Arrêt de la Cour (sixième chambre) du 8 novembre 2001. – Commission des Communautés européennes contre République italienne. – Manquement d’Etat – Mise en oeuvre inadéquate de la directive 91/676/CEE – Protection des eaux contre la pollution par les nitrates à partir de sources agricoles. – Affaire C-127/99.

Par un arrêt du 8 mars 2001, la Cour de justice des Communautés européennes s’est prononcée sur les obligations d’un État membre dans le cadre de la mise en œuvre de la directive 91/676/CEE, relative à la protection des eaux contre la pollution par les nitrates à partir de sources agricoles. En l’espèce, la Commission des Communautés européennes a engagé un recours en manquement contre un État membre, lui reprochant une transposition incomplète et incorrecte de plusieurs dispositions de cette directive. L’institution gardienne des traités alléguait notamment l’omission d’élaborer des programmes d’action, de réaliser des opérations de surveillance des eaux et de communiquer un rapport complet sur les mesures prises, conformément aux articles 5, 6 et 10 de la directive.

L’État membre mis en cause a soulevé plusieurs exceptions d’irrecevabilité, arguant notamment d’une modification des griefs entre l’avis motivé et la requête, ainsi que de la violation de la règle *non bis in idem* en raison d’un précédent arrêt en manquement concernant la même directive. Sur le fond, il soutenait que le retard dans la désignation des zones vulnérables, obligation préalable, justifiait l’impossibilité d’établir les programmes d’action subséquents. L’État défendeur contestait par ailleurs le caractère général et non prouvé des manquements allégués par la Commission, en particulier s’agissant du caractère prétendument incomplet des mesures de surveillance et des programmes d’action dans les régions où des initiatives avaient été prises.

La question de droit posée à la Cour était double. Il s’agissait d’une part de déterminer si un État membre peut se prévaloir de son propre retard dans l’exécution d’une obligation fixée par une directive pour justifier l’inexécution d’autres obligations qui en découlent. D’autre part, la Cour était invitée à préciser les exigences relatives à la charge de la preuve qui pèse sur la Commission dans le cadre d’un recours en manquement, notamment lorsque l’État membre a fourni des informations parcellaires sur la mise en œuvre de la directive.

La Cour de justice rejette les exceptions d’irrecevabilité et répond à la première question par la négative, en affirmant le principe selon lequel un État ne peut exciper de sa propre défaillance pour se soustraire à ses obligations. Concernant la seconde question, elle rappelle que la charge de la preuve du manquement incombe à la Commission et procède à une appréciation différenciée des griefs en fonction de la précision des éléments fournis par l’institution requérante. La Cour clarifie ainsi la portée des obligations de l’État membre face à une transposition échelonnée (I), tout en rappelant les exigences probatoires pesant sur la Commission dans le contentieux en manquement (II).

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**I. La clarification des obligations de l’État membre en cas de transposition échelonnée**

La Cour de justice saisit l’occasion de cet arrêt pour rappeler avec fermeté qu’un État membre ne peut se prévaloir de sa propre turpitude pour justifier une inexécution, consacrant ainsi l’indivisibilité des obligations découlant d’une directive.

**A. Le rejet de l’inexécution comme moyen de défense**

L’État membre défendeur avançait un argument fondé sur l’enchaînement logique des obligations prévues par la directive. Le retard pris dans la désignation des zones vulnérables, prévue à l’article 3, rendait selon lui impossible l’établissement des programmes d’action pour ces mêmes zones dans les délais impartis par l’article 5. Cette argumentation revenait à justifier une seconde défaillance par une première, créant une sorte d’immunité temporaire pour les obligations subséquentes. La Cour rejette sans équivoque ce raisonnement en posant un principe général : « Un État membre ne saurait exciper de la mise en oeuvre tardive d’une directive, de sa part, pour justifier l’inobservation ou le respect tardif d’autres obligations imposées par cette même directive ».

Cette solution est essentielle pour garantir l’effet utile du droit de l’Union européenne. Admettre le contraire permettrait aux États membres de paralyser l’application d’une directive en organisant délibérément un retard sur une obligation initiale. La Cour refuse ainsi qu’une illégalité puisse devenir une source de droit ou un moyen d’exonération. Chaque obligation imposée par une directive conserve son caractère contraignant et autonome, même si elle s’inscrit dans un calendrier de mise en œuvre progressif. L’État membre reste tenu d’exécuter chaque étape et doit supporter les conséquences de ses propres retards, sans pouvoir les invoquer à son avantage.

**B. La portée du principe d’indivisibilité des obligations**

Au-delà du cas d’espèce, la décision renforce le principe de coopération loyale qui impose aux États membres de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la pleine efficacité du droit de l’Union. Les obligations contenues dans une directive forment un ensemble cohérent visant un objectif commun, en l’occurrence la réduction de la pollution des eaux. Le respect partiel ou retardé de certaines dispositions compromet la réalisation de cet objectif dans sa globalité. La Cour considère donc que les différentes étapes de transposition, bien qu’échelonnées dans le temps, ne sont pas sécables au point qu’un manquement sur l’une puisse neutraliser les autres.

Cette approche confirme que l’obligation de résultat qui pèse sur les États membres s’applique à l’ensemble du dispositif normatif. L’arrêt souligne que les mesures de surveillance prévues à l’article 6, bien qu’initialement conçues pour la désignation des zones vulnérables, conservent leur pertinence pour la révision de cette désignation. Elles constituent donc une obligation continue et distincte, dont le respect ne peut être subordonné à l’exécution ponctuelle d’une autre disposition. La Cour affirme ainsi que chaque manquement à une obligation spécifique peut être constaté et sanctionné de manière autonome, empêchant toute stratégie d’inexécution en cascade.

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**II. Le rappel des exigences probatoires dans le contentieux en manquement**

Si la Cour se montre stricte quant aux obligations de l’État membre, elle fait également preuve d’une rigueur méthodologique quant à l’administration de la preuve, rappelant que la charge de celle-ci incombe à la Commission et en tirant les conséquences par une appréciation différenciée des manquements.

**A. La charge de la preuve incombant à l’institution gardienne des traités**

La Cour rappelle une règle fondamentale de la procédure en manquement, qui constitue une garantie pour les droits de la défense des États membres. Elle énonce qu’« il incombe à la Commission d’établir l’existence du manquement allégué et d’apporter à la Cour les éléments nécessaires à la vérification par celle-ci de l’existence de ce manquement ». Ce principe signifie que la Cour ne saurait se fonder sur une quelconque présomption de manquement. L’absence d’informations ou la transmission d’informations incomplètes par un État ne suffit pas toujours à elle seule à établir la preuve de l’inexécution d’une obligation de fond.

La Commission doit donc aller au-delà de la simple affirmation et étayer ses allégations par des éléments concrets et précis. L’arrêt illustre que la rigueur de cette exigence varie en fonction de la nature de l’obligation en cause. Lorsque l’obligation est purement formelle, comme la soumission d’un rapport, son absence est aisée à constater. En revanche, lorsque le grief porte sur le caractère incomplet ou incorrect de mesures matérielles, la charge probatoire de la Commission devient plus lourde. Elle doit alors démontrer en quoi les actions entreprises par l’État ne satisfont pas aux exigences de la directive.

**B. L’appréciation différenciée de la preuve par la Cour**

La Cour met en application ce principe avec nuance en examinant séparément chaque grief. S’agissant du manquement à l’article 10, l’absence de soumission d’un rapport conforme aux exigences de l’annexe V dans le délai imparti est un fait matériellement incontestable. Le manquement est donc aisément établi sur ce point. En revanche, pour les articles 5 et 6, la Cour adopte une approche plus fine. Elle distingue les régions de l’État membre pour lesquelles aucune information n’a été fournie de celles pour lesquelles des mesures, même parcellaires, ont été communiquées.

Pour les premières, « l’absence totale d’informations dans le dossier peut être considérée comme une indication suffisante d’un manquement ». Dans ce cas, le silence de l’État membre permet d’établir la défaillance. Pour les secondes, la Cour estime que les allégations de la Commission sont restées trop générales. L’institution n’a pas démontré précisément en quoi les programmes d’action et les opérations de surveillance mis en place étaient insuffisants ou non conformes. Le recours est donc partiellement rejeté sur ces points faute de preuves adéquates. Cette approche pragmatique empêche la Commission de se contenter d’affirmations générales et l’oblige à un examen détaillé et circonstancié de la situation dans l’État membre.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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