Arrêt de la Cour (sixième chambre) du 7 juillet 1994. – Lamaire NV contre Nationale Dienst voor Afzet van Land- en Tuinbouwprodukten. – Demande de décision préjudicielle: Hof van Beroep Brussel – Belgique. – Taxes parafiscales – Cotisations obligatoires au bénéfice d’un office national des débouchés agricoles et horticoles. – Affaire C-130/93.

Un arrêt rendu par la Cour de justice des Communautés européennes le 26 avril 1994 vient préciser les contours de la notion de taxe d’effet équivalant à un droit de douane à l’exportation. En l’espèce, une société spécialisée dans le commerce de pommes de terre s’est vu réclamer par un office national le paiement d’une cotisation obligatoire sur ses exportations. Cette cotisation était destinée à financer les activités de promotion des débouchés des produits agricoles et horticoles menées par cet office. L’entreprise exportatrice, après s’être acquittée de cette charge pendant deux ans, a refusé de la payer pour l’année suivante et a saisi les juridictions nationales pour en obtenir le remboursement et contester son bien-fondé.

La procédure a débuté devant le tribunal de première instance de Bruxelles, qui a rejeté la demande de la société et l’a condamnée au paiement de la cotisation due. L’entreprise a interjeté appel de cette décision devant la Hof van beroep te Brussel. Cette juridiction, doutant de la conformité de la législation nationale avec le droit communautaire, a décidé de surseoir à statuer et de poser une question préjudicielle à la Cour de justice, en application de l’article 177 du traité CEE. Il s’agissait de déterminer si une cotisation perçue sur les pommes de terre exportées devait être qualifiée de droit de douane à l’exportation ou de taxe d’effet équivalent au sens des articles 9 et 12 du traité. La question posée à la Cour était donc de savoir si une charge pécuniaire, imposée unilatéralement par un État membre sur des produits exportés vers d’autres États membres dans le but de financer des activités promotionnelles, constitue une taxe d’effet équivalent prohibée par le traité.

La Cour de justice répond par l’affirmative, considérant qu’une telle cotisation est contraire aux articles 9 et 12 du traité. Elle juge en effet que « les articles 9 et 12 du traité CEE s’opposent à ce qu’une législation nationale soumette à une cotisation obligatoire les exportations de produits agricoles vers d’autres États membres, lorsque la cotisation en question n’est pas perçue en raison de contrôles effectués pour satisfaire à des obligations découlant des dispositions communautaires, qu’elle frappe exclusivement les exportations des produits concernés et n’entre pas dans le cadre d’un système général de cotisations intérieures […] et, enfin, qu’elle ne constitue pas la contrepartie d’un avantage, spécifique ou individualisé, procuré à l’opérateur économique ». La Cour réaffirme ainsi avec clarté la définition extensive de la notion de taxe d’effet équivalent (I), tout en précisant rigoureusement les conditions des dérogations admises (II).

I. La réaffirmation d’une conception large de la taxe d’effet équivalent

La Cour de justice rappelle avec constance sa jurisprudence définissant la taxe d’effet équivalent comme toute charge pécuniaire frappant une marchandise en raison du franchissement d’une frontière. Elle applique ce critère à la cotisation litigieuse (A) en ignorant délibérément la qualité de l’organisme percepteur et la finalité de la recette (B).

A. La qualification de la charge fondée sur le critère du franchissement de la frontière

La Cour rappelle sa définition bien établie de la taxe d’effet équivalent, fruit d’une jurisprudence ancienne et constante. Elle la décrit comme « toute charge pécuniaire, fût-elle minime, unilatéralement imposée, quelles que soient son appellation et sa technique, et frappant les marchandises nationales ou étrangères en raison du fait qu’elles franchissent la frontière ». En l’espèce, la cotisation de deux francs belges par cent kilos de pommes de terre exportées répondait manifestement à cette définition. Il s’agissait bien d’une charge pécuniaire, imposée de manière unilatérale par la législation belge, et dont le fait générateur était le franchissement de la frontière nationale par les marchandises.

Cette approche objective, centrée sur l’effet de la mesure plutôt que sur son intention, permet de garantir l’effectivité de l’interdiction posée par les traités. Peu importe le montant de la charge, même minime, ou son appellation officielle ; dès lors qu’elle entrave les échanges entre États membres en raison du passage d’une frontière, elle tombe sous le coup de la prohibition. En qualifiant la cotisation litigieuse de la sorte, la Cour confirme son attachement à une interprétation large des articles 9 et 12, indispensable à la réalisation du marché intérieur.

B. L’indifférence quant au bénéficiaire et à l’affectation de la taxe

L’office national faisait valoir que la cotisation n’était pas perçue au profit de l’État mais pour financer ses propres missions de promotion. La Cour écarte cet argument en se fondant sur sa jurisprudence antérieure, notamment l’arrêt *Sociaal Fonds voor de Diamantarbeiders*. Elle précise que « la circonstance qu’une cotisation obligatoire, imposée en raison de l’importation ou de l’exportation d’une marchandise, est perçue au profit non pas de l’État mais d’un organisme public, n’affecte pas la qualification de ladite cotisation en tant que taxe d’effet équivalent ».

Cette solution est parfaitement logique. L’obstacle aux échanges que constitue une telle charge ne dépend pas de l’identité du bénéficiaire des fonds. Que la recette abonde le budget général de l’État ou celui d’un organisme public spécifique, l’effet dissuasif sur les exportations demeure identique. L’opérateur économique subit une charge financière qui grève ses produits et nuit à leur compétitivité sur les marchés des autres États membres. La Cour se concentre donc sur l’impact économique réel de la mesure sur la libre circulation des marchandises, plutôt que sur des considérations d’organisation administrative interne à l’État membre.

Après avoir confirmé l’application du principe d’interdiction, la Cour en examine les possibles exceptions avec une égale rigueur.

II. L’interprétation stricte des dérogations à l’interdiction

La Cour examine si la cotisation litigieuse pourrait échapper à la qualification de taxe d’effet équivalent en relevant de l’une des exceptions qu’elle a elle-même dégagées. Elle constate que la charge ne s’inscrit pas dans un système général de redevances intérieures (A) et ne constitue pas la contrepartie d’un service spécifique et individualisé rendu à l’exportateur (B).

A. Le rejet de l’assimilation à un système général de redevances intérieures

Selon une jurisprudence constante, une charge qui frappe les produits importés ou exportés peut être licite si elle « relève d’un système général de redevances intérieures appréhendant systématiquement, selon les mêmes critères, les produits nationaux et les produits importés ou exportés ». Ce mécanisme permet d’éviter qu’une taxe, appliquée sans discrimination à tous les produits présents sur le territoire national, soit abusivement qualifiée de taxe d’effet équivalent simplement parce qu’elle frappe aussi des marchandises qui ont franchi ou s’apprêtent à franchir une frontière.

Dans le cas présent, la Cour observe que la cotisation en cause « frappe exclusively les exportations du produit dont il s’agit ». Elle ne s’insère donc pas dans un système fiscal interne général qui s’appliquerait de manière identique aux pommes de terre destinées au marché national et à celles destinées à l’exportation. Le critère de déclenchement de la taxe est bien l’exportation elle-même, ce qui la distingue fondamentalement d’une redevance intérieure et confirme son caractère discriminatoire à l’égard du commerce intracommunautaire.

B. L’absence de contrepartie d’un service effectivement rendu à l’opérateur

La seconde exception envisagée est celle de la rémunération pour un service rendu. Pour être admise, la charge doit constituer « la contrepartie d’un service déterminé, effectivement et individuellement rendu à l’opérateur économique, d’un montant proportionné audit service ». Cette conditionnalité très stricte vise à empêcher que des États membres ne déguisent des taxes prohibées en frais pour des services fictifs ou généraux.

En l’espèce, les fonds collectés étaient destinés à financer l’activité générale de promotion commerciale de l’office national. La Cour estime que cette activité ne constitue pas « un avantage, spécifique ou individualisé, procuré à l’opérateur économique ». En effet, la promotion des débouchés profite de manière générale et indistincte à l’ensemble du secteur agricole et horticole concerné, et non spécifiquement à l’exportateur qui paie la cotisation. De plus, rien ne garantit que le montant de la cotisation soit proportionnel à un quelconque avantage retiré par l’entreprise. En rejetant cette justification, la Cour préserve la portée utile de l’interdiction des taxes d’effet équivalent et empêche son contournement par le biais de financements obligatoires d’organismes à vocation collective.

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Hassan KOHEN
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