Arrêt de la Cour (sixième chambre) du 9 juin 1994. – Procédure pénale contre Marc Michielsen et Geybels Transport Service NV. – Demande de décision préjudicielle: Politierechtbank Hasselt – Belgique. – Réglementation sociale des transports – Notions de « temps de travail », « jour de travail » et « fin de la période de travail ». – Affaire C-394/92.

Par un arrêt du 23 mars 1994, la Cour de justice des Communautés européennes, saisie sur renvoi préjudiciel par une juridiction pénale belge, a précisé les contours de notions temporelles essentielles en droit social des transports routiers. Un conducteur de poids lourd faisait l’objet de poursuites pour plusieurs infractions à la réglementation sociale européenne, notamment pour avoir utilisé deux feuilles d’enregistrement distinctes au cours d’une même journée. Le prévenu soutenait la régularité de son action en arguant qu’il avait entrepris une nouvelle mission après avoir achevé une première période de travail journalier. Confronté à cette argumentation, le juge national a interrogé la Cour sur l’interprétation des règlements (CEE) nº 3820/85 et nº 3821/85. La question de droit posée revenait à définir la « période de travail journalière » et la notion de « jour » afin de déterminer si un conducteur pouvait légalement utiliser plusieurs feuilles d’enregistrement au sein d’un même cycle de vingt-quatre heures. En réponse, la Cour a jugé que la « période de travail journalière » est un bloc temporel continu qui ne peut être arbitrairement fractionné par le conducteur et que le « jour » correspond à une période de vingt-quatre heures débutant à l’activation du tachygraphe.

L’apport de cet arrêt réside dans la clarification de notions fondamentales pour le contrôle du respect des règles sociales dans le transport routier, en liant la journée de travail du conducteur à un critère objectif (I). Cette interprétation rigoureuse renforce l’effectivité de la réglementation et la fiabilité des instruments de contrôle (II).

I. La clarification des notions temporelles du droit social des transports

La Cour opère une distinction conceptuelle nécessaire entre le temps de travail et la période de travail journalière, définissant cette dernière de manière extensive (A), avant de fixer son commencement et sa fin à des moments objectivement vérifiables (B).

A. La définition extensive de la « période de travail journalière »

La juridiction de l’Union européenne s’attache d’abord à distinguer la « période de travail journalière », visée à l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 3821/85, du « temps de travail » mentionné au paragraphe 3 du même article. La Cour souligne que la première notion est plus large que la seconde, car elle « vise toute la journée de travail en tant qu’espace de temps continu ». Le temps de travail, quant à lui, ne recouvre que les moments d’activité réelle du chauffeur, à l’exclusion des temps de disponibilité ou des périodes de repos.

En conséquence, la « période de travail journalière » englobe non seulement les activités strictes de travail mais aussi d’autres périodes. La Cour énonce ainsi que « `la période de travail journalière` […] inclut le temps de conduite, tous les autres temps de travail, le temps de disponibilité, les interruptions de conduite et le temps de repos journalier, pour autant qu’il ne dépasse pas la durée d’une heure, dans le cas où le conducteur divise ce temps de repos en deux ou trois périodes ». Cette définition extensive assure que l’ensemble des activités et des pauses courtes du conducteur s’inscrivent dans un cadre unique et contrôlable, empêchant une segmentation artificielle de sa journée.

B. La détermination fonctionnelle du début et de la fin de la période de travail

Après avoir délimité le contenu de la période de travail journalière, la Cour en précise le point de départ et le point d’arrivée. Elle écarte toute référence à des éléments subjectifs, comme la fin d’une mission spécifique, pour consacrer un critère fonctionnel lié à l’instrument de contrôle. La période de travail « débute au moment où, après une période de repos hebdomadaire ou journalier, le conducteur actionne le tachygraphe ». La fin de cette même période coïncide logiquement avec le début d’une nouvelle période de repos journalier ou hebdomadaire.

Parallèlement, la Cour établit une équivalence entre les termes « jour » et « période de 24 heures ». Elle précise que cette notion « vise tout espace de temps de cette durée commençant au moment où le conducteur actionne le tachygraphe, après la fin d’une période de repos hebdomadaire ou journalier ». En synchronisant le début du « jour » avec celui de la « période de travail journalière », la Cour établit un cadre temporel cohérent et unique, entièrement articulé autour de l’utilisation du tachygraphe et du respect des cycles de repos réglementaires.

II. La portée de l’interprétation au service de l’efficacité des contrôles

La solution retenue par la Cour a pour valeur principale d’écarter toute approche subjective de la journée de travail du conducteur (A). Sa portée se manifeste dans la consécration du tachygraphe comme l’instrument central garantissant la temporalité et la traçabilité de l’activité du transporteur (B).

A. Le rejet d’une conception subjective de la journée de travail

L’argumentation du prévenu dans l’affaire au principal reposait sur une vision subjective de sa journée de travail, qu’il considérait achevée avec la fin d’une mission, lui permettant d’en commencer une nouvelle avec une nouvelle feuille d’enregistrement. La Cour rejette implicitement mais fermement cette approche. En définissant la période de travail journalière comme un bloc continu s’étendant d’un repos à l’autre, elle prive le conducteur de toute latitude pour décider lui-même de la fin de sa journée de travail.

Cette interprétation objective est essentielle pour garantir les objectifs de la réglementation sociale, à savoir la sécurité routière et l’amélioration des conditions de travail. Elle prévient les risques de contournement des règles sur les temps de conduite et de repos par une utilisation frauduleuse des feuilles d’enregistrement. La solution assure une application uniforme du droit dans tous les États membres et établit des conditions de concurrence équitables entre les entreprises de transport, en soumettant tous les conducteurs à un même décompte objectif de leur activité.

B. La consécration du tachygraphe comme instrument central de la temporalité

En liant le début du « jour » et de la « période de travail journalière » à l’activation du tachygraphe, la Cour renforce le rôle de cet appareil. Il n’est plus seulement un outil d’enregistrement passif mais devient le pivot qui définit le cadre temporel dans lequel l’activité du conducteur doit s’inscrire. La feuille d’enregistrement, dont le retrait est interdit avant la fin de la période de travail journalière, se trouve ainsi consacrée comme le support unique et indivisible de cette période.

La portée de cette décision est considérable pour l’efficacité des contrôles. Elle fournit aux autorités nationales une base juridique claire et solide pour sanctionner l’usage de plusieurs feuilles sur une même période de travail journalière. La solution de la Cour donne ainsi sa pleine mesure à l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 3821/85, en faisant de l’unicité de la feuille d’enregistrement le corollaire indispensable de la continuité de la période de travail. L’arrêt constitue une pierre angulaire pour la traçabilité des activités des conducteurs et, par extension, pour la mise en œuvre effective de l’ensemble du droit social européen dans le secteur des transports par route.

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