Arrêt de la Cour (sixième chambre) du 8 mars 2001. – Commission des Communautés européennes contre République fédérale d’Allemagne. – Manquement d’Etat – Liberté d’établissement – Liberté de prestation des services – Sécurité sociale – Règlement (CEE) nº 1408/71 – Financement de la sécurité sociale des artistes et des journalistes indépendants – Contribution perçue auprès des entreprises qui commercialisent les travaux d’artistes et de journalistes, calculée sur la base des rémunérations versées à ceux-ci – Prise en compte des rémunérations des artistes et des journalistes soumis à la législation de sécurité sociale d’un autre Etat membre. – Affaire C-68/99.

L’arrêt rendu par la Cour de justice des Communautés européennes le 3 mai 2001 offre une illustration précise de la délimitation du champ d’application du principe d’unicité de la législation de sécurité sociale. En l’espèce, une législation nationale imposait aux entreprises commercialisant les œuvres d’artistes ou de journalistes indépendants une contribution spécifique, dénommée « charge sociale pour artistes ». Cette contribution, assise sur les rémunérations versées à ces derniers, était destinée à financer pour partie leur régime de sécurité sociale. La Commission des Communautés européennes a introduit un recours en manquement contre l’État membre concerné, estimant que la perception de cette charge, y compris sur les rémunérations versées à des artistes ou journalistes résidant et affiliés à un régime de sécurité sociale dans un autre État membre, était contraire au droit communautaire.

La procédure précontentieuse a mis en lumière l’opposition entre deux conceptions. D’une part, la Commission soutenait que ce mécanisme entraînait un double prélèvement social, en violation des articles 13 et 14 bis du règlement n° 1408/71, qui consacrent le principe selon lequel un travailleur ne peut être soumis qu’à la législation d’un seul État membre. D’autre part, l’État membre défendeur faisait valoir que la contribution ne pesait pas sur les artistes eux-mêmes, mais sur les entreprises qui commercialisent leurs travaux, une disposition légale interdisant expressément à ces dernières d’en répercuter le coût sur les rémunérations. Dès lors, le mécanisme ne porterait pas atteinte au principe d’unicité et viserait principalement à éviter des distorsions de concurrence entre les artistes affiliés au régime national et ceux relevant d’un autre régime.

La question de droit posée à la Cour était donc de déterminer si un État membre manque aux obligations qui lui incombent en vertu du droit communautaire, notamment au principe d’unicité de la législation sociale applicable, en imposant aux entreprises établies sur son territoire une contribution destinée au financement d’un régime de sécurité sociale, assise sur les rémunérations versées à des prestataires de services non-salariés, alors même que ces derniers sont affiliés à un régime de sécurité sociale dans un autre État membre.

À cette question, la Cour de justice a répondu par la négative. Elle a jugé que le système national était compatible avec le droit communautaire, dès lors que la contribution litigieuse ne frappe pas les artistes et journalistes eux-mêmes, mais les entreprises qui commercialisent leurs travaux, et que ces dernières n’ont pas le droit d’en répercuter le coût sur les rémunérations versées. La Cour en conclut que le principe d’unicité de la législation applicable au travailleur n’est pas violé.

Cette solution conduit à s’interroger sur la portée du principe d’unicité de la législation sociale (I), avant d’analyser la confirmation par la Cour d’une lecture formaliste de la notion de prélèvement social (II).

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I. Une application stricte du principe d’unicité de la législation sociale

La Cour valide le mécanisme national en se fondant sur une analyse rigoureuse de la personne débitrice de l’obligation (A), justifiant ainsi un système qui vise à garantir une neutralité concurrentielle (B).

A. L’absence d’assujettissement direct du travailleur comme critère déterminant

Le raisonnement de la Cour repose entièrement sur l’identification du redevable de la charge sociale. Elle constate que, juridiquement, celle-ci n’est pas due par les artistes ou journalistes, mais exclusivement par les entreprises qui exploitent commercialement leurs œuvres. Le fait que l’assiette de cette contribution soit constituée des rémunérations versées à ces travailleurs indépendants n’y change rien. La Cour souligne en effet qu’« il est constant que la charge sociale pour artistes ne frappe pas les artistes et les journalistes eux-mêmes, mais les entreprises qui commercialisent leurs travaux ». Cette dissociation entre la personne dont l’activité génère l’assiette de la contribution et la personne légalement tenue de son paiement est l’élément central de la décision.

