Arrêt de la Cour (troisième chambre) du 21 mars 1991. – SAFA Srl contre Amministrazione delle finanze dello Stato. – Demande de décision préjudicielle: Tribunale civile e penale di Genova – Italie. – Organisation commune des marchés dans le secteur des matières grasses – Prélèvement à l’importation. – Affaire C-359/89.

Par un arrêt rendu dans le cadre d’une procédure préjudicielle initiée par une juridiction italienne, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé les conditions de mise en œuvre d’un mécanisme de fixation des prélèvements à l’importation par voie d’adjudication. Une société importatrice contestait la validité des prélèvements acquittés lors de l’importation d’huile d’olive non traitée depuis la Grèce au cours des années 1979 et 1980. Ces prélèvements avaient été systématiquement déterminés non par application d’un taux fixe, mais par un système d’adjudication mis en place par la Commission. Saisie par l’entreprise en vue d’obtenir le remboursement de ces sommes, l’administration fiscale nationale a vu son litige porté devant le juge national. Ce dernier, confronté à une question d’interprétation et de validité du droit communautaire, a sursis à statuer. Il a interrogé la Cour sur le point de savoir si les règlements relatifs à l’organisation commune des marchés dans le secteur des matières grasses permettaient à la Commission de recourir de manière constante à la procédure d’adjudication pour fixer le prélèvement à l’importation, et, dans l’affirmative, si un tel dispositif ne portait pas atteinte aux droits fondamentaux des opérateurs économiques. En réponse, la Cour de justice a jugé que le recours constant à la procédure d’adjudication était autorisé dès lors qu’il était impossible de déterminer la tendance réelle du marché. Elle a de surcroît estimé que ce mécanisme, nécessaire à la stabilisation du marché, ne constituait ni une violation du droit au libre exercice des activités économiques, ni une méconnaissance du principe d’égalité de traitement.

La solution retenue par la Cour de justice valide un instrument de gestion de marché conférant à la Commission une large marge de manœuvre, justifiée par la structure particulière du marché concerné (I). En conséquence, elle écarte les griefs fondés sur la violation des droits fondamentaux, considérant le mécanisme comme une restriction proportionnée et non discriminatoire (II).

I. La légitimation d’un mécanisme dérogatoire de fixation des prélèvements

La Cour justifie le recours continu au système d’adjudication en se fondant sur une analyse pragmatique des conditions de marché (A), ce qui la conduit à confirmer l’étendue des pouvoirs d’appréciation reconnus à la Commission dans le cadre de la politique agricole commune (B).

A. La justification par l’absence de tendance du marché

Le principe régissant l’organisation commune des marchés dans le secteur de l’huile d’olive est la perception d’un prélèvement à l’importation visant à compenser la différence entre les prix mondiaux et les prix intracommunautaires. Toutefois, la réglementation prévoit une alternative. L’article 16 du règlement n° 136/66, comme l’article 5 du règlement n° 2749/78 applicable aux échanges avec la Grèce, dispose que le prélèvement est fixé par voie d’adjudication « lorsque les offres sur le marché mondial de l’huile d’olive non traitée ne permettent pas de déterminer la tendance réelle de ce marché ». C’est sur cette base que la Commission a agi. La Cour observe que, durant la période en cause, le marché mondial et le marché hellénique de l’huile d’olive non traitée se caractérisaient par une opacité structurelle. Le volume limité des exportations, l’existence de monopoles étatiques ou de concertations entre un nombre restreint d’opérateurs rendaient impossible la détermination d’un cours fiable et, partant, d’une tendance de marché.

Dans ces conditions, la Cour conclut que le critère factuel autorisant le déclenchement de la procédure d’adjudication était rempli. La persistance de cette situation anormale sur une longue période, en l’occurrence deux années, justifiait logiquement que la Commission recoure de manière ininterrompue à cette procédure dérogatoire. La constance de l’exception devenait la règle imposée par les circonstances.

