Arrêt de la Cour (troisième chambre) du 20 mars 1980. – Gebrüder Bagusat KG contre Hauptzollamt Berlin-Packhof ; Einkaufsgesellschaft der deutschen Konservenindustrie mbH contre Hauptzollamt Hamburg-Waltershof et Hauptzollamt Bad Reichenhall. – Demandes de décision préjudicielle: Bundesfinanzhof – Allemagne. – Tarif douanier commun, cerises présentées dans un mélange d’eau et d’alcool. – Affaires jointes 87, 112 et 113/79.

Par un arrêt du 12 juillet 1979, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé les critères de classement tarifaire pour des fruits conservés dans un mélange d’eau et d’alcool. En l’espèce, des entreprises importatrices avaient mis en libre pratique des lots de cerises conservées dans une solution d’eau et d’alcool éthylique. Ces marchandises étaient destinées à être transformées par l’industrie chocolatière. L’administration douanière, se fondant sur un règlement de la Commission, a classé ces produits dans la sous-position 20.06 B I du tarif douanier commun, relative aux fruits préparés ou conservés avec addition d’alcool. Les entreprises importatrices ont contesté ce classement, soutenant que les cerises relevaient de la position 08.11, qui vise les fruits conservés à titre provisoire et impropres à la consommation en l’état, et qui est soumise à un régime de taxation moins élevé. Le litige fut porté devant le Bundesfinanzhof allemand, qui décida de surseoir à statuer et de poser à la Cour de justice plusieurs questions préjudicielles. Il était ainsi demandé à la Cour de déterminer si des fruits conservés dans un mélange d’eau et d’alcool, destinés à une transformation industrielle ultérieure, doivent être considérés comme « impropres à la consommation en l’état » au sens de la position 08.11, et d’apprécier par conséquent la validité du règlement de la Commission qui opérait ce classement. La Cour de justice répond que le critère déterminant est l’aptitude objective à la consommation sans danger pour la santé, et non la destination finale du produit ou son caractère appétissant. Elle confirme par là même la validité du règlement de la Commission et le classement tarifaire contesté. La solution retenue par la Cour repose sur une interprétation stricte des conditions de classement tarifaire (I), laquelle conduit à affirmer la pleine validité de l’acte réglementaire de la Commission (II).

I. L’interprétation stricte du critère de consommation en l’état

La Cour de justice, pour délimiter le champ d’application des positions tarifaires concernées, s’attache à une définition objective des caractéristiques du produit au moment de son importation. Elle rejette ainsi une approche fondée sur la destination ultérieure des marchandises (A) pour consacrer un critère objectif de comestibilité (B).

A. Le rejet d’une approche finaliste du classement douanier

Les entreprises requérantes au principal faisaient valoir que les cerises, destinées à l’industrie chocolatière, n’étaient conservées dans l’alcool que de manière temporaire pour le transport. Selon elles, cette finalité industrielle justifiait une classification en tant que produit conservé provisoirement au titre de la position 08.11. La Cour écarte fermement cet argument en se fondant sur la lettre même du tarif douanier commun. Elle énonce de manière claire que « la question de savoir si les marchandises litigieuses sont appelées ou non à faire l’objet d’une transformation ultérieure est sans importance aux fins de la délimitation du champ respectif des positions 08.11 et 20.06 ». Ce faisant, elle rappelle un principe fondamental du droit douanier selon lequel le classement d’une marchandise doit s’opérer sur la base de ses propriétés et caractéristiques objectives au moment de sa présentation en douane, et non en fonction de son usage futur. L’intention de l’opérateur économique ou le processus industriel postérieur à l’importation sont donc jugés inopérants pour déterminer la nature tarifaire du produit. Cette position assure une application uniforme du tarif douanier et prévient les incertitudes qui naîtraient d’un examen au cas par cas de la destination des marchandises.

B. La consécration d’un critère objectif de comestibilité

Le débat se déplace alors sur la notion de produit « impropre à la consommation » en l’état. La position 08.11 exige cette condition pour s’appliquer. Les requérantes soutenaient que les cerises, présentées dans une solution alcoolisée, n’étaient pas appétissantes et qu’il n’était pas usuel de les consommer telles quelles. La Cour de justice oppose une interprétation rigoureuse et objective de la notion. Elle juge que le caractère peu appétissant ou l’usage courant ne suffisent pas à rendre un produit impropre à la consommation. Le seul critère pertinent est celui de la sécurité sanitaire. La Cour précise que le fait que les marchandises ne soient pas considérées comme appétissantes « ne signifie pas qu’elles sont par le fait même impropres à la consommation aussi longtemps qu’elles peuvent être consommées en l’état sans danger pour la santé ». L’impropriété à la consommation s’entend donc d’une impossibilité matérielle ou d’un risque pour la santé humaine, et non d’une appréciation subjective, gustative ou culturelle. En l’absence de preuve d’un danger sanitaire, les cerises, bien que destinées à être transformées, sont considérées comme propres à la consommation et doivent donc être exclues de la position 08.11.

II. La confirmation de la portée du pouvoir réglementaire de la Commission

L’interprétation stricte du tarif douanier commun amène logiquement la Cour à valider l’action de la Commission. Elle rappelle d’abord le cadre juridique dans lequel s’inscrit cette action, marqué par une large délégation de compétence (A), avant de confirmer la validité du règlement litigieux comme une conséquence directe de l’analyse menée (B).

A. La reconnaissance d’un large pouvoir d’appréciation

La Cour prend soin de rappeler le fondement de l’intervention de la Commission en la matière. Elle souligne que « le conseil a conféré à la commission, agissant en coopération avec les experts douaniers des états membres, un large pouvoir d’appréciation pour préciser le contenu des positions tarifaires entrant en ligne de compte pour un classement ». Ce rappel n’est pas anodin, car il situe le contrôle de la Cour non pas au niveau d’une simple divergence d’interprétation, mais sur le terrain de l’excès de pouvoir. La question n’est pas de savoir si une autre classification aurait été possible, mais si la Commission a outrepassé les limites de son pouvoir en adoptant le règlement n° 1709/74. En qualifiant ce pouvoir de « large », la Cour annonce que son contrôle sera restreint. Elle ne substituera pas sa propre appréciation à celle de la Commission, mais vérifiera seulement que cette dernière n’a pas commis d’erreur manifeste ou méconnu le texte du tarif douanier commun. Cette approche renforce la légitimité des actes d’exécution pris par la Commission pour assurer une gestion uniforme et efficace du tarif douanier.

B. La validité du règlement comme conséquence logique de l’interprétation

Dès lors que la Cour a établi que les cerises en cause ne pouvaient être qualifiées d’impropres à la consommation au sens de la position 08.11, la validité du règlement de la Commission qui les classe dans la sous-position 20.06 B I en devient la suite logique. La Commission, en considérant que des cerises présentées dans un mélange d’eau et d’alcool ne sont pas pour autant rendues impropres à la consommation, n’a fait qu’adopter une interprétation conforme aux textes. Les requérantes n’ayant apporté aucun élément démontrant que cette appréciation serait « manifestement inexacte » ou que la consommation de ces fruits présenterait un risque sanitaire, la Cour conclut que la Commission n’a pas méconnu les limites de son pouvoir. La décision a ainsi une portée qui dépasse le simple cas des cerises à l’alcool. Elle confirme la méthode d’interprétation des nomenclatures douanières et la marge d’appréciation dont jouit la Commission pour préciser le contenu des positions tarifaires, contribuant ainsi à la sécurité juridique et à l’application uniforme du droit douanier dans l’ensemble de la Communauté.

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