaire.
À cette question, la Cour de justice répond par une condamnation sans équivoque, estimant que la Finlande a manqué à ses obligations « en ne procédant pas au classement définitif et complet des zones de protection spéciale ». La solution retenue par la Cour permet de réaffirmer la nature et la portée de l’obligation de classement qui pèse sur les États membres, en insistant tant sur sa nécessaire effectivité juridique (I) que sur son indispensable complétude matérielle (II).
I. L’exigence d’un classement juridiquement effectif
La Cour de justice consacre, à travers sa décision, une conception stricte de l’obligation de classement, laquelle ne saurait se satisfaire de mesures préparatoires ou incertaines. Elle rejette ainsi l’argumentation de l’État membre en censurant le caractère virtuel de la désignation opérée (A), tout en rappelant l’indifférence du droit de l’Union aux aléas des procédures juridictionnelles nationales (B).
A. La censure d’une désignation purement virtuelle
La Cour écarte d’emblée la validité d’une classification dont les effets juridiques sont suspendus. Elle juge en effet qu’« un classement virtuel de sites en ZPS, tel que celui résultant de la décision du Conseil des ministres, modifiable en fonction du jugement des recours intentés à l’encontre de celle-ci, ne saurait être considéré comme constituant une exécution valable de l’obligation de classement ». Par cette formule, la juridiction européenne souligne que l’obligation découlant de l’article 4, paragraphes 1 et 2, de la directive est une obligation de résultat. Les États membres ne doivent pas seulement identifier les territoires les plus appropriés, mais leur conférer un statut de protection spécial qui soit immédiatement opposable et apte à produire ses effets conservatoires.
Une simple proposition, susceptible d’être remise en cause par une juridiction nationale, ne garantit nullement la protection requise pour les habitats des espèces concernées. De surcroît, la Cour relève que cette absence de statut définitif fait obstacle à l’exercice par la Commission de sa mission de coordination, prévue au paragraphe 3 du même article. La constitution d’un « réseau cohérent » à l’échelle de l’Union suppose en effet que chaque État membre fournisse une liste stable et fiable de ses contributions nationales. L’incertitude pesant sur les sites finlandais empêchait manifestement la Commission d’évaluer la cohérence globale du réseau Natura 2000 et, le cas échéant, de prendre les initiatives pour en combler les lacunes.
B. L’inopposabilité des procédures contentieuses nationales
En filigrane de cette solution se lit une réaffirmation du principe de primauté et d’effectivité du droit de l’Union. Le gouvernement finlandais arguait que la suspension des effets de sa décision de classement était une conséquence inhérente à son système juridique interne, qui autorise des recours contre de tels actes administratifs. Or, la jurisprudence constante de la Cour rappelle qu’un État membre ne saurait invoquer des dispositions, pratiques ou situations de son ordre juridique interne pour justifier le non-respect des obligations résultant du droit de l’Union. Le fait que des recours soient pendants devant le Korkein hallinto-oikeus était donc une circonstance de droit interne inopérante pour exonérer la Finlande de sa responsabilité.
La portée de cette partie de l’arrêt est significative. Elle rappelle aux États membres que l’obligation de transposition et de mise en œuvre des directives impose l’adoption de mesures non seulement conformes sur le fond, mais également dotées d’une force juridique contraignante et d’un caractère définitif. L’achèvement des procédures nationales, qu’elles soient administratives ou contentieuses, est un prérequis à la constatation d’une exécution correcte. L’obligation de classer des territoires en ZPS ne se limite donc pas à une intention politique ou à un acte administratif précaire ; elle exige une traduction juridique achevée et stable, seule à même de garantir la sécurité juridique et la protection environnementale visées par le législateur de l’Union.
II. L’appréciation de la complétude matérielle du classement
Au-delà de la question de la forme, la Cour examine également le grief relatif à l’insuffisance matérielle de la liste de ZPS. Son raisonnement met en lumière la difficile question du contrôle juridictionnel du respect des critères scientifiques (A) avant de conclure à un manquement indivisible, liant le caractère incomplet au défaut de classement définitif (B).
A. Le rôle des inventaires scientifiques dans l’évaluation du manquement
Le débat entre les parties a largement porté sur la valeur d’un inventaire scientifique, le rapport BirdLife, recensant les zones importantes pour la conservation des oiseaux (IBA). La Commission s’appuyait sur ce document pour démontrer que la Finlande avait omis de classer plusieurs sites d’une grande valeur ornithologique, dont les tourbières de Kemihaara. Le gouvernement finlandais contestait quant à lui la pertinence et l’exactitude de cet inventaire, affirmant s’être fondé sur ses propres critères scientifiques. Sur ce point, la Cour adopte une approche mesurée et pragmatique.
Elle ne se prononce pas directement sur la force probante absolue du rapport BirdLife. Cependant, la jurisprudence antérieure, notamment dans l’affaire Commission c. Pays-Bas (C-3/96), a déjà établi que de tels inventaires, lorsqu’ils sont établis sur la base de critères scientifiques reconnus, constituent une référence essentielle. L’absence d’un site identifié comme IBA dans la liste nationale des ZPS crée une présomption de manquement, qu’il appartient à l’État membre de renverser en apportant la preuve scientifique que son choix est justifié. Bien que la Cour, en l’espèce, n’aille pas jusqu’au bout de l’analyse de ce grief, l’affaire confirme que le choix des sites à classer n’est pas un pouvoir discrétionnaire des États membres mais doit reposer exclusivement sur des critères ornithologiques objectifs.
B. La constatation d’un manquement global et indivisible
La Cour opère une articulation subtile de son raisonnement pour conclure au caractère incomplet du classement. Elle considère qu’il n’y a pas lieu d’examiner en détail le grief fondé sur la comparaison avec le rapport BirdLife, car la liste finlandaise, au moment pertinent, n’était de toute façon « pas en vigueur et avait un caractère non définitif et modifiable ». Le grief de la Commission concernant l’omission de certains sites était donc, en un sens, prématuré, car il portait sur une « situation non effective ».
Toutefois, la Cour ne rejette pas pour autant le grief dans son ensemble. Elle pivote vers un constat plus général et irréfutable : à la date d’expiration du délai fixé dans l’avis motivé, seuls quinze sites avaient été définitivement classés en Finlande, ce qui était « en tout état de cause, pas suffisant au regard des obligations incombant à la République de Finlande ». En liant ainsi les deux aspects du manquement, la Cour adopte une approche d’une grande efficacité. Elle constate que l’absence d’une liste complète est une conséquence directe de l’absence d’une liste définitive. Le manquement est donc un et indivisible. En ne procédant pas au classement d’un nombre suffisant de sites de manière définitive, la Finlande a nécessairement failli à son obligation de classement complet, rendant presque secondaire le débat sur tel ou tel site spécifique.