Arrêt de la Cour (sixième chambre) du 9 septembre 1999. – Andrea Krüger contre Kreiskrankenhaus Ebersberg. – Demande de décision préjudicielle: Arbeitsgericht München – Allemagne. – Égalité de traitement entre hommes et femmes – Gratification de fin d’année – Conditions d’octroi. – Affaire C-281/97.

L’arrêt rendu par la Cour de justice des Communautés européennes le 3 décembre 1998 examine la compatibilité d’une clause de convention collective avec le principe d’égalité de rémunération entre les femmes et les hommes. En l’espèce, une salariée engagée à temps plein en qualité d’infirmière avait, à la suite d’une naissance, pris un congé d’éducation. Pendant ce congé, elle a repris une activité professionnelle pour le même employeur, mais dans le cadre d’un emploi dit mineur, caractérisé par une durée de travail et une rémunération inférieures à certains seuils légaux. L’employeur lui a alors refusé le versement d’une prime spéciale annuelle, au motif que la convention collective applicable excluait de son champ les personnes occupant un tel emploi. La salariée a contesté ce refus devant la juridiction nationale compétente.

Saisie d’un recours, la juridiction allemande a estimé que cette exclusion était susceptible de constituer une discrimination indirecte à l’encontre des femmes, celles-ci représentant la quasi-totalité des personnes exerçant une activité réduite durant un congé d’éducation. Elle a donc sursis à statuer pour interroger la Cour de justice sur la conformité de cette disposition conventionnelle avec le droit communautaire, notamment l’article 119 du traité instituant la Communauté européenne. La question posée à la Cour visait ainsi à déterminer si une clause conventionnelle excluant les travailleurs en emploi mineur du bénéfice d’une prime annuelle constitue une discrimination indirecte prohibée, dès lors qu’elle affecte un nombre beaucoup plus important de femmes que d’hommes. La Cour répond par l’affirmative, jugeant qu’une telle pratique est contraire au principe d’égalité de rémunération.

L’analyse de la Cour repose sur une qualification rigoureuse de la mesure litigieuse, permettant de la soumettre au contrôle du principe d’égalité de rémunération (I), pour ensuite en consacrer la portée en écartant les justifications fondées sur des considérations de politique sociale nationale (II).

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I. La qualification de la mesure en discrimination indirecte

Pour parvenir à sa solution, la Cour opère une double qualification. Elle rattache d’abord la prime litigieuse à la notion de rémunération au sens du droit communautaire (A), ce qui lui permet ensuite de caractériser l’exclusion de cette prime comme une discrimination indirecte fondée sur le sexe (B).

A. Le rattachement de la prime spéciale à la notion de rémunération

La Cour examine en premier lieu si la situation relevait de la directive sur l’égalité de traitement ou de l’article 119 du traité relatif à l’égalité de rémunération. Elle rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle la notion de rémunération « comprend tous les avantages en espèces ou en nature, actuels ou futurs, pourvu qu’ils soient payés, fût-ce indirectement, par l’employeur au travailleur en raison de l’emploi de ce dernier ». Cette définition large, indifférente à la nature juridique de l’avantage, permet d’englober les primes versées en application d’une convention collective.

En l’espèce, la prime spéciale annuelle, bien que dénommée « gratification » et prévue par une convention distincte, est versée par l’employeur en raison de la relation de travail. Elle constitue donc un élément du salaire. Ce faisant, la Cour écarte l’application de la directive de 1976 sur l’égalité de traitement, laquelle ne vise pas les questions de rémunération, pour placer le litige sur le terrain de l’article 119 du traité. Ce choix est déterminant car il soumet le litige à un principe fondamental du droit communautaire, d’effet direct, et non à une simple directive.

B. La caractérisation d’une discrimination indirecte

Ayant établi que la prime relevait de l’article 119, la Cour examine si son exclusion constitue une discrimination. Elle constate que la disposition conventionnelle, qui exclut les travailleurs en emploi mineur, est neutre en apparence et ne se fonde pas directement sur le sexe. Le raisonnement se déplace alors vers la recherche d’une discrimination indirecte, qui se produit lorsqu’une mesure apparemment neutre désavantage en fait un sexe par rapport à l’autre.

La Cour réaffirme sa jurisprudence établie, selon laquelle une disposition est constitutive d’une telle discrimination si elle « frappe en fait un pourcentage considérablement plus élevé de femmes que d’hommes », à moins qu’elle ne soit justifiée par des facteurs objectifs et étrangers à toute discrimination. Il appartient au juge national d’apprécier si les données statistiques démontrent cette disproportion. Si tel est le cas, la charge de la preuve est renversée, et il incombe à l’employeur de démontrer que la mesure répond à un objectif légitime et que les moyens employés sont nécessaires et appropriés.

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En établissant l’existence d’une discrimination indirecte, la Cour renforce la protection des travailleurs à temps partiel. Elle étend la portée de cette protection en limitant de manière stricte les justifications admissibles pour une telle différence de traitement.

II. La portée étendue du principe d’égalité face aux politiques nationales

La Cour consolide l’autorité du principe d’égalité de rémunération en rejetant la justification tirée des objectifs de politique sociale (A), affirmant ainsi sa primauté et étendant sa protection à une catégorie de travailleurs majoritairement féminine (B).

A. Le rejet de la justification fondée sur la politique sociale et de l’emploi

Devant la Cour, l’employeur soutenait que la mesure était justifiée par un objectif de politique sociale, celui de promouvoir les emplois mineurs, lesquels répondraient à une demande sociale spécifique. Il invoquait des arrêts antérieurs où la Cour avait reconnu aux États membres une large marge d’appréciation dans la définition de leur politique sociale. La Cour écarte cet argument en distinguant soigneusement la présente affaire des précédentes.

Elle souligne que le litige ne porte pas sur une mesure législative organisant un régime de sécurité sociale, mais sur une clause d’une convention collective qui régit la rémunération. Or, le principe d’égalité de rémunération est qualifié de « principe fondamental du droit communautaire », dont aucune norme, qu’elle soit d’origine étatique ou conventionnelle, ne saurait vider la substance. Ainsi, la liberté laissée aux États membres dans le domaine social ne peut servir de prétexte pour justifier une inégalité de traitement salarial entre travailleurs à temps plein et travailleurs à temps partiel lorsque cette inégalité affecte principalement les femmes.

B. La consolidation de la protection des travailleurs à temps partiel

En définitive, cet arrêt étend la protection conférée par l’article 119 aux travailleurs occupant des emplois à très faible durée, une catégorie où les femmes sont très majoritairement représentées. La solution s’inscrit dans une lignée jurisprudentielle visant à garantir que le travail à temps partiel ne devienne pas une source de discrimination salariale indirecte. En liant la différence de traitement à une analyse statistique de ses effets, la Cour offre un outil efficace pour contester des pratiques qui, sous couvert de neutralité, perpétuent des inégalités structurelles.

La décision rappelle que le principe d’égalité de rémunération ne se limite pas à interdire les discriminations ouvertes, mais impose également d’examiner les conséquences concrètes des règles appliquées aux travailleurs. L’exclusion d’une prime, même pour une catégorie spécifique de salariés définie par des critères objectifs comme la durée du travail, doit résister à un contrôle de proportionnalité rigoureux dès lors qu’elle pénalise de fait un sexe plus que l’autre.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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