Par un arrêt rendu dans l’affaire C-333/00, la Cour de justice des Communautés européennes précise la notion de prestation familiale au sens du droit communautaire de la sécurité sociale. Une ressortissante finlandaise, qui s’était installée temporairement en Allemagne avec ses enfants pour suivre son mari, travailleur détaché, s’est vue privée du bénéfice de l’allocation de garde d’enfant à domicile. Cette prestation, prévue par la législation finlandaise, lui était auparavant versée au titre de la garde de ses enfants. Le droit finlandais subordonnait l’octroi de cette allocation à une condition de résidence effective de l’enfant sur le territoire national.
La caisse nationale des retraites finlandaise a mis fin au versement de l’allocation au motif que les enfants ne résidaient plus en Finlande. La bénéficiaire a contesté cette décision, mais son recours a été rejeté par la commission d’assurance maladie. Elle a ensuite saisi la commission de recours en matière de sécurité sociale, laquelle a décidé de surseoir à statuer pour interroger la Cour de justice à titre préjudiciel. La question posée était de savoir si une telle allocation devait être qualifiée de prestation familiale au sens du règlement n° 1408/71, et si, dans l’affirmative, la condition de résidence prévue par la loi nationale pouvait faire obstacle à son versement lorsque la famille d’un travailleur réside dans un autre État membre.
La Cour de justice répond que l’allocation de garde d’enfant à domicile constitue bien une prestation familiale au sens de l’article 4, paragraphe 1, sous h), du règlement n° 1408/71. Elle en déduit que l’article 73 du même règlement s’oppose à ce qu’une condition de résidence effective de l’enfant sur le territoire de l’État compétent soit opposée au bénéficiaire, cette condition devant être considérée comme remplie lorsque l’enfant réside dans un autre État membre.
La solution de la Cour repose sur un raisonnement en deux temps, qui établit d’abord l’appartenance de la prestation litigieuse au champ d’application du règlement (I), avant d’en tirer les conséquences quant à l’inapplicabilité de la clause de résidence (II).
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I. L’intégration de l’allocation de garde d’enfant à domicile dans le champ de la sécurité sociale communautaire
Pour faire entrer l’allocation finlandaise dans le champ du règlement n° 1408/71, la Cour vérifie d’abord qu’il s’agit bien d’une prestation de sécurité sociale, en se fondant sur des critères objectifs (A), avant de la rattacher spécifiquement à la branche des prestations familiales (B).
A. La qualification de prestation de sécurité sociale au regard de critères objectifs
La Cour rappelle la distinction fondamentale entre les prestations de sécurité sociale, qui relèvent du règlement, et l’assistance sociale, qui en est exclue. Pour ce faire, elle s’appuie sur une jurisprudence constante qui définit la prestation de sécurité sociale par des caractéristiques précises. La Cour énonce qu’« une prestation ne peut être considérée comme une prestation de sécurité sociale que si elle est octroyée, en dehors de toute appréciation individuelle et discrétionnaire des besoins personnels, aux bénéficiaires sur la base d’une situation légalement définie ».
En l’espèce, l’allocation de garde d’enfant à domicile satisfait pleinement à cette condition. Son octroi n’est pas subordonné à une évaluation des besoins individuels de la famille, mais découle de l’application de critères légaux objectifs. Le droit à la prestation est conféré aux personnes qui remplissent les conditions fixées par la loi finlandaise, sans que l’administration dispose d’un pouvoir d’appréciation quant à l’opportunité de son versement. Cette analyse permet d’écarter la qualification d’assistance sociale et de confirmer que la prestation relève bien du champ matériel du règlement.
B. Le rattachement de la prestation à la compensation des charges de famille
Une fois la nature de prestation de sécurité sociale établie, il convient de la rattacher à l’une des branches énumérées à l’article 4, paragraphe 1, du règlement. Le litige portait sur sa qualification de prestation familiale. Selon la Cour, une telle prestation est destinée à compenser les charges de famille, notion qu’elle interprète de manière large. Elle réaffirme que « l’expression ‘compenser les charges de famille’ […] doit être interprétée en ce sens qu’elle vise, notamment, une contribution publique au budget familial, destinée à alléger les charges découlant de l’entretien des enfants ».
Le gouvernement finlandais soutenait que l’allocation visait principalement à organiser la garde de l’enfant, en tant qu’alternative à une place en crèche publique, et non à compenser des charges familiales. La Cour ne retient pas cet argument et considère que, même si l’organisation de la garde des enfants est l’une de ses finalités, la prestation a également pour effet d’alléger les charges financières des parents liées à la garde et à l’éducation. Ce lien étroit avec le soutien financier apporté aux familles suffit à la faire entrer dans la catégorie des prestations familiales au sens du règlement.
Dès lors que l’allocation est qualifiée de prestation familiale, le droit communautaire impose des règles spécifiques concernant son versement aux travailleurs qui exercent leur droit à la libre circulation. La Cour devait ainsi se prononcer sur le sort de la condition de résidence imposée par le droit national.
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II. La neutralisation de la condition de résidence au nom de la libre circulation des travailleurs
La qualification de prestation familiale emporte des conséquences directes sur la validité de la clause de résidence. La Cour applique logiquement le principe d’exportabilité des prestations familiales, consacré par le règlement (A), affirmant ainsi la primauté de la libre circulation sur les contraintes d’organisation du système national (B).
A. L’application du principe d’exportabilité des prestations familiales
L’article 73 du règlement n° 1408/71 garantit le droit aux prestations familiales de l’État d’emploi pour les membres de la famille d’un travailleur qui résident dans un autre État membre. La Cour rappelle avec force la finalité de cette disposition en des termes clairs : « l’article 73 du règlement n° 1408/71 vise à empêcher qu’un État membre puisse faire dépendre l’octroi d’une prestation familiale de la résidence des membres de la famille du travailleur dans l’État membre prestataire, afin de ne pas dissuader le travailleur communautaire d’exercer son droit à la libre circulation ».
Appliquer une condition de résidence effective, comme le fait la loi finlandaise, irait directement à l’encontre de cet objectif. En subordonnant le versement de l’allocation à la présence physique de l’enfant en Finlande, la législation nationale crée une entrave à la mobilité des travailleurs. La Cour en conclut logiquement que la condition de résidence doit être neutralisée ; elle est réputée remplie dès lors que l’enfant réside sur le territoire d’un autre État membre. Cette solution assure la pleine effectivité du droit à l’exportation des prestations familiales.
B. La primauté du droit à la libre circulation sur les modalités d’organisation nationale
Le gouvernement finlandais avançait que le droit à l’allocation était indissociable du choix offert aux parents entre cette prestation et une place en crèche communale. Puisque la famille résidant à l’étranger ne pouvait plus opter pour une place en crèche en Finlande, elle ne pouvait pas non plus prétendre à l’allocation. La Cour écarte cet argument en soulignant que les modalités d’organisation internes d’un système de prestations ne sauraient faire échec à un droit garanti par le règlement.
Le fait que les parents ne puissent plus exercer leur choix n’affecte pas la nature de l’allocation en tant que prestation familiale. La Cour note d’ailleurs que « les parents sont libres d’alterner entre le placement dans une crèche publique et la perception de l’allocation de garde d’enfant à domicile », ce qui relativise le caractère binaire du choix. En refusant de lier le droit à la prestation à des considérations pratiques liées à l’organisation des services publics nationaux, la Cour réaffirme la supériorité des droits tirés de la libre circulation des personnes sur les contraintes administratives des États membres.