De plus, la Cour accorde une importance décisive à la disposition du droit national interdisant aux entreprises de répercuter ce coût sur les honoraires des artistes. Cette interdiction de répercussion constitue une garantie que le travailleur indépendant, déjà affilié à un régime de sécurité sociale dans son État de résidence, ne subit aucune charge financière supplémentaire du fait de sa prestation dans l’État membre en cause. Par conséquent, le travailleur n’est pas pénalisé pour l’exercice de sa liberté de prestation de services. Le principe d’unicité de la législation, qui vise à protéger le travailleur migrant d’un cumul de cotisations, n’est donc pas matériellement atteint.

B. La légitimation du mécanisme par la finalité de l’égalité de traitement

Au-delà de l’analyse juridique formelle, la Cour prend en considération l’objectif de la législation nationale, qui est d’assurer une forme d’égalité de traitement et de prévenir les distorsions de concurrence. Si les entreprises étaient exemptées de cette charge pour les artistes non-résidents, elles seraient incitées à recourir préférentiellement à leurs services, au détriment des artistes et journalistes affiliés au régime national. La Cour estime ainsi que le système, « en incluant les rémunérations versées à des artistes et des journalistes ne relevant pas du régime établi en vertu du ksvg dans l’assiette de la charge sociale pour artistes, vise à assurer pour l’ensemble des artistes et des journalistes effectuant des prestations en Allemagne une égalité de traitement ».

En maintenant un coût global similaire pour l’entreprise quel que soit le statut social du prestataire, le législateur national assure une neutralité concurrentielle. La Cour valide cette approche, considérant qu’elle est conforme aux objectifs du règlement n° 1408/71, lequel vise à coordonner les systèmes nationaux sans pour autant imposer leur harmonisation. La légère différence de rémunération nette finale pour l’artiste, qui peut résulter des variations de taux de cotisation entre États membres, est jugée « inhérente au mécanisme de simple coordination résultant du règlement n° 1408/71 ».

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II. La confirmation d’une approche formaliste de l’appréciation des charges sociales

En rejetant le recours de la Commission, la Cour réaffirme une lecture stricte des textes (A), qui conduit à une délimitation précise du champ d’application des libertés de circulation (B).

A. Le refus de présumer une répercussion économique de la charge

La Commission avançait l’argument selon lequel, en pratique, l’entreprise tiendrait compte du coût de la charge sociale au moment de négocier la rémunération de l’artiste, opérant ainsi une répercussion indirecte. La Cour écarte cet argument de manière catégorique, posant un principe méthodologique important en matière de recours en manquement. Elle affirme que « la conformité d’une législation nationale avec le droit communautaire ne saurait être appréciée en se fondant sur l’hypothèse que cette législation n’est pas respectée ».

Ce faisant, la Cour se refuse à une analyse purement économique des effets de la loi. Elle s’en tient à la règle de droit, qui interdit la répercussion. Pour que la Cour examine une pratique contraire au texte, il aurait fallu que la Commission apporte la preuve d’un comportement établi des autorités publiques démontrant que la loi n’est pas effectivement appliquée. La charge de la preuve d’un manquement, rappelle la Cour, incombe à la Commission. En l’absence de tels éléments, l’analyse reste formelle : la contribution est légalement à la charge de l’entreprise et ne peut grever la rémunération du travailleur.

B. Une interprétation restrictive de l’entrave à la libre prestation de services

La Cour applique ce même raisonnement pour rejeter le grief tiré de la violation des articles du traité relatifs à la libre prestation de services et à la liberté d’établissement. Elle distingue la présente affaire de jurisprudences antérieures, notamment des arrêts *Seco et Desquenne & Giral* ou *Kemmler*. Dans ces derniers, les charges ou cotisations constituaient soit une double charge pour un employeur détachant des salariés, soit une obligation directe pour un travailleur indépendant de s’affilier à un second régime sans bénéfice supplémentaire.

En l’espèce, la situation est différente. D’une part, la charge n’affecte pas le travailleur. D’autre part, elle ne décourage pas l’entreprise de recourir à un prestataire étranger, puisqu’elle serait soumise à la même charge pour un prestataire national. La Cour conclut donc que le mécanisme est neutre et ne constitue pas une entrave. Cette décision a pour portée de clarifier que le principe d’unicité protège le travailleur lui-même. Une contribution qui, tout en finançant un régime de sécurité sociale, est juridiquement conçue pour ne peser que sur un tiers, tel qu’un diffuseur ou un éditeur, échappe au champ de l’interdiction du cumul de législations posée par le droit de l’Union.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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