Par un arrêt du 19 mars 1992, la Cour de justice des Communautés européennes, statuant sur renvoi préjudiciel d’une juridiction italienne, a interprété les limites imposées aux États membres en matière de fiscalité indirecte. En l’espèce, un avocat italien contestait la légalité d’une cotisation sociale obligatoire, dénommée « contributo integrativo », assise sur les honoraires de sa profession. Ce prélèvement, destiné à financer la caisse de prévoyance des avocats, était calculé en pourcentage du chiffre d’affaires soumis à la taxe sur la valeur ajoutée. L’avocat soutenait que cette contribution constituait en réalité une taxe sur le chiffre d’affaires, dont l’instauration ou le maintien était interdit par l’article 33 de la sixième directive 77/388/CEE en matière de TVA. La juridiction nationale, confrontée à cette question d’interprétation du droit communautaire, a donc sursis à statuer afin de demander à la Cour de justice si une telle cotisation nationale était compatible avec les dispositions de la directive. Il s’agissait ainsi de déterminer si un prélèvement affecté à un régime de prévoyance spécifique, mais calculé sur le volume des transactions, pouvait être assimilé à une taxe sur le chiffre d’affaires prohibée. À cette question, la Cour de justice répond par la négative, considérant que la cotisation litigieuse ne présente pas les caractéristiques essentielles de la TVA et échappe par conséquent à l’interdiction posée par le droit communautaire.
L’analyse de la Cour s’articule autour d’une définition stricte des critères d’identification d’une taxe sur le chiffre d’affaires, permettant d’exclure le prélèvement en cause du champ de l’interdiction (I). Cette solution, en clarifiant la notion de taxe prohibée, confirme une marge de manœuvre significative pour les États membres dans la création de prélèvements à finalité spécifique (II).
I. La soustraction du prélèvement à la qualification de taxe sur le chiffre d’affaires
Pour déterminer si la contribution italienne tombait sous le coup de l’interdiction de l’article 33 de la sixième directive, la Cour a d’abord rappelé les critères fondamentaux qui définissent une taxe sur la valeur ajoutée (A), avant d’appliquer ce test à la cotisation litigieuse pour en constater l’incompatibilité (B).
A. Le rappel des critères d’identification de la taxe sur la valeur ajoutée
La Cour de justice réaffirme sa jurisprudence constante selon laquelle l’objectif de l’article 33 est de préserver le fonctionnement du système commun de TVA en empêchant les États membres d’introduire des impositions qui, en grevant la circulation des biens et des services, se comporteraient comme une TVA. Pour être qualifiée de taxe sur le chiffre d’affaires au sens de cette disposition, une imposition doit présenter les caractéristiques essentielles de la TVA. La Cour en énumère quatre, qui constituent le socle de son raisonnement.
La première caractéristique est la généralité de l’impôt : la TVA « s’applique de manière générale aux transactions ayant pour objet des biens ou des services ». La deuxième est sa proportionnalité au prix de ces biens ou services. La troisième réside dans son mode de perception, la taxe étant perçue « à chaque stade du processus de production et de distribution ». Enfin, la quatrième caractéristique, qui est le cœur du système, est son application sur la valeur ajoutée, le mécanisme de déduction de la taxe payée en amont permettant de n’imposer que la valeur ajoutée à chaque étape. Une imposition nationale ne peut être considérée comme une taxe sur le chiffre d’affaires prohibée que si elle cumule ces quatre éléments essentiels.
B. L’application des critères excluant la cotisation litigieuse
Appliquant cette grille d’analyse à la cotisation complémentaire italienne, la Cour constate qu’elle ne satisfait à aucune des conditions précitées, à l’exception partielle de la proportionnalité. Premièrement, le prélèvement n’a pas un caractère général. Il ne concerne qu’une catégorie professionnelle déterminée, les avocats et *procuratori legali*, et non l’ensemble des activités économiques. De plus, son assiette se limite aux activités judiciaires de ces professionnels, excluant d’autres prestations de services qu’ils pourraient fournir.
Deuxièmement, la Cour relève que la cotisation n’est pas toujours proportionnelle à la rémunération perçue. Elle met en évidence l’existence d’une cotisation minimale forfaitaire pour les professionnels à faible chiffre d’affaires, déconnectant ainsi le prélèvement du prix réel de la prestation. Troisièmement, et de manière décisive, la cotisation est perçue en une seule fois, au moment de la facturation au client, et non à chaque stade d’un processus de production ou de distribution. Enfin, elle ne comporte aucun mécanisme de déduction. L’avocat verse la totalité de la somme à la caisse de prévoyance sans pouvoir déduire une quelconque charge, et le client, même assujetti à la TVA, ne peut imputer cette cotisation sur la TVA dont il serait redevable. L’absence de ces caractéristiques fondamentales conduit la Cour à écarter la qualification de taxe sur le chiffre d’affaires.
II. La portée de la solution : une délimitation stricte du champ d’application de l’interdiction
En jugeant la cotisation compatible avec le droit de l’Union, la Cour de justice ne se contente pas de trancher un cas d’espèce mais précise la portée de l’interdiction posée par l’article 33. Elle confirme ainsi la latitude dont disposent les États membres pour instituer des prélèvements spécifiques (A), tout en suggérant que la finalité sociale d’une imposition peut servir d’indice pour la distinguer d’une taxe générale sur la consommation (B).
A. La confirmation d’une marge de manœuvre fiscale pour les États membres
La décision illustre le principe selon lequel l’harmonisation en matière de TVA n’a pas pour effet de priver les États membres de toute compétence fiscale indirecte. L’article 33 n’interdit pas toute taxe autre que la TVA, mais seulement celles qui, par leurs caractéristiques, compromettraient les objectifs du système commun. En adoptant une interprétation stricte des critères d’identification d’une taxe sur le chiffre d’affaires, la Cour préserve la capacité des États à créer des impôts, droits et taxes pour des objectifs politiques, sociaux ou économiques spécifiques, pourvu que ces derniers ne reproduisent pas la mécanique et la portée de la TVA.
Cette approche pragmatique permet de concilier l’objectif d’intégration du marché intérieur, poursuivi par l’harmonisation de la TVA, avec l’autonomie fiscale des États, nécessaire au financement de leurs politiques publiques et de leurs systèmes de protection sociale. La solution valide ainsi l’existence de prélèvements catégoriels qui, bien qu’assis sur une base économique proche de celle de la TVA, poursuivent des buts distincts de la simple perception de recettes budgétaires générales.
B. La finalité sociale du prélèvement comme indice de sa nature non fiscale
Bien que l’analyse de la Cour soit principalement technique et fondée sur les mécanismes de la taxe, la nature même de la cotisation litigieuse n’est pas sans importance. Il s’agit d’un prélèvement affecté au financement d’un régime de prévoyance spécifique, bénéficiant à la catégorie professionnelle qui y est assujettie. Cette finalité sociale distingue fondamentalement la contribution d’une taxe sur la consommation comme la TVA, dont le produit est versé au budget général de l’État sans affectation prédéterminée.
Le fait que la cotisation serve un objectif de solidarité interne à une profession renforce l’idée qu’elle n’est pas un impôt grevant la circulation des services de manière générale. Elle s’apparente davantage à une charge sociale parafiscale qu’à une taxe sur le chiffre d’affaires. En validant un tel système, la Cour reconnaît indirectement que la finalité d’un prélèvement est un élément pertinent pour apprécier sa compatibilité avec le système commun de TVA, offrant ainsi une grille de lecture complémentaire aux seuls critères techniques.