B. La confirmation d’une compétence étendue de la Commission

En validant le choix de la Commission, la Cour réaffirme une jurisprudence constante relative à la répartition des compétences entre le Conseil et la Commission dans la gestion des marchés agricoles. Elle rappelle que le Conseil peut conférer à la Commission « de larges pouvoirs d’appréciation et d’action », notamment lorsque la situation exige une surveillance attentive et une capacité de réaction rapide. Le pouvoir de décider si une tendance de marché est identifiable ou non relève de cette compétence d’appréciation, encadrée par les objectifs généraux de l’organisation de marché, au premier rang desquels figure la stabilisation des prix. Le système d’adjudication, en permettant de fixer un prélèvement minimal sur la base des soumissions des opérateurs tout en tenant compte de la situation du marché communautaire, constitue un outil essentiel pour atteindre cet objectif en l’absence de prix de référence externe.

Le raisonnement de la Cour établit ainsi que le pouvoir d’appréciation de la Commission, bien que large, n’est pas arbitraire. Il est la contrepartie nécessaire à la poursuite efficace des finalités de la politique agricole commune face à des marchés instables ou imparfaits.

Ayant ainsi établi la légalité du recours constant au système d’adjudication, la Cour devait encore examiner si ce mécanisme, par les contraintes qu’il impose aux opérateurs, ne portait pas une atteinte illégitime à leurs droits fondamentaux.

II. La validation du système d’adjudication au regard des droits fondamentaux

La Cour examine successivement les deux griefs soulevés, rejetant l’idée d’une atteinte disproportionnée à la liberté d’entreprendre (A) et écartant l’argument d’une rupture d’égalité entre les importateurs (B).

A. Le rejet d’une atteinte disproportionnée au libre exercice des activités économiques

La société requérante soutenait que le large pouvoir d’appréciation de la Commission créait une incertitude préjudiciable au libre exercice de ses activités économiques. La Cour, tout en reconnaissant que la liberté d’entreprise fait partie des principes généraux du droit communautaire, rappelle qu’elle n’est pas une prérogative absolue et peut faire l’objet de restrictions justifiées par des objectifs d’intérêt général, à condition que celles-ci ne soient pas démesurées. En l’espèce, l’objectif de stabilisation du marché de l’huile d’olive constitue un tel objectif. La Cour considère que le système d’adjudication est un instrument nécessaire et adapté pour y parvenir lorsque la structure du marché ne permet pas de fixer un prix représentatif. Les limitations qu’il engendre pour les opérateurs ne sauraient dès lors être « regardées comme constituant une intervention démesurée qui porterait atteinte à la substance même de ce droit ».

L’analyse de la proportionnalité est donc au cœur du raisonnement. La mesure est jugée adéquate car elle répond à une défaillance de marché et poursuit un but légitime inscrit dans le traité. L’atteinte portée au droit des opérateurs est considérée comme secondaire par rapport à l’impératif de régulation du marché.

B. La neutralisation de la rupture d’égalité de traitement entre opérateurs

Le second grief portait sur la violation du principe d’égalité, au motif que le système d’adjudication conduit inévitablement à ce que des importateurs acquittent des prélèvements de montants différents pour un même produit. La Cour rappelle que ce principe, expression de l’interdiction de discrimination de l’article 40 du traité, exige que des situations comparables ne soient pas traitées différemment, sauf justification objective. Or, pour la Cour, les situations des différents importateurs ne sont pas nécessairement comparables. Elle relève que, sur un marché imparfait, « les opérateurs économiques ont pu se procurer de l’huile d’olive non traitée à des prix différents ». Par conséquent, leur permettre de proposer des prélèvements variables en fonction de leurs conditions d’achat spécifiques ne constitue pas une rupture d’égalité.

Le système offre à chaque opérateur la liberté de calculer son offre de prélèvement en fonction de ses propres coûts et de la rentabilité escomptée de son opération. Ainsi, l’égalité des chances est préservée, même si les résultats individuels diffèrent. La différenciation de traitement est donc objectivement justifiée par la diversité des situations économiques initiales des importateurs, ce qui neutralise l’accusation de discrimination.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture