Arrêt de la Cour (sixième chambre) du 7 novembre 1996. – Commission des Communautés européennes contre République italienne. – Manquement d’Etat – Non-transposition des directives 93/48/CEE, 93/49/CEE, 93/52/CEE, 93/61/CEE et 93/85/CEE. – Affaire C-315/95.

Par un arrêt en date du 3 octobre 1996, la Cour de justice des Communautés européennes, statuant en matière de manquement, a précisé les contours de l’obligation de transposition des directives qui incombe aux États membres. En l’espèce, la Commission a constaté qu’un État membre n’avait pas adopté, dans les délais impartis, les dispositions nationales nécessaires à la mise en conformité de son droit interne avec cinq directives distinctes. Celles-ci portaient sur des questions techniques relatives aux matériels de multiplication de plantes, aux conditions sanitaires pour les échanges d’embryons animaux et à la lutte contre certaines maladies végétales.

Face à cette inaction, la Commission a engagé une procédure en manquement. Elle a d’abord adressé une lettre de mise en demeure à l’État membre concerné, puis, en l’absence de réponse satisfaisante, un avis motivé lui enjoignant de se conformer à ses obligations. L’État membre a finalement répondu en invoquant des difficultés d’ordre procédural et juridique internes, sans toutefois contester le fond du manquement. Postérieurement à l’introduction du recours devant la Cour, cet État a transposé l’une des cinq directives, conduisant la Commission à se désister partiellement de son action. La question de droit soumise à la Cour était donc de savoir si des difficultés internes peuvent justifier le non-respect des délais de transposition d’une directive et si une mise en conformité tardive peut effacer le manquement initial.

La Cour de justice répond par la négative, en affirmant que le manquement est constitué par le simple fait de ne pas avoir adopté les mesures de transposition dans les délais prescrits. Elle déclare que « en n’adoptant pas, dans le délai prescrit, les mesures législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer aux directives […], la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent ». La Cour écarte ainsi les justifications fondées sur des obstacles internes et confirme la nature objective de l’infraction au droit communautaire.

L’étude de cette décision impose d’examiner la confirmation constante du caractère absolu de l’obligation de transposition (I), avant d’analyser le rejet systématique des justifications fondées sur l’ordre juridique interne de l’État défaillant (II).

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I. La confirmation du caractère absolu de l’obligation de transposition

L’arrêt réaffirme avec clarté la nature objective du manquement lié à l’absence de transposition (A) et rappelle par conséquent la force contraignante qui s’attache aux actes de droit dérivé (B).

A. La caractérisation du manquement par une simple constatation factuelle

La Cour de justice opère un contrôle qui se limite à une vérification objective. Elle constate que les délais fixés par les différentes directives, expirant entre la fin de l’année 1993 et le début de l’année 1994, n’ont pas été respectés par l’État membre. Le manquement est donc matériellement établi par l’absence d’adoption des actes de transposition requis. Le raisonnement de la Cour est purement déductif : les directives imposent une obligation de résultat assortie d’un délai, et l’expiration de ce délai sans que le résultat soit atteint suffit à caractériser la violation.

La procédure précontentieuse, menée par la Commission en sa qualité de gardienne des traités, a précisément pour but d’établir ce constat. La lettre de mise en demeure et l’avis motivé constituent les étapes nécessaires pour formaliser le grief et permettre à l’État de présenter ses observations. L’absence de mesures nationales à l’issue du délai fixé dans l’avis motivé ouvre la voie au recours contentieux. Dans cette affaire, la reconnaissance du manquement par l’État défendeur ne fait que corroborer le constat matériel effectué par la Commission et entériné sans surprise par la Cour.

B. Le rappel de la force contraignante du droit communautaire dérivé

Cette décision s’inscrit dans une jurisprudence bien établie qui assure la primauté et l’effet direct du droit de l’Union. En se fondant sur les articles 5 et 189 du traité CE, la Cour rappelle que les directives lient tout État membre destinataire quant au résultat à atteindre. Cette obligation de résultat ne serait que théorique si les délais qu’elles fixent pouvaient être ignorés. Le respect des échéances de transposition est une condition essentielle pour garantir une application uniforme et simultanée du droit communautaire sur l’ensemble du territoire de l’Union.

L’arrêt souligne que cette exigence est fondamentale pour le bon fonctionnement du marché intérieur et la réalisation des politiques communes. Les directives en cause, bien que techniques, visent à harmoniser les règles phytosanitaires et zoosanitaires, contribuant ainsi à la libre circulation des marchandises agricoles. Le retard d’un seul État membre dans leur mise en œuvre est susceptible de créer des distorsions de concurrence et des entraves aux échanges. La Cour réaffirme ainsi que l’obligation de transposition dans les délais n’est pas une simple formalité, mais une exigence substantielle inhérente à l’ordre juridique communautaire.

L’approche rigoureuse adoptée par la Cour quant à la constatation du manquement se prolonge logiquement dans son examen des moyens de défense soulevés par l’État membre.

II. Le rejet des justifications fondées sur l’ordre juridique interne

La Cour de justice écarte fermement les difficultés internes comme excuse valable (A) et précise que la mise en conformité tardive de l’État ne saurait être exonératoire (B).

A. L’inefficacité des difficultés procédurales et juridiques internes

L’État défendeur, sans contester le manquement, a tenté de le justifier en précisant que « les autorités nationales se sont heurtées à des difficultés d’ordre procédural et juridique ». Cet argument est un moyen de défense classique des États membres dans les procédures en manquement. La Cour, de manière constante, refuse de l’accueillir. Admettre une telle justification reviendrait à permettre à un État de se prévaloir des particularités de son propre système juridique pour se soustraire à ses obligations européennes.

Cette jurisprudence est une conséquence directe du principe de primauté. Chaque État membre est tenu d’aménager son ordre juridique interne de manière à assurer la pleine efficacité du droit de l’Union. Les difficultés liées à la complexité des procédures législatives nationales, à la répartition des compétences entre les autorités centrales et locales ou aux débats politiques internes relèvent de la seule responsabilité de l’État. En rejetant cette défense, la Cour préserve l’intégrité et l’autonomie de l’ordre juridique communautaire, qui ne saurait être subordonné aux contingences nationales.

B. La portée limitée de la mise en conformité en cours d’instance

L’arrêt illustre également le traitement d’une régularisation intervenue après l’introduction du recours. L’État membre a transposé la directive 93/85/CEE par un décret ministériel en janvier 1996, ce qui a conduit la Commission à retirer son grief sur ce point précis. Cependant, la Cour précise que le manquement est apprécié à la date d’expiration du délai fixé dans l’avis motivé. Une régularisation ultérieure n’a donc pas pour effet d’effacer rétroactivement la violation initiale.

La seule conséquence de cette transposition tardive est de limiter l’objet du litige sur lequel la Cour est appelée à statuer. Le constat de manquement portera uniquement sur les directives non encore transposées au moment du jugement. Cette solution incite les États à se conformer le plus rapidement possible, même tardivement, mais elle maintient le principe selon lequel la période de non-transposition constitue une violation avérée du traité. Elle préserve ainsi la possibilité pour les particuliers, le cas échéant, d’engager la responsabilité de l’État pour les dommages causés par le retard de transposition.

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