Arrêt de la Cour (troisième chambre) du 22 octobre 1992. – William Dowling contre Irlande, Attorney General et Minister for Agriculture and Food. – Demande de décision préjudicielle: Supreme Court – Irlande. – Prélèvement supplémentaire sur le lait. – Affaire C-85/90.

La décision commentée, rendue par la Cour de justice des Communautés européennes en 1992, porte sur l’interprétation des règlements communautaires instituant un prélèvement supplémentaire dans le secteur du lait et des produits laitiers. En l’espèce, un producteur avait souscrit un engagement de reconversion de son troupeau, suspendant ainsi sa production laitière pour une période s’achevant à la fin de l’année 1982. Affecté par une incapacité de travail durant toute l’année 1983, il n’avait pu reprendre ses livraisons de lait. Or, l’État membre dont il relevait avait précisément choisi l’année 1983 comme période de référence pour l’attribution des quantités de lait exemptes de prélèvement. Le producteur s’est donc vu refuser l’octroi d’une telle quantité. Saisie par la juridiction nationale suprême dans le cadre du litige, la Cour de justice a été interrogée sur le point de savoir si un producteur dans une telle situation pouvait se voir attribuer une quantité de référence. Il s’agissait de déterminer si un producteur, dont l’engagement de non-commercialisation avait expiré avant l’année de référence, mais qui fut empêché de produire durant cette même année par un cas de force majeure, pouvait bénéficier des mécanismes dérogatoires, alors même que son engagement antérieur l’empêchait de justifier d’une production au cours des autres années de référence possibles. La Cour a répondu par la négative, considérant que la réglementation, y compris après ses modifications successives, ne prