Arrêt de la Cour (troisième chambre) du 10 octobre 1985. – Söhnlein Rheingold contre Hauptzollamt Wiesbaden. – Demande de décision préjudicielle: Hessisches Finanzgericht – Allemagne. – Montants compensatoires monétaires – Dispense. – Affaire 183/84.

Dans un arrêt rendu sur renvoi préjudiciel du Hessisches Finanzgericht, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé l’interprétation d’un règlement relatif à des dispositions particulières en matière de montants compensatoires monétaires. En l’espèce, une société avait importé en République fédérale d’Allemagne des vins de table depuis la France et l’Italie au cours de l’année 1973. Ces importations se fondaient sur des contrats conclus entre novembre 1972 et mars 1973. Suite à une modification du taux central du mark allemand le 29 juin 1973, les montants compensatoires monétaires applicables à ces importations ont été majorés. La société importatrice a alors demandé à bénéficier d’une mesure d’équité, prévue par le règlement n° 1608/74, visant à obtenir une dispense de la partie de ces montants correspondant à leur majoration. Les autorités nationales compétentes ont rejeté sa demande, une décision confirmée après une première réclamation. La société a alors saisi le Hessisches Finanzgericht. Devant cette juridiction, l’administration a soutenu, d’une part, que la mesure d’équité était inapplicable aux contrats conclus avant le 4 juin 1973 et, d’autre part, que l’octroi de la dispense relevait d’un pouvoir discrétionnaire. Face à ces arguments, la juridiction allemande a saisi la Cour de justice de deux questions préjudicielles. Il s’agissait de déterminer si la dispense pour motifs d’équité pouvait être accordée pour des importations fondées sur des contrats conclus avant le 4 juin 1973. Il s’agissait également de savoir si les États membres, une fois les conditions du règlement remplies, disposaient d’un pouvoir discrétionnaire pour accorder ou refuser cette dispense au cas par cas. La Cour a répondu que la dispense pouvait être accordée même pour des contrats conclus avant cette date. Elle a ajouté que si les autorités nationales disposent d’une marge d’appréciation pour vérifier si les conditions sont remplies, elles ne peuvent refuser le bénéfice de la mesure lorsque ces conditions sont réunies.

I. L’extension du champ d’application temporel de la clause d’équité

La première question portait sur le point de départ des contrats éligibles à la clause d’équité. La Cour y répond en adoptant une lecture finaliste du règlement (A), ce qui aboutit à renforcer la protection des opérateurs économiques face aux aléas monétaires (B).

A. Une interprétation téléologique de la rétroactivité du règlement

La Cour de justice devait déterminer si la date du 4 juin 1973, fixée par le règlement, s’appliquait à la conclusion des contrats ou à la réalisation des opérations d’importation. Le texte de l’article 6 du règlement n° 1608/74 stipule qu’il « est applicable aux importations ou exportations effectuées à partir du 4 juin 1973 ». En s’appuyant sur une analyse littérale de cette disposition, la Cour observe que des opérations effectuées à compter de cette date ne peuvent logiquement découler que de contrats conclus antérieurement. Cette déduction factuelle simple suffisait à écarter l’argument des autorités nationales, qui visaient à restreindre le bénéfice de la mesure aux seuls contrats conclus après le 3 juin 1973.

Au-delà de cette interprétation textuelle, la Cour fonde principalement son raisonnement sur la finalité du règlement. Elle souligne que l’objectif de ce dernier était d’« obtenir une attenuation des effets, sur les contrats en cours, des adaptations des mcm intervenues depuis le 4 juin 1973 ». L’instauration d’une mesure d’équité visait précisément à protéger les opérateurs économiques engagés dans des opérations commerciales de longue durée contre les conséquences préjudiciables d’une modification soudaine des conditions monétaires. Exclure les contrats conclus avant cette date aurait vidé la disposition de son sens et de son efficacité, puisqu’elle aurait manqué sa cible principale : les contrats en cours d’exécution surpris par la majoration des montants compensatoires.

B. La consolidation de la protection de la confiance légitime

En jugeant que la dispense peut être accordée pour des importations basées sur des contrats antérieurs au 4 juin 1973, la Cour de justice consolide le principe de protection de la confiance légitime. Les opérateurs économiques qui concluent des contrats à exécution successive ou différée doivent pouvoir se fier à un cadre réglementaire relativement stable. La majoration imprévue d’une charge fiscale ou parafiscale, comme les montants compensatoires monétaires, peut constituer une charge supplémentaire excessive que l’opérateur n’a pu éviter, même en faisant preuve de diligence. L’arrêt reconnaît implicitement que la prévisibilité des conditions économiques et réglementaires est une composante essentielle de la sécurité juridique.

La portée de cette solution dépasse le simple cadre de la politique agricole commune. Elle illustre la méthode par laquelle les clauses d’équité et les dispositions transitoires doivent être interprétées en droit de l’Union. Lorsqu’une mesure a pour objet de remédier aux difficultés nées d’un changement de réglementation, son champ d’application doit être défini de manière à atteindre cet objectif correcteur. Une interprétation restrictive qui priverait de protection les situations juridiques que le législateur entendait précisément préserver serait contraire à l’esprit de la norme. Cet arrêt établit ainsi que la finalité d’une règle prime sur une lecture littérale qui en contredirait l’objectif.

II. L’encadrement strict du pouvoir des autorités nationales

La seconde question soulevée concernait la nature du pouvoir des États membres dans l’application concrète de la clause d’équité. La Cour opère une distinction claire entre l’évaluation des conditions et la décision d’octroi (A), garantissant par là une application uniforme du droit sur le territoire de l’Union (B).

A. La distinction entre l’appréciation des conditions et l’octroi du bénéfice

La Cour reconnaît que les autorités nationales disposent d’une « certaine marge d’appréciation pour établir si les conditions posées par l’article 2, paragraphe 2, sont remplies ». Ces conditions sont factuelles : l’opérateur doit prouver, par exemple, que la perception du montant conduirait pour lui à une charge supplémentaire excessive. L’évaluation de cette charge et de la diligence de l’opérateur implique nécessairement un examen des circonstances propres à chaque cas, ce qui justifie une certaine souplesse laissée aux administrations nationales. Ce pouvoir d’appréciation n’est cependant pas illimité ; il s’exerce sous le contrôle du juge national, qui peut vérifier la matérialité des faits et la qualification juridique retenue.

Toutefois, la Cour précise que ce pouvoir d’appréciation cesse une fois que les conditions sont jugées remplies. Dès lors, l’autorité compétente « n’a pas le pouvoir de refuser la dispense ou la restitution ». La décision de l’État membre de faire usage de l’autorisation offerte par le règlement crée un droit pour les opérateurs qui satisfont aux critères objectifs. Il ne s’agit donc pas d’un pouvoir discrétionnaire permettant à l’administration de décider, pour des motifs d’opportunité, d’accorder ou non la dispense. La compétence des autorités nationales devient une compétence liée dès lors que les conditions de fond sont établies.

B. La garantie d’une application uniforme du droit de l’Union

Cette solution est fondamentale pour assurer l’application uniforme du droit de l’Union. Si les États membres disposaient d’un pouvoir discrétionnaire pour accorder ou refuser la dispense même lorsque les conditions sont réunies, la clause d’équité serait appliquée de manière divergente sur le territoire de l’Union. Des opérateurs placés dans des situations objectivement identiques pourraient être traités différemment selon l’État membre dans lequel ils réalisent leurs opérations. Une telle fragmentation serait contraire aux objectifs de la politique agricole commune et au bon fonctionnement du marché intérieur.

La portée de cet arrêt réside dans le rappel que l’autonomie procédurale des États membres trouve sa limite dans l’exigence d’effectivité et d’uniformité du droit de l’Union. En encadrant strictement la marge de manœuvre des administrations nationales, la Cour prévient les risques d’arbitraire et garantit que les droits que les opérateurs tirent d’un règlement européen ne soient pas neutralisés par des pratiques administratives nationales. Cette décision réaffirme ainsi que lorsque le droit de l’Union crée un dispositif précis, les États membres agissent en tant qu’organes d’exécution et non en tant qu’autorités dotées d’un pouvoir de décision autonome sur l’opportunité de la mesure.

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Hassan KOHEN
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