Dans un arrêt rendu sur renvoi préjudiciel du Bundesverwaltungsgericht en date du 9 mai 1985, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé les conditions d’octroi d’une bonification spéciale pour le seigle panifiable. L’affaire opposait une coopérative agricole à l’office national d’intervention sur les marchés agricoles concernant un refus de bonification pour une livraison de seigle. L’organisme national estimait que la céréale ne satisfaisait pas aux critères de qualité fixés par le règlement communautaire n°1570/77. Saisie du litige en dernière instance, la juridiction administrative suprême allemande a interrogé la Cour de justice sur l’interprétation et la validité d’une disposition de ce règlement. La question principale portait sur la définition d’un critère technique, la « température d’empesage », et sur la conformité de ce critère avec le principe d’égalité de traitement. La Cour a jugé que la notion de « température d’empesage visée à l’article 6, paragraphe 1, cinquième tiret, du règlement n°1570/77 […] doit être interprétée en ce sens qu’elle se réfère à la température d’au moins 63 degrés celsius atteinte à l’état de viscosité maximale de la pâte ». Elle a en outre estimé que cette condition ne constituait pas une violation du principe d’égalité. L’intérêt de cette décision réside dans la méthode d’interprétation retenue par la Cour pour une norme technique et dans son application du principe d’égalité à une différenciation fondée sur des critères qualitatifs. Il convient ainsi d’étudier la clarification du critère réglementaire par la Cour (I), avant d’analyser la validation de ce même critère au regard du droit communautaire (II).
I. La clarification d’un critère technique par une interprétation téléologique
La Cour de justice a été conduite à résoudre une ambiguïté textuelle relative à une norme de qualité. Pour ce faire, elle a privilégié une lecture de la disposition à la lumière de la finalité poursuivie par le législateur communautaire.
A. L’ambiguïté d’une norme de qualité
Le litige au principal trouvait sa source dans l’interprétation d’une exigence technique précise. Le règlement n°1570/77 conditionnait l’octroi d’une bonification spéciale à ce que « les unités d’amylogrammes […] à la température d’empesage de l’amidon d’au moins 63 degrés celsius ne se situent pas au-dessous de 200 unités ». Le texte ne précisait cependant pas si cette mesure devait être effectuée à un moment spécifique du processus d’analyse de la viscosité de la pâte. Cette imprécision a fait naître deux lectures opposées. La coopérative soutenait qu’il suffisait que le seuil de 200 unités soit atteint à une température de 63 degrés, même si cela se produisait après le pic de viscosité, sur la phase descendante de la courbe de l’amylogramme. À l’inverse, l’organisme d’intervention et la Commission défendaient une interprétation plus stricte, selon laquelle la mesure devait s’effectuer précisément au moment où la viscosité atteint son maximum. L’enjeu de cette querelle d’interprétation était donc de déterminer si la condition de température se rapportait à un état particulier de la pâte ou à n’importe quelle étape du processus de chauffage.
B. La prééminence de l’objectif réglementaire
Pour trancher ce différend technique, la Cour a fait prévaloir l’objectif de la réglementation. Elle rappelle que le but du règlement est de garantir qu’un seigle de « qualité particulièrement bonne » puisse seul bénéficier de la bonification spéciale. Or, la Cour constate que l’interprétation extensive défendue par la coopérative ne permettrait pas d’assurer cet objectif de qualité. Elle s’appuie sur des informations techniques démontrant que le seigle atteignant son maximum de viscosité à une température inférieure à 63 degrés présente généralement des défauts de panification. La Cour en déduit que seule une méthode exigeant que le pic de viscosité soit atteint à 63 degrés minimum est apte à satisfaire le but poursuivi. Elle relève que cette interprétation correspond d’ailleurs à la « méthode Brabender », reconnue internationalement et conforme aux usages commerciaux que la Commission entendait consacrer. La Cour estime donc que la notion de « température d’empesage » doit être comprise comme « la température atteinte à l’état de viscosité maximale ». Par ce raisonnement téléologique, elle donne son plein effet utile à la norme en écartant une lecture qui en compromettrait la finalité.
II. La validation du critère technique au regard du principe d’égalité
Après avoir fixé l’interprétation de la norme, la Cour a examiné sa validité, contestée sur le fondement d’une rupture d’égalité. Elle a réaffirmé l’existence du principe tout en justifiant la différence de traitement établie par le règlement.
A. L’invocation du principe d’égalité de traitement
La coopérative soulevait, à titre subsidiaire, l’invalidité de la disposition pour violation du principe général d’égalité de traitement. Elle soutenait qu’un seigle atteignant un pic de viscosité élevé avant 63 degrés était de qualité équivalente à celui qui remplissait strictement le critère réglementaire. Dès lors, refuser la bonification au premier tout en l’accordant au second constituerait une discrimination injustifiée. La Cour commence par rappeler sa jurisprudence constante selon laquelle le principe d’égalité « veut que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente à moins qu’une différenciation ne soit objectivement justifiée ». La question se déplace alors sur le terrain de la comparabilité des situations. Il s’agissait de déterminer si les deux types de seigle pouvaient être considérés comme étant de qualité équivalente, ce qui aurait rendu leur traitement différencié potentiellement discriminatoire.
B. La justification du traitement différencié par une distinction qualitative
La Cour écarte l’argument de l’équivalence des qualités et, par conséquent, celui de la discrimination. Elle reconnaît que la Commission dispose d’une marge d’appréciation dans les matières techniques complexes impliquant des choix économiques et scientifiques. En l’espèce, en choisissant de se référer à un critère technique correspondant à une méthode reconnue internationalement, la Commission n’a pas excédé cette marge d’appréciation. La Cour juge ainsi que l’institution était en droit d’estimer que « le seigle dont le maximum de viscosite est atteint avant la temperature de 63 degres celsius n’est pas de qualite equivalente a celui qui est conforme au critere adopte par la reglementation en cause ». Les situations n’étant pas comparables, la différence de traitement qui en résulte est objectivement justifiée par une différence de qualité reconnue par le législateur. En conclusion, la Cour affirme que le règlement, « en réservant la possibilité d’octroi d’une bonification spéciale aux seuls producteurs de seigle dont la qualité répond aux critères qu’il établit, […] ne viole pas le principe de l’égalité ». Cette solution confirme la faculté pour les institutions de fixer des seuils et des critères stricts pour l’application des politiques communes, pourvu que ces critères reposent sur des éléments objectifs et pertinents au regard du but visé.