Un arrêt rendu par la Cour de justice des Communautés européennes le 12 mai 1982 offre un éclaircissement substantiel sur l’articulation entre les différents régimes de protection sociale des fonctionnaires européens. En l’espèce, un fonctionnaire mis à la retraite pour une invalidité permanente et totale s’est vu initialement appliquer le régime de pension de droit commun. L’intéressé estimait cependant que son état de santé résultait d’une maladie professionnelle, ce qui aurait dû lui permettre de bénéficier d’une pension d’invalidité plus favorable.
L’administration a pris une décision de mise à la retraite en se fondant sur l’avis d’une commission d’invalidité qui avait constaté l’incapacité permanente et totale du fonctionnaire à exercer ses fonctions, sans toutefois se prononcer sur l’origine de cette invalidité. Par la suite, le fonctionnaire a introduit une réclamation afin d’obtenir le bénéfice de la pension majorée prévue en cas de maladie professionnelle. Cette réclamation a été rejetée au motif que la cause professionnelle de l’invalidité n’avait pas été établie. Saisie du litige, la Cour a été amenée à se prononcer sur la question de savoir si la procédure de reconnaissance d’une maladie professionnelle au titre du régime d’assurance accident et maladie conditionne l’octroi d’une pension d’invalidité majorée au titre du régime de pension. En outre, il lui appartenait de déterminer si l’administration a l’obligation d’examiner d’office l’origine professionnelle d’une invalidité ou si cette diligence incombe au fonctionnaire.
À cette double interrogation, la Cour répond en affirmant, d’une part, la complète autonomie des deux régimes de protection et, d’autre part, en précisant la répartition de la charge de l’initiative. Elle juge que si le fonctionnaire doit explicitement demander à bénéficier du régime de pension plus favorable, l’administration est tenue d’instruire cette demande dès lors qu’elle est formulée, même si cela intervient après la décision initiale de mise à la retraite. L’annulation de la décision de rejet de la réclamation découle de cette analyse.
L’arrêt clarifie ainsi les procédures applicables en distinguant nettement les régimes de protection sociale (I), tout en définissant avec précision les obligations respectives du fonctionnaire et de l’administration dans la mise en œuvre du droit à pension (II).
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I. L’affirmation de l’autonomie des régimes d’indemnisation et de pension
La Cour de justice établit une distinction fondamentale entre le régime de couverture des risques professionnels et le régime de pension pour invalidité. Elle rejette ainsi l’idée d’une procédure unifiée pour la reconnaissance de l’origine d’une affection (A) et confirme par là même le rôle central et exclusif de la commission d’invalidité dans le cadre du régime de pension (B).
A. Le rejet de la procédure unique de reconnaissance de la maladie professionnelle
L’administration défenderesse soutenait que le fonctionnaire aurait dû suivre la procédure spécifique prévue par la réglementation relative à la couverture des risques d’accident et de maladie professionnelle pour faire établir la nature de son affection. Ce moyen est écarté sans ambiguïté par la Cour, qui souligne que cette réglementation a été adoptée en application de l’article 73 du statut, tandis que le litige présent concerne l’article 78, relatif à la pension d’invalidité. La Cour rappelle sa jurisprudence antérieure selon laquelle « les prestations prevues sous les deux regimes sont differentes et independantes L ‘ une de L ‘ autre ».
Cette indépendance est structurelle : l’article 73 vise à indemniser un préjudice ponctuel par un capital ou une rente, alors que l’article 78 organise le versement d’une pension de retraite anticipée en raison d’une incapacité de travail. La finalité et les modalités de ces deux dispositifs sont donc distinctes. La Cour renforce son raisonnement en citant l’article 25 de la réglementation sur les risques professionnels, qui dispose que la reconnaissance d’une invalidité au titre de ce régime « ne prejuge en aucune facon de L ‘ application de L ‘ article 78 du statut et reciproquement ». Cette dissociation empêche qu’une voie de droit puisse en conditionner une autre.
B. La consécration de la compétence exclusive de la commission d’invalidité
En conséquence de cette autonomie, la constatation de l’invalidité et de sa cause pour l’application du régime de pension doit être effectuée selon la procédure propre à ce dernier. La Cour précise que cette procédure est celle prescrite par l’annexe VIII du statut, qui régit les modalités du régime de pensions. Elle en déduit logiquement que « tant la constatation de L ‘ invalidite permanente et totale (…) que celle de la cause de cette invalidite doivent etre faites non pas conformement a la reglementation de couverture (…) mais selon les modalites et la procedure prescrites par la reglementation relative au regime de pensions ».
Ce faisant, l’arrêt confirme que la commission d’invalidité, prévue par l’article 13 de cette annexe, est l’organe compétent pour effectuer l’ensemble des constatations nécessaires à la liquidation de la pension d’invalidité. Sa mission ne se limite pas à certifier l’incapacité de travail ; elle s’étend à la recherche du lien de causalité entre l’invalidité et l’une des circonstances prévues à l’article 78, alinéa 2, du statut, lorsque cette question est soulevée. La Cour centralise ainsi l’expertise médicale au sein de l’instance statutairement désignée pour le régime de pension.
Une fois la procédure applicable clairement identifiée, la Cour se penche sur les conditions de sa mise en œuvre, ce qui l’amène à préciser la répartition des charges entre le fonctionnaire et son institution.
II. La clarification de la charge de l’initiative dans l’application du statut
L’arrêt opère une distinction temporelle dans l’examen des obligations des parties. Il reconnaît que l’initiative de la demande appartient au fonctionnaire (A), mais il impose une obligation corrélative à l’administration d’instruire toute demande, même formulée tardivement (B).
A. L’obligation pour le fonctionnaire de solliciter le bénéfice du régime dérogatoire
La Cour admet une partie de l’argumentation de l’administration en jugeant qu’« il incombe au fonctionnaire de demander le benefice de L ‘ article 78 , alinea 2 , du statut ». En l’absence d’une telle demande, l’administration n’est pas tenue, lors de la procédure initiale de mise à la retraite, d’enquêter d’office sur les causes de l’invalidité. Cette solution est pragmatique : elle évite d’imposer à l’administration une charge d’investigation systématique et potentiellement complexe dans chaque dossier d’invalidité.
Ainsi, la décision initiale de l’institution de calculer la pension du requérant sur la base du régime de droit commun, prévu à l’article 78, alinéa 3, n’était pas, en soi, fautive. Le silence initial du fonctionnaire sur l’origine professionnelle de sa maladie a légitimement permis à l’administration de s’en tenir aux conclusions premières de la commission d’invalidité, qui constataient l’incapacité sans en qualifier la cause. Le droit à un régime dérogatoire plus favorable est donc subordonné à une démarche active de la part de son bénéficiaire potentiel.
B. L’obligation corrélative pour l’administration d’instruire la demande tardive
Toutefois, la Cour opère un revirement dans son analyse dès l’instant où le fonctionnaire formalise sa demande. La réclamation introduite par ce dernier, qui visait expressément à obtenir le bénéfice de la pension majorée, modifiait la situation juridique et créait une nouvelle obligation pour l’administration. En rejetant cette réclamation sans procéder à un examen au fond, l’institution a commis une illégalité. En effet, la demande du fonctionnaire, même postérieure à la décision de mise à la retraite, imposait au Conseil de saisir à nouveau la commission d’invalidité pour qu’elle se prononce sur l’origine de l’affection.
L’arrêt souligne que cette obligation était « D ‘ autant plus de rigueur en L ‘ espece qu ‘ il ressort des observations du conseil lui-meme que la commission D ‘ invalidite N ‘ avait pas , jusqu ‘ ici , considere la cause de L ‘ invalidite ». En refusant d’instruire la réclamation, l’administration a privé le fonctionnaire de son droit à voir sa situation examinée au regard de toutes les dispositions pertinentes du statut. La Cour annule donc la décision de rejet, non pas parce que le droit du requérant à une pension majorée serait établi, mais parce que son droit à une instruction complète de sa demande a été violé. La solution garantit ainsi un juste équilibre entre la responsabilité du fonctionnaire et le devoir de diligence de l’administration.