Arrêt de la Cour (troisième chambre) du 21 mars 1985. – Michael Paul contre Hauptzollamt Emmerich. – Demande de décision préjudicielle: Finanzgericht Düsseldorf – Allemagne. – Trafic frontalier – Importations en franchise. – Affaire 54/84.

Par un arrêt rendu dans le cadre d’une procédure préjudicielle, la Cour de justice des Communautés européennes a été amenée à préciser l’interprétation d’une notion clé du droit douanier communautaire. En l’espèce, un résident d’une commune frontalière allemande avait importé des cigarettes achetées aux Pays-Bas. Lors de son passage à un poste de douane situé à une distance notable de son domicile, l’administration douanière nationale a limité la quantité de marchandises admises en franchise, en application d’une réglementation allemande spécifique aux résidents frontaliers. Cette réglementation restreignait la franchise pour les voyages n’excédant pas une profondeur de quinze kilomètres en territoire étranger, sans considération du lieu de franchissement de la frontière. Le résident a contesté cette décision devant les juridictions nationales. La juridiction de renvoi, le Finanzgericht Düsseldorf, a alors saisi la Cour de justice d’une question préjudicielle visant à déterminer le champ d’application de l’expression « trafic frontalier » au sens du droit communautaire, afin d’apprécier la conformité de la réglementation nationale. Se posait ainsi la question de savoir si la zone géographique pertinente pour l’application de franchises réduites aux frontaliers devait être définie comme une bande continue le long de la frontière ou comme un périmètre circulaire calculé à partir du point de passage. À cette interrogation, la Cour répond que « l’expression ‘zone frontaliere’ […] doit etre interpretee comme visant une zone circulaire definie par un rayon de 15 km et dont le centre se situe au point de passage en douane ».

La Cour opère ainsi une délimitation précise de la dérogation applicable au trafic frontalier (I), dont la portée renforce la protection des droits du citoyen dans le marché intérieur (II).

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I. La délimitation de la dérogation applicable au trafic frontalier

L’interprétation retenue par la Cour repose sur une approche finaliste de la notion de zone frontalière (A), aboutissant à une définition matérielle et fonctionnelle de celle-ci (B).

A. Une interprétation téléologique de la notion de zone frontalière

La Cour de justice fonde son raisonnement sur les objectifs mêmes du système des franchises intracommunautaires. Elle rappelle que ce régime vise à ce que « la population prenne plus fortement conscience de la realite du marche commun ». L’institution de franchises pour les marchandises contenues dans les bagages personnels des voyageurs constitue une étape vers la réalisation d’un marché intérieur, en attendant une harmonisation fiscale complète.

Dans ce contexte, la faculté laissée aux États membres de restreindre ces franchises pour les résidents frontaliers constitue une exception. Cette dérogation est motivée par le souci de protéger le commerce local et d’éviter les abus que la situation géographique privilégiée de ces résidents pourrait entraîner. Toutefois, la Cour souligne que « l’etendue de cette faculte offerte aux etats membres […] doit etre entendue strictement en consideration des objectifs generaux ». C’est donc par une interprétation stricte et téléologique que la Cour aborde la définition de la zone frontalière, refusant une application extensive qui nuirait à l’objectif principal de libéralisation des échanges pour les voyageurs.

B. La consécration d’une définition matérielle et fonctionnelle

La Cour traduit cette approche finaliste en une définition géographique précise. Elle rejette une conception abstraite de la zone frontalière, qui la définirait comme une bande de quinze kilomètres courant le long de l’intégralité de la frontière. Une telle approche aurait pour conséquence de pénaliser un résident frontalier effectuant des achats loin de son domicile, dans des conditions similaires à celles d’un résident non frontalier.

Au contraire, la Cour établit un lien fonctionnel entre la restriction et l’avantage qu’elle est censée contrebalancer. Elle juge que « le souci de protection du commerce local contre d’eventuels abus de la part des residents frontaliers ne saurait justifier une limitation des franchises que pour les achats facilites par la localisation particuliere de leur residence ». La seule justification à une franchise réduite réside dans la proximité immédiate entre le domicile, le lieu d’achat et le point de passage. Par conséquent, la Cour consacre une définition circulaire, centrée sur le lieu de franchissement de la frontière, comme étant la plus apte à circonscrire la dérogation à sa seule finalité légitime.

II. La portée de la solution au regard des droits du citoyen

Cette décision, en précisant le droit applicable, affirme la primauté des objectifs du marché intérieur (A) et constitue un jalon dans le renforcement des droits conférés aux citoyens européens (B).

A. L’affirmation de la primauté des objectifs du marché intérieur

En définissant strictement la zone frontalière, la Cour de justice censure indirectement la logique de la réglementation nationale allemande. Cette dernière appliquait une restriction uniforme à tout résident d’une commune frontalière, quel que soit son point de passage. Une telle approche créait une inégalité de traitement entre les citoyens et entravait la libre circulation plus que ne le justifiait l’objectif poursuivi.

La solution retenue garantit une application uniforme du droit communautaire sur l’ensemble du territoire de l’Union. Elle rappelle que les facultés dérogatoires accordées aux États membres ne les autorisent pas à adopter des mesures qui iraient à l’encontre des principes fondamentaux du traité, notamment celui de la réalisation d’un marché intérieur. La protection du commerce local ne saurait servir de prétexte à une restriction disproportionnée des franchises accordées aux voyageurs, qui sont une manifestation concrète du marché commun pour les citoyens.

B. Le renforcement progressif des droits du citoyen européen

La portée de cet arrêt dépasse la simple question technique douanière. Il s’inscrit dans une dynamique de construction d’une Europe des citoyens, où les droits individuels tirés du droit communautaire sont effectivement protégés contre des interprétations nationales trop restrictives. La Cour précise que les limitations de franchise ne sont pas applicables si le résident frontalier « apporte la preuve qu’il se rend hors de la zone frontaliere ou qu’il ne revient pas de la zone frontaliere de l’etat membre voisin ».

En liant la restriction à une situation de fait précise, l’achat à proximité du point de passage, la Cour renforce la sécurité juridique pour le voyageur. Bien que la décision soit rendue dans un contexte où l’harmonisation fiscale n’est pas achevée, elle assure que le régime transitoire des franchises soit mis en œuvre de la manière la plus favorable à la libre circulation. Cette solution d’espèce, par la force de son raisonnement fondé sur les finalités du traité, pose un principe protecteur pour le citoyen européen se déplaçant au sein de la Communauté.

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