Par un arrêt en date du 29 avril 1999, la Cour de justice des Communautés européennes, statuant en vertu d’une clause compromissoire, a précisé les contours du préjudice réparable en cas d’inexécution contractuelle. En l’espèce, la Commission européenne avait conclu deux contrats avec une commune italienne pour la réalisation de projets énergétiques, en lui versant des avances financières significatives. Face aux manquements répétés de la commune à ses obligations de calendrier et de rapport, et ce malgré plusieurs prorogations de délai, la Commission a résolu les contrats en application de clauses résolutoires expresses et a saisi la Cour. Elle demandait non seulement le remboursement des sommes avancées, majorées des intérêts contractuellement prévus, mais également l’octroi de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi, consistant en des frais de personnel et une atteinte à son crédit institutionnel. La commune défenderesse contestait la validité de la résolution des contrats ainsi que le calcul des intérêts. La question se posait donc de savoir si, au-delà de la restitution des prestations, la partie créancière pouvait obtenir réparation pour des préjudices tels que les coûts administratifs de gestion du contrat et les frais liés à la procédure juridictionnelle elle-même. La Cour de justice, tout en faisant droit à la demande de remboursement des avances, a rejeté la demande en dommages-intérêts, considérant que les coûts de gestion du dossier résultaient des propres décisions de la Commission et que les frais de procédure ne constituaient pas un préjudice distinct des dépens. La solution consacre ainsi une application rigoureuse des clauses contractuelles en matière de résolution (I), mais adopte une conception stricte du préjudice réparable en matière contractuelle (II).
I. La sanction consacrée de l’inexécution contractuelle
La décision de la Cour réaffirme avec clarté les mécanismes du droit des contrats en validant sans équivoque la résolution unilatérale fondée sur une clause résolutoire expresse (A) et en tirant les conséquences logiques de cette résolution, à savoir la restitution intégrale des sommes versées (B).
A. L’efficacité reconnue de la clause résolutoire
Le litige offrait à la défenderesse l’occasion de contester les modalités de la résolution, ce qu’elle fit en arguant notamment d’un défaut de mise en demeure par lettre recommandée ou d’une renonciation implicite de la Commission à se prévaloir de la clause. La Cour écarte sèchement ces arguments. Elle constate d’une part que la mise en demeure a bien été effectuée et que la commune y a d’ailleurs répondu, rendant inopérante toute contestation sur sa réception. D’autre part, elle juge qu’aucun élément ne permet d’établir que la Commission aurait renoncé à ses droits après l’expiration du délai fixé dans la mise en demeure. En validant la résolution, la Cour rappelle qu’une clause résolutoire expresse, convenue par les parties, permet à un contractant de mettre fin au contrat de plein droit en cas de manquement de l’autre partie à une obligation spécifiquement visée, après une mise en demeure restée infructueuse. L’analyse de la Cour se limite à vérifier que les conditions formelles et substantielles prévues par la clause ont été respectées. Elle confirme ainsi la force obligatoire du contrat et la pleine efficacité de ce type de stipulation, qui offre un outil de sécurité juridique et de célérité en permettant de dénouer une relation contractuelle sans avoir à solliciter au préalable une résolution judiciaire.
B. La conséquence automatique de la restitution des avances
Une fois la résolution des contrats acquise, la Cour en tire la conséquence principale et inévitable : le remboursement des sommes payées. L’article 8 des contrats stipulait explicitement qu’en cas de résolution, « les montants payés à titre de contribution financière doivent être immédiatement remboursés par le contractant à la Commission, majorés des intérêts ». La Cour applique cette clause à la lettre. Elle condamne la commune à restituer l’intégralité des avances perçues, dont le montant total est constant. De plus, elle fait une application tout aussi rigoureuse de la clause pénale relative aux intérêts. La défenderesse soutenait la nullité de cette clause au motif qu’elle n’aurait pas été spécifiquement approuvée. La Cour balaie cet argument en constatant que le représentant légal de la commune avait expressément approuvé par écrit l’article litigieux dans son entièreté, y compris la stipulation fixant le taux d’intérêt. La solution est orthodoxe : la résolution entraîne un anéantissement rétroactif du contrat, qui impose des restitutions réciproques. Le remboursement des avances n’est que la suite logique de cette disparition du fondement juridique des paiements effectués. En faisant prévaloir la loi des parties tant sur le principe de la restitution que sur le mode de calcul des intérêts conventionnels, la Cour ancre sa décision dans une logique purement contractuelle et prévisible.
