Arrêt de la Cour (troisième chambre) du 20 juin 1985. – Steffen Klein contre Commission des Communautés européennes. – Médecin – Contrat de prestations de services – Droits à pension conformément au droit applicable au contrat – Compétence de la Cour: article 181 du traité CEE. – Affaire 123/84.

L’arrêt rendu par la Cour de justice des Communautés européennes le 11 mai 1984, dans l’affaire 123/84, offre un éclaircissement sur la délimitation du statut des agents communautaires par rapport aux prestataires de services externes. Un médecin, ayant exercé pour une institution communautaire durant plusieurs décennies sur la base d’un contrat de prestations de services régi par le droit belge, s’est vu notifier la fin de sa mission. Estimant que sa longue collaboration relevait en réalité d’un rapport de travail subordonné, il a réclamé le bénéfice d’une pension de retraite au titre du régime applicable aux agents des Communautés. Après le rejet de sa réclamation administrative, l’intéressé a saisi la Cour de justice. Il soutenait à titre principal que la relation contractuelle aurait dû être qualifiée d’engagement en tant qu’agent communautaire, rendant le recours au droit national irrégulier. Subsidiairement, il affirmait que, même sous l’empire du droit belge, la relation constituait un contrat de travail d’employé en raison du lien de subordination existant, ouvrant droit à une pension selon ce régime national. La question de droit posée à la Cour était donc double : d’une part, de déterminer si une institution communautaire peut légalement engager un collaborateur par un contrat de droit national en dehors des cadres statutaires prévus pour ses agents ; d’autre part, d’apprécier, selon le droit national désigné, la nature de la relation contractuelle pour en déduire un éventuel droit à pension. La Cour a répondu en affirmant la validité du recours à un contrat de droit privé national, sauf à démontrer un détournement de procédure visant à éluder l’application du statut communautaire. Elle a ensuite jugé, en application du droit belge, que les faits de l’espèce ne caractérisaient pas un lien de subordination, mais une prestation de services indépendante, excluant ainsi tout droit à une pension de retraite.

La solution retenue par la Cour de justice précise de manière significative les frontières entre le statut de la fonction publique européenne et les contrats de droit privé, en posant une interprétation stricte des conditions d’application du premier (I). Par voie de conséquence, elle confirme la compétence du juge communautaire pour appliquer un droit national lorsque le contrat le prévoit, se livrant à une analyse factuelle pour qualifier la nature de la relation de travail (II).

I. La délimitation stricte du champ d’application du droit de la fonction publique européenne

L’arrêt établit clairement que le régime des agents communautaires ne peut être étendu à des situations non prévues par les textes, en procédant à une interprétation restrictive des statuts (A). Il admet toutefois la possibilité pour les institutions de recourir à des contrats de droit national, mais encadre cette faculté par la notion de détournement de procédure (B).

A. L’interprétation restrictive des statuts communautaires

Le requérant soutenait que sa situation devait être rattachée à l’une des catégories prévues par le régime applicable aux autres agents (RAA), notamment celle d’agent temporaire. La Cour examine méthodiquement chaque catégorie définie par le RAA, à savoir agent temporaire, agent auxiliaire, agent local et conseiller spécial. Elle constate qu’aucune de ces définitions ne correspond aux fonctions de médecin vacataire à temps partiel exercées par l’intéressé. Par exemple, la qualité d’agent temporaire, revendiquée par le requérant, vise des fonctions bien spécifiques qui ne sont manifestement pas celles en cause. De même, le statut d’agent auxiliaire est exclu en raison de sa durée maximale d’un an, incompatible avec les vingt-cinq années d’exercice du médecin.

En refusant de procéder à une assimilation, la Cour réaffirme un principe fondamental de son interprétation du droit de la fonction publique. Elle rappelle que, comme elle l’a jugé antérieurement, « les dispositions du statut comportent une terminologie précise dont l’extension par analogie a des cas non visés de façon explicite est exclue ». Ce postulat s’applique également au régime applicable aux autres agents. Cette approche formaliste garantit la sécurité juridique et empêche une extension incontrôlée du champ d’application des statuts, qui sont conçus pour répondre à des besoins spécifiques et structurés de l’administration communautaire. La Cour refuse ainsi de créer une nouvelle catégorie d’agent par voie prétorienne, renvoyant implicitement au législateur la responsabilité de faire évoluer les textes s’il l’estime nécessaire.

B. La reconnaissance conditionnelle du recours au droit national

Dès lors que la situation du requérant n’entrait dans aucune des catégories du RAA, la Cour devait se prononcer sur la légalité du contrat soumis au droit belge. L’argument central du requérant était qu’une institution communautaire ne pouvait engager du personnel que sous l’un des deux régimes communautaires. La Cour rejette cette vision binaire. Elle admet qu’une institution peut recourir à un contrat de droit privé national pour des besoins qui ne correspondent pas aux emplois statutaires. Cette solution pragmatique permet aux institutions de disposer de la souplesse nécessaire pour s’adjoindre des compétences externes spécifiques, notamment pour des prestations à temps partiel ou très spécialisées.

Cependant, cette liberté n’est pas absolue. La Cour y apporte une limite de taille en précisant que le choix du droit national ne doit pas constituer un artifice juridique. Le recours à un tel contrat serait illégal « dans l’hypothèse où la commission aurait défini les conditions d’emploi de l’intéressé, non pas en fonction des besoins du service, mais en vue d’échapper à l’application des dispositions de ce régime, et aurait ainsi commis un détournement de procédure ». En l’espèce, les éléments du dossier n’ont pas permis d’établir une telle intention de la part de l’institution. Cette réserve est capitale, car elle constitue un garde-fou contre les abus potentiels, protégeant les individus contre des situations où une institution chercherait délibérément à les priver des garanties offertes par le droit de la fonction publique européenne.

II. L’application du droit national à un litige contractuel par la Cour de justice

Ayant écarté l’application du droit communautaire, la Cour se tourne vers l’analyse des conclusions subsidiaires fondées sur le droit belge, conformément à la clause contractuelle. Elle se livre alors à une recherche minutieuse du lien de subordination (A), ce qui la conduit à confirmer la qualification de la relation en tant que prestation de services indépendante (B).

A. La recherche du lien de subordination en droit social belge

Le requérant avançait plusieurs indices pour prouver sa subordination : l’autorité du chef de service, un horaire imposé, l’exécution des tâches dans les locaux et avec le matériel de l’institution, et l’interdiction de se constituer une clientèle parmi les fonctionnaires. Pour apprécier ces éléments, la Cour se réfère à la loi belge et à sa jurisprudence, qui lient la qualification de contrat de travail d’employé à l’existence d’un lien de subordination. Elle examine chaque fait présenté pour déterminer s’il révèle l’exercice d’une autorité, d’une direction et d’une surveillance par l’employeur sur le travailleur.

La Cour opère une distinction subtile mais décisive. Elle considère que les contraintes d’organisation, telles que la fixation d’un horaire ou la mise à disposition de locaux, ne sont pas en soi des preuves de subordination. Elles traduisent simplement « la nécessité pour toute administration d’organiser rationnellement ses services ». Selon la Cour, ces éléments n’établissent pas que le médecin, « dans l’exercice de ses compétences proprement médicales », se trouvait placé dans une position de subordination. L’analyse se concentre donc sur l’autonomie dans l’exercice de l’art médical lui-même, plutôt que sur le cadre administratif dans lequel il s’insère. Cette interprétation restrictive du critère de subordination est déterminante pour l’issue du litige.

B. La confirmation de la qualification de prestataire de services indépendant

Sur la base de cette analyse, la Cour conclut que le contrat était bien, comme son intitulé l’indiquait, un « contrat de prestations de services ». Les faits invoqués ne suffisent pas à le requalifier en contrat de travail subordonné. La Cour écarte également l’argument du requérant tiré du fait que l’institution ait, postérieurement à son licenciement, engagé d’autres médecins sous le régime du contrat de travail d’employé. Elle juge cette circonstance « sans incidence sur la nature des liens qui unissaient » les parties au litige, réaffirmant ainsi le principe selon lequel la nature d’un contrat s’apprécie au moment de sa formation et de son exécution, et non au regard des pratiques ultérieures de l’une des parties.

Cette conclusion scelle le sort de la demande subsidiaire. En l’absence d’un contrat de travail subordonné au sens du droit belge, le requérant ne pouvait prétendre à une pension de retraite à ce titre. La décision démontre la capacité de la Cour de justice à endosser le rôle de juge du contrat de droit privé, en interprétant et appliquant un droit national avec la même rigueur que lorsqu’elle manie le droit communautaire. Elle confirme que l’autonomie des parties dans le choix de la loi applicable au contrat est respectée, à condition que ce choix ne masque pas une fraude à la loi communautaire.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture