En matière disciplinaire, le respect des droits de la défense constitue une garantie fondamentale pour le fonctionnaire mis en cause, s’imposant à l’autorité administrative à chaque étape de la procédure. Un fonctionnaire de grade A3, exerçant les fonctions de comptable au sein d’une institution de l’Union européenne, s’est vu reprocher plusieurs irrégularités dans sa gestion. À la suite d’un rapport de l’autorité investie du pouvoir de nomination, le conseil de discipline fut saisi. Au cours de son enquête, celui-ci procéda à l’audition de trois témoins sans que le fonctionnaire concerné ou son avocat ne soient présents ou même informés de la tenue de ces auditions. Le conseil de discipline recommanda finalement une sanction de blâme. L’autorité investie du pouvoir de nomination décida cependant d’infliger une sanction plus lourde, la révocation, laquelle fut ensuite commuée en une rétrogradation au grade A7 après une première réclamation de l’intéressé. C’est cette dernière décision de rétrogradation que le fonctionnaire contesta devant la Cour de justice des Communautés européennes, invoquant notamment une violation du principe du contradictoire lors de la procédure devant le conseil de discipline. La question de droit qui se posait à la Cour était donc de savoir si le respect du caractère contradictoire de la procédure disciplinaire impose que le fonctionnaire mis en cause puisse assister aux auditions de témoins et les interroger, ou si la simple communication ultérieure des procès-verbaux d’audition suffit à garantir ses droits. Par son arrêt, la Cour annule la décision attaquée, considérant que l’expression « enquête contradictoire » figurant dans le statut des fonctionnaires implique nécessairement le droit pour l’agent incriminé ou son défenseur d’être présent lors des auditions de témoins et de leur poser des questions, la communication différée des transcriptions ne pouvant suffire à assurer le respect des droits de la défense.
La solution retenue par la Cour permet de réaffirmer la place centrale du principe du contradictoire en tant que garantie procédurale substantielle (I), avant de préciser la portée concrète de cette exigence dans le déroulement de l’enquête disciplinaire (II).
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**I. La réaffirmation du principe du contradictoire comme garantie procédurale substantielle**
La Cour rappelle avec force que le conseil de discipline, bien que simple organe consultatif, est soumis au respect des garanties procédurales fondamentales (A), ce qui la conduit à rejeter une conception purement formelle et différée du contradictoire (B).
**A. L’assujettissement du conseil de discipline aux principes fondamentaux de la procédure**
La Cour prend soin de rappeler sa jurisprudence constante selon laquelle le conseil de discipline, bien qu’il ne rende que des avis, ne saurait s’affranchir des règles essentielles qui gouvernent toute procédure équitable. Elle juge ainsi que « si le conseil de discipline, dans le cadre des attributions qui lui sont conférées par l’annexe ix au statut, est un organe consultatif de l’autorité investie du pouvoir de nomination, il est cependant tenu, dans l’exercice de ses attributions, au respect des principes fondamentaux du droit de la procédure ». Cette affirmation est déterminante, car elle place la procédure consultative disciplinaire sous l’empire des mêmes exigences que celles applicables à une instance juridictionnelle. En érigeant le principe du contradictoire en un de ces « principes fondamentaux », la Cour lui confère une valeur supérieure, le détachant de sa seule mention textuelle à l’article 6 de l’annexe IX du statut pour en faire une pierre angulaire des droits de la défense. L’institution défenderesse ne pouvait donc arguer de la nature non décisionnelle de l’avis du conseil pour justifier une application atténuée de cette garantie.
**B. L’insuffisance d’une contradiction écrite et a posteriori**
Face à l’argument de l’institution selon lequel la communication des comptes rendus d’audition au fonctionnaire lui permettait de présenter ses observations écrites, la Cour oppose une fin de non-recevoir. Elle considère qu’une telle modalité ne saurait satisfaire aux exigences du contradictoire. Pour les juges, la possibilité d’une confrontation directe et immédiate avec les témoins est une composante essentielle des droits de la défense. La Cour souligne que « le dialogue qui doit pouvoir s’instaurer devant un conseil de discipline entre un témoin et le fonctionnaire incriminé n’a pas la même portée qu’une simple réponse écrite de ce fonctionnaire à un procès-verbal d’audition ». Elle met en lumière l’inégalité qu’une telle situation créerait, mais aussi et surtout la perte qualitative d’information. En effet, « le contre-interrogatoire immédiat du temoin est parfois de nature a mettre en lumiere des faits nouveaux et peut aussi amener le temoin a preciser ou a rectifier lui-meme une deposition insuffisante ou erronee ». Cette approche pragmatique démontre que le respect du contradictoire n’est pas un simple formalisme, mais un outil indispensable à la manifestation de la vérité.
Ayant ainsi consacré le principe dans sa substance, la Cour s’attache ensuite à définir les modalités pratiques de sa mise en œuvre, conférant par là même une portée significative à sa décision.
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**II. La portée de la garantie procédurale dans l’enquête disciplinaire**
La Cour ne se contente pas d’une affirmation de principe et procède à une interprétation téléologique de la notion d’« enquête contradictoire » (A), dont la méconnaissance constitue un vice substantiel entraînant nécessairement l’annulation de l’acte final (B).
**A. L’interprétation concrète de la notion d’« enquête contradictoire »**
Le cœur du raisonnement de la Cour réside dans l’interprétation qu’elle donne à l’article 6 de l’annexe IX du statut. Se référant à « une règle commune a la plupart des ordres juridiques des etats membres », elle ancre sa solution dans un patrimoine juridique partagé pour définir le contenu de la garantie. La Cour en déduit que « l’expression ‘enquête contradictoire’ utilisée par l’article 6 de l’annexe ix précitée doit être interprétée en ce sens que, lorsque le conseil de discipline décide de procéder à l’audition de témoins, le fonctionnaire incriminé ou son défenseur doit être mis en mesure d’assister à ces auditions et de poser des questions aux témoins ». Cette définition est à la fois claire et impérative. Elle transforme une obligation de moyens, qui pourrait se satisfaire d’une simple information, en une obligation de résultat consistant à assurer une participation effective de la défense à l’administration de la preuve testimoniale. Par cette interprétation constructive, la Cour établit un standard de procédure élevé qui s’impose désormais à tous les conseils de discipline des institutions.
**B. La sanction du vice substantiel de procédure**
La violation de cette règle procédurale n’est pas considérée comme une simple irrégularité. La Cour la qualifie de « vice substantiel », ce qui emporte des conséquences radicales sur la validité de la procédure subséquente. La constatation de ce vice suffit, à elle seule, à justifier l’invalidation de l’avis rendu par le conseil de discipline, sans qu’il soit nécessaire pour la Cour d’examiner les autres moyens soulevés par le requérant, qu’ils soient de procédure ou de fond. En conséquence, la décision finale de rétrogradation prise par l’autorité investie du pouvoir de nomination, parce qu’elle a été adoptée « au vu de l’avis ainsi rendu », est privée de base légale et doit être annulée. Cette solution démontre la primauté accordée au respect des formes procédurales, considérées non comme une fin en soi, mais comme la condition sine qua non d’une décision juste et équitable sur le fond. La sanction disciplinaire, aussi fondée soit-elle matériellement, ne peut survivre à une procédure qui a méconnu de manière aussi flagrante les droits de la défense.