Si la Cour consacre sans surprise les conséquences restitutoires découlant de la résolution des contrats, elle adopte une position bien plus restrictive quant à la réparation des préjudices annexes invoqués par la Commission.
II. La conception restrictive du préjudice réparable
La Cour de justice opère une distinction nette entre les conséquences directes de la résolution et les autres préjudices allégués. Elle rejette ainsi la demande d’indemnisation en refusant de considérer les frais de gestion interne comme un préjudice imputable au débiteur (A) et en posant un principe de non-indemnisation des frais de procédure en dehors des dépens (B).
A. L’exclusion des frais de gestion du périmètre de la réparation
La Commission réclamait une indemnisation pour le « gaspillage de ressources en personnel » occasionné par la gestion des contrats défaillants. La Cour rejette cette demande au motif que la Commission ne saurait imputer à son cocontractant un préjudice découlant de ses propres choix. Elle relève que les contrats lui offraient « la faculté de tirer en temps utile les conséquences de l’inobservation par son cocontractant des engagements » et que c’est dans « un esprit de disponibilité » qu’elle a octroyé des prorogations de délai. Ce faisant, la Cour estime que le temps supplémentaire passé par les agents de la Commission à suivre le dossier avant la résolution résulte non pas directement de la faute de la commune, mais de la décision de la Commission elle-même de ne pas résoudre le contrat plus tôt. Ce raisonnement s’appuie implicitement sur l’obligation pour le créancier de modérer son propre dommage. En choisissant de faire preuve de patience et d’accorder des délais, le créancier assume les coûts inhérents à cette décision. La faute du débiteur n’est donc pas la cause directe et exclusive de ce préjudice spécifique, qui aurait pu être évité par une résolution plus prompte. Cette solution, si elle peut paraître sévère pour le créancier de bonne foi qui tente de sauver la relation contractuelle, a le mérite de responsabiliser les parties et de les inciter à ne pas laisser une situation de blocage s’éterniser.
B. Le principe de l’absorption des frais de procédure par les dépens
Le second apport majeur de l’arrêt réside dans le rejet de la demande d’indemnisation des frais de procédure. La Cour énonce à cet égard une formule de principe particulièrement claire : « les frais exposés par les parties aux fins de la procédure juridictionnelle ne sauraient comme tels, en tout état de cause, être considérés comme constituant un préjudice distinct de la charge des dépens de l’instance ». Par cette affirmation, elle établit une frontière étanche entre le préjudice né de l’inexécution du contrat et les frais engagés pour obtenir en justice la sanction de cette inexécution. Ces derniers ne relèvent pas du droit de la responsabilité contractuelle, mais des règles de procédure régissant l’allocation des dépens. Les dépens, dont le montant est fixé par le juge selon des barèmes et des règles spécifiques, constituent la seule voie de droit pour obtenir le remboursement, généralement forfaitaire et partiel, des frais liés au procès. Admettre une indemnisation complémentaire au titre d’un préjudice distinct reviendrait à contourner ces règles et risquerait d’ouvrir la porte à une double indemnisation. Cette solution a une portée considérable : elle vise à maîtriser les coûts des litiges et à éviter qu’une partie victorieuse ne puisse réclamer l’intégralité de ses frais réels, y compris les honoraires de ses conseils ou le temps passé en interne, en les qualifiant de dommage contractuel. Il s’agit d’une clarification essentielle qui renforce la prévisibilité du coût d’un contentieux et affirme l’autonomie des règles procédurales par rapport au droit substantiel de la responsabilité.