Arrêt de la Cour (sixième chambre) du 7 décembre 2000. – ARGE Gewässerschutz contre Bundesministerium für Land- und Forstwirtschaft. – Demande de décision préjudicielle: Bundesvergabeamt – Autriche. – Marchés publics de services – Directive 92/50/CEE – Procédure de passation des marchés publics – Egalité de traitement des soumissionnaires – Discrimination en raison de la nationalité – Libre prestation des services. – Affaire C-94/99.

La Cour de justice des Communautés européennes, dans une décision du 18 novembre 1999, a été amenée à se prononcer sur la compatibilité des règles de passation des marchés publics de services avec la participation d’entités subventionnées. En l’espèce, un pouvoir adjudicateur avait lancé une procédure d’appel d’offres pour des prestations d’analyse d’échantillons d’eau. Parmi les soumissionnaires se trouvaient un groupement d’entreprises privées ainsi que des organismes de recherche bénéficiant de subventions publiques. Le groupement privé a contesté la participation de ces organismes, arguant que les aides publiques dont ils bénéficiaient créaient une distorsion de concurrence. Après le rejet de sa réclamation par une commission de contrôle, le groupement a saisi l’office fédéral des adjudications. Cette juridiction, doutant de la conformité d’une telle situation avec le droit communautaire, a décidé de surseoir à statuer et de poser plusieurs questions préjudicielles à la Cour de justice. Il s’agissait essentiellement de déterminer si le principe d’égalité de traitement des soumissionnaires, ainsi que la libre prestation de services, s’opposaient à ce qu’un pouvoir adjudicateur admette la participation d’organismes dont les subventions leur permettent de proposer des prix significativement inférieurs à ceux des concurrents non subventionnés. La Cour de justice répond par la négative, en considérant que « le principe d’égalité de traitement des soumissionnaires visé à la directive 92/50/CEE […] n’est pas violé au seul motif que le pouvoir adjudicateur admet à participer […] des organismes qui reçoivent […] des subventions ». Elle ajoute que cette admission ne constitue pas non plus une discrimination déguisée ou une restriction contraire à la libre prestation de services.

Il convient donc d’analyser la portée de cette décision, qui valide l’accès des organismes subventionnés aux marchés publics tout en maintenant un certain contrôle (I), avant d’étudier l’interprétation restrictive que fait la Cour des notions de discrimination et de restriction aux libertés fondamentales (II).

I. La confirmation d’un accès large aux marchés publics pour les soumissionnaires subventionnés

La Cour de justice fonde sa décision sur une lecture littérale des textes encadrant les marchés publics, qui ne prévoient aucune exclusion de principe pour les entités subventionnées (A). Toutefois, cette ouverture n’exclut pas la possibilité pour le pouvoir adjudicateur d’exercer un contrôle sur les offres qui pourraient apparaître comme anormalement basses (B).

A. L’absence de fondement juridique pour une exclusion de principe

La Cour rappelle d’emblée que le principe d’égalité de traitement, consacré par l’article 3, paragraphe 2, de la directive 92/50/CEE, impose aux pouvoirs adjudicateurs de veiller à ce qu’il n’y ait aucune discrimination entre les prestataires de services. Cependant, elle constate qu’aucune disposition de la directive ne prévoit l’exclusion automatique d’un soumissionnaire au seul motif qu’il perçoit des aides publiques. Au contraire, le législateur communautaire a explicitement envisagé la participation de telles entités. L’article 1er, sous c), de la directive définit en effet le prestataire de services comme « toute personne physique ou morale, y inclus un organisme public, qui offre ses services ». Cette inclusion démontre que la nature publique ou le financement public d’un organisme ne constitue pas en soi un obstacle à sa participation à un marché public.

De plus, la directive énumère de manière exhaustive les motifs de sélection des candidats et d’attribution des marchés. Or, parmi ces critères, ne figure pas la réception de subventions. La Cour en déduit logiquement que si le législateur avait eu l’intention d’interdire la participation de tels soumissionnaires, il l’aurait expressément indiqué. Admettre une telle exclusion reviendrait à ajouter au texte une condition qu’il ne prévoit pas. La solution retenue est donc une application stricte du droit positif, qui privilégie une conception ouverte et large de la concurrence, en permettant au plus grand nombre d’acteurs économiques de présenter une offre.

B. Le maintien d’un contrôle ponctuel par le pouvoir adjudicateur

Si la Cour de justice refuse d’entériner une exclusion de principe, elle n’ignore pas les risques de distorsion de concurrence que peuvent engendrer les subventions. Elle ménage ainsi la possibilité pour le pouvoir adjudicateur d’intervenir dans des circonstances particulières. La décision fait implicitement référence au mécanisme de contrôle des offres anormalement basses, prévu à l’article 37 de la directive. Cette disposition permet au pouvoir adjudicateur, lorsqu’une offre semble anormalement basse, de demander des précisions sur sa composition et de la vérifier avant de la rejeter. Dans ce cadre, l’existence de subventions pourrait être un élément d’appréciation pertinent pour évaluer le caractère soutenable de l’offre.

Par ailleurs, la Cour évoque une autre hypothèse dans laquelle l’existence d’une aide pourrait justifier une exclusion. Elle suggère qu’un soumissionnaire ayant reçu une aide d’État jugée illégale et non conforme au traité pourrait être écarté. Si l’obligation de rembourser cette aide illégale mettait en péril sa viabilité financière, le pouvoir adjudicateur pourrait considérer que ce soumissionnaire « n’offrant pas les garanties financières ou économiques requises ». Le contrôle ne se fait donc pas au stade de l’admissibilité de la candidature, mais plutôt à celui de l’analyse de la solidité financière du soumissionnaire ou du caractère réaliste de son offre.

La Cour de justice adopte ainsi une position nuancée, qui tout en consacrant l’ouverture des marchés publics aux entités subventionnées, refuse d’écarter toute possibilité de contrôle. Cette approche est ensuite complétée par une analyse rigoureuse des concepts de discrimination et de restriction.

II. L’interprétation stricte des atteintes à la libre prestation de services

La juridiction de renvoi s’interrogeait sur le point de savoir si le fait d’admettre des organismes nationaux subventionnés ne constituait pas une discrimination déguisée ou une restriction à la libre prestation de services. La Cour de justice écarte ces deux qualifications en adoptant une lecture rigoureuse des notions de discrimination (A) et de restriction (B).

A. Le rejet de la qualification de discrimination déguisée

L’argument soulevé devant la juridiction nationale reposait sur le constat que les organismes subventionnés étaient, en pratique, tous établis dans l’État membre du pouvoir adjudicateur. Cette situation pouvait laisser penser à une discrimination indirecte fondée sur la nationalité, contraire à l’article 59 du traité CE (devenu article 49 CE). La Cour rejette cette analyse en soulignant que le caractère principalement national des bénéficiaires d’aides est une conséquence inhérente au mécanisme même des aides d’État. Celles-ci sont, par nature, octroyées par un État à des entreprises situées sur son territoire.

Selon la Cour, une telle pratique « ne constitue cependant pas en soi une discrimination déguisée ». Pour qu’une discrimination soit caractérisée, il aurait fallu démontrer que la participation à la procédure était, en droit ou en fait, subordonnée à une condition de nationalité ou de siège dans l’État concerné. Or, en l’espèce, l’appel d’offres était ouvert à tous les prestataires de services de l’Union européenne, sans distinction. Le simple avantage concurrentiel dont bénéficient les soumissionnaires locaux subventionnés ne suffit pas à constituer une mesure discriminatoire, dès lors que les règles d’accès au marché restent formellement les mêmes pour tous.

B. L’écartement de l’existence d’une restriction à la libre prestation de services

Au-delà de la discrimination, la question se posait de savoir si la situation ne créait pas une restriction à la libre prestation de services. L’avantage concurrentiel des soumissionnaires subventionnés pourrait en effet dissuader les entreprises d’autres États membres de participer à l’appel d’offres. La Cour écarte également cet argument. Elle estime que le simple fait d’admettre de tels organismes ne constitue pas une restriction, car cela ne rend pas juridiquement plus difficile l’accès au marché pour les autres opérateurs.

La Cour distingue ainsi l’existence d’un environnement économique plus difficile de l’existence d’une entrave juridique à l’accès au marché. La libre prestation de services garantit le droit d’accéder à un marché dans un autre État membre et d’y être traité de la même manière que les nationaux. Elle ne garantit cependant pas des conditions de concurrence parfaitement égales, surtout lorsque les différences de compétitivité résultent de politiques publiques telles que l’octroi de subventions. En refusant de qualifier la situation de restriction, la Cour de justice confirme que le droit des marchés publics n’a pas pour objet de neutraliser toutes les distorsions de concurrence, mais bien d’assurer une procédure transparente et non discriminatoire.

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Hassan KOHEN
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Hassan Kohen

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