Par un arrêt rendu le 12 mars 1987, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé les obligations respectives des institutions de sécurité sociale dans le cadre de la constatation d’une incapacité de travail d’un travailleur migrant. En l’espèce, un ressortissant italien affilié à une caisse de sécurité sociale en Allemagne avait, durant un séjour en Italie, été déclaré en incapacité de travail. L’institution allemande compétente refusa de lui verser les indemnités journalières correspondantes pour une majeure partie de la période litigieuse. Les juridictions allemandes du premier et du second degré confirmèrent ce refus, n’accordant de prestations que pour une brève période d’hospitalisation. Saisie d’un pourvoi, la juridiction fédérale suprême en matière sociale sursit à statuer et interrogea la Cour de justice sur l’interprétation de l’article 18 du règlement n° 574/72. La question de droit posée était de déterminer dans quelle mesure l’institution compétente d’un État membre est liée par les constatations médicales opérées par l’institution du lieu de résidence du travailleur, notamment lorsque des irrégularités procédurales ont été commises. La Cour y répond en affirmant que l’institution compétente est liée, en fait et en droit, par lesdites constatations, à moins qu’elle ne mette en œuvre la procédure de contrôle spécifique prévue par la réglementation communautaire.
La solution retenue par la Cour établit un principe de confiance mutuelle entre les administrations nationales, dont la force obligatoire est notable (I), tout en organisant un système équilibré qui préserve les prérogatives de l’institution débitrice des prestations par un mécanisme de contrôle encadré (II).
I. La consécration d’un principe de confiance mutuelle dans l’évaluation de l’incapacité de travail
L’arrêt clarifie la répartition des compétences entre l’institution du lieu de résidence et l’institution compétente, en affirmant le caractère contraignant des examens menés par la première (A), une force qui n’est pas affectée par d’éventuels manquements procéduraux (B).
A. La force obligatoire des constatations établies par l’institution du lieu de résidence
La Cour de justice énonce une règle d’une grande clarté en réponse à la première question préjudicielle. Elle juge que, « si l’institution compétente ne fait pas usage de la faculté prévue au paragraphe 5 de faire contrôler l’intéressé par un médecin de son choix, elle est liée, en fait et en droit, par les constatations faites par l’institution du lieu de résidence quant à la survenance et à la durée de l’incapacité de travail ». Cette interprétation confère au mécanisme de l’article 18 du règlement n° 574/72 une portée qui dépasse la simple transmission d’informations. Il s’agit d’une véritable délégation de compétence pour l’appréciation de la situation médicale du travailleur. En précisant que la liaison s’opère « en fait et en droit », la Cour rejette implicitement la thèse selon laquelle l’institution compétente pourrait conserver une appréciation juridique autonome de la notion d’incapacité de travail définie par sa propre législation. Le diagnostic posé par les médecins de l’institution du lieu de résidence s’impose donc dans sa globalité, tant dans sa dimension factuelle que dans ses conséquences juridiques attachées à l’état de santé du travailleur. L’objectif est d’éviter que le travailleur migrant ne soit confronté à des difficultés de preuve insurmontables, particulièrement s’il a recouvré sa capacité de travail entre-temps, ce qui nuirait à l’effectivité de la libre circulation.
B. La neutralisation des irrégularités procédurales au bénéfice du travailleur
La Cour renforce la protection du travailleur migrant en écartant les conséquences de certaines défaillances procédurales. Saisie de la question de savoir si la force obligatoire des constations médicales perdurait en cas de non-respect de certains délais, la Cour répond par l’affirmative. Elle le fait tant pour le retard du travailleur à présenter son certificat d’incapacité que pour celui de l’institution du lieu de résidence à transmettre son rapport à l’institution compétente. La Cour rappelle à cette occasion l’existence d’un principe fondamental selon lequel « les vices de procédure qui ne sont pas imputables au bénéficiaire ne doivent pas produire d’effets défavorables pour celui-ci ». Ce faisant, elle fait prévaloir l’objectif de protection sociale du travailleur sur un formalisme excessif. Le droit aux prestations en espèces ne saurait être remis en cause par des manquements administratifs ou des retards mineurs qui ne sont pas de nature à empêcher la constatation matérielle de l’incapacité. Cette solution garantit une sécurité juridique essentielle pour le travailleur qui, se trouvant dans une situation de vulnérabilité due à la maladie, peut légitimement se fier à la procédure engagée dans son pays de résidence.
La solidité du principe de reconnaissance mutuelle ainsi posé n’exclut cependant pas tout contrôle. La Cour prend soin de détailler les contours de la seule voie dérogatoire offerte à l’institution compétente, qui constitue un contrepoids nécessaire à sa sujétion de principe.
II. Un système de contrôle équilibré garantissant les droits des parties
La Cour encadre la faculté pour l’institution compétente de contester l’avis de l’institution de résidence, en la conditionnant à l’exercice d’un droit de contrôle spécifique (A), dont les modalités pratiques sont soigneusement aménagées pour protéger le travailleur (B).
A. Le contrôle médical contradictoire comme unique correctif
L’article 18, paragraphe 5, du règlement n° 574/72 est interprété comme le seul mécanisme permettant à l’institution compétente de s’écarter des conclusions de l’institution du lieu de résidence. Si l’organisme débiteur des prestations a des doutes sur la réalité ou la durée de l’incapacité, il ne peut rester passif pour ensuite refuser le paiement. Il lui incombe de prendre l’initiative d’un contre-examen médical. Cette solution responsabilise l’institution compétente et structure la procédure en deux temps : une phase de reconnaissance par défaut, suivie d’une phase de vérification éventuelle. La charge de déclencher cette seconde phase lui revenant, la sécurité juridique du travailleur est renforcée. L’absence d’une telle diligence vaut acceptation des constatations initiales. Ainsi, le droit du travailleur aux prestations en espèces est consolidé dès lors que l’institution du lieu de résidence a reconnu son incapacité, et ne peut être remis en cause que par une démarche active et contradictoire de l’institution compétente. Cette architecture procédurale assure la prévisibilité et la rapidité du traitement des demandes, ce qui est conforme à l’objectif de facilitation de la libre circulation des personnes.
B. Les modalités du contrôle protectrices de la situation du travailleur
Enfin, la Cour précise les conditions d’exercice de ce contrôle de manière à ne pas porter une atteinte excessive aux droits du travailleur malade. Elle juge que « ce dernier n’est pas obligé de retourner dans l’État de l’institution compétente pour s’y soumettre à un contrôle médical ». Imposer un tel déplacement à une personne en état d’incapacité de travail constituerait une contrainte déraisonnable et une entrave indirecte à la libre circulation. L’institution compétente peut donc diligenter un examen par un médecin de son choix, y compris en le missionnant dans le pays de résidence du travailleur. Cette solution pragmatique concilie la nécessité du contrôle avec le respect de l’état de santé de l’assuré. En contrepartie, si le travailleur se soustrait sans motif valable à cet examen organisé dans des conditions respectueuses de sa situation, l’institution compétente recouvre sa liberté d’appréciation. La sanction de l’obstruction du travailleur est donc la perte du bénéfice de la reconnaissance automatique, ce qui établit un juste équilibre entre les obligations et les droits de chacune des parties.