Arrêt de la Cour (troisième chambre) du 13 avril 2000. – Commission des Communautés européennes contre République hellénique. – Manquement d’Etat – Non-transposition de la directive 94/62/CE. – Affaire C-123/99.

Dans l’affaire C-123/99, la Cour de justice des Communautés européennes a été amenée à se prononcer sur les conséquences du défaut de transposition d’une directive par un État membre dans le délai imparti. La solution rendue, bien que conforme à une jurisprudence constante, illustre avec clarté la mécanique du recours en manquement et la rigueur avec laquelle la Cour apprécie les obligations des États.

En l’espèce, une directive relative aux emballages et aux déchets d’emballages, adoptée le 20 décembre 1994, imposait aux États membres de mettre en vigueur les dispositions nationales nécessaires à sa transposition avant le 30 juin 1996 et d’en informer la Commission. Constatant l’absence de communication des mesures de transposition par un État membre, la Commission a engagé une procédure en manquement. Elle a d’abord adressé une lettre de mise en demeure le 16 janvier 1997, restée sans réponse. Par la suite, un avis motivé a été notifié le 2 octobre 1997, invitant l’État à se conformer dans un délai de deux mois. En réponse, l’État concerné a transmis, le 22 juin 1998, un simple projet de loi. La Commission, estimant que l’obligation de transposition n’était toujours pas remplie, a alors saisi la Cour de justice.

La question de droit soumise à la Cour était de savoir si le fait pour un État membre de ne pas avoir adopté les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à une directive, dans le délai fixé par l’avis motivé, constituait un manquement aux obligations qui lui incombent en vertu du traité.

La Cour de justice répond par l’affirmative, en des termes dénués de toute ambiguïté. Elle constate que « en ne prenant pas, dans le délai prescrit, les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la directive […], [l’État membre] a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de ladite directive ». La solution, bien que classique, mérite une analyse tant sur les conditions de la constatation du manquement (I) que sur la portée de cette décision dans le cadre du contentieux de l’Union (II).

I. La constatation objective du manquement à l’obligation de transposition

La décision de la Cour repose sur une appréciation stricte de l’obligation de transposition qui pèse sur les États membres (A), rendant inopérantes les justifications avancées par l’État défendeur (B).

A. Le caractère inconditionnel de l’obligation de transposer une directive

L’arrêt rappelle implicitement la nature et la force contraignante des directives en droit communautaire. En vertu de l’article 189, troisième alinéa, du traité CE (devenu article 249, troisième alinéa, CE, puis article 288 TFUE), la directive lie tout État membre destinataire quant au résultat à atteindre, tout en laissant aux instances nationales la compétence quant à la forme et aux moyens. Cette obligation de résultat implique avant tout une obligation temporelle. La Cour ne fait ici que réitérer une jurisprudence constante selon laquelle la transposition doit intervenir dans le délai fixé par la directive elle-même, ou, à défaut, dans celui fixé par l’avis motivé.

Le manquement est constitué par le seul fait objectif de l’expiration du délai sans que l’État membre ait adopté des mesures nationales contraignantes et suffisantes pour assurer la pleine application de la directive. La Cour n’a pas à rechercher les causes ou les éventuelles difficultés internes qui auraient pu retarder le processus législatif. Le raisonnement est formel : le délai était fixé au 30 juin 1996, et à la date d’expiration du délai de l’avis motivé, l’État n’avait pas formellement transposé le texte. Le manquement est donc matériellement établi, sans qu’il soit besoin d’examiner plus avant la volonté ou la négligence de l’État en cause.

B. L’indifférence des difficultés internes et des projets de loi

Face au constat de la Commission, l’État membre ne conteste pas le manquement. Il se contente d’indiquer « qu’un projet de loi est actuellement soumis à la signature des ministres compétents ». Cette défense est systématiquement écartée par la Cour de justice. Une jurisprudence bien établie considère que la simple communication d’un projet de loi, ou même l’existence de pratiques administratives conformes à la directive, ne saurait suffire à remplir l’obligation de transposition. Le droit de l’Union exige l’adoption de dispositions nationales ayant un caractère contraignant, publiées officiellement, et assurant une sécurité juridique suffisante pour les justiciables.

De plus, la Cour rappelle de manière constante qu’un État membre ne peut exciper de situations de son ordre juridique interne, y compris des lenteurs de son processus parlementaire ou des difficultés administratives, pour justifier l’inexécution d’une obligation découlant du droit de l’Union. En se bornant à mentionner un projet de loi, l’État défendeur admet implicitement son retard et ne présente aucun argument susceptible de justifier juridiquement son inaction. La Cour ne pouvait donc que constater le manquement.

II. La portée pédagogique d’un arrêt de manquement classique

Cet arrêt, au-delà de sa solution prévisible, réaffirme le rôle fondamental du recours en manquement dans l’ordre juridique de l’Union (A) et opère une distinction procédurale utile entre les différentes obligations de l’État membre (B).

A. La réaffirmation de la fonction coercitive du recours en manquement

La présente affaire est une illustration archétypale du rôle de la Commission en tant que « gardienne des traités » et de la Cour en tant qu’arbitre du respect du droit de l’Union par les États membres. Bien qu’il s’agisse d’un arrêt d’espèce, sa portée est avant tout pédagogique. Il rappelle à l’ensemble des États membres que les délais de transposition ne sont pas indicatifs mais impératifs. La procédure en manquement, de la mise en demeure à l’arrêt de la Cour, constitue un mécanisme gradué mais inflexible destiné à assurer l’effectivité du droit de l’Union.

La valeur de la décision ne réside donc pas dans une innovation jurisprudentielle, mais dans la confirmation de la rigueur du contrôle exercé par la Cour. En déclarant le manquement, la Cour ouvre la voie, en cas de non-exécution de son arrêt, à une seconde procédure en manquement, cette fois sur la base de l’article 171 du traité CE (devenu article 228 CE, puis 260 TFUE), pouvant aboutir à la condamnation de l’État à des sanctions pécuniaires. La décision constitue donc un avertissement formel et la première étape d’un processus potentiellement coercitif, indispensable à la primauté et à l’application uniforme du droit de l’Union.

B. La précision sur l’objet du grief de la Commission

Un point de droit intéressant est soulevé au paragraphe 10 de l’arrêt. La Cour y précise qu’elle n’a pas à tenir compte du défaut de communication des mesures de transposition, alors même que la Commission l’avait soulevé. Le raisonnement de la Cour est d’une logique implacable : « la Cour n’a pas à tenir compte du défaut de communication […] étant donné que [l’État membre] n’a précisément pas adopté ces dispositions dans le délai fixé ». L’obligation de communiquer les mesures de transposition est accessoire à l’obligation principale de les adopter.

En d’autres termes, on ne peut reprocher à un État de ne pas avoir communiqué des mesures qui n’existent pas. Le grief principal de non-adoption absorbe le grief secondaire de non-communication. Cette précision, bien qu’elle ne modifie pas l’issue du litige, démontre la rigueur analytique de la Cour. Elle évite de constater un manquement superflu et se concentre sur la violation fondamentale de l’obligation de résultat qui incombe à l’État membre. Cette approche clarifie l’objet du contentieux et prévient d’éventuels débats sur des manquements devenus sans objet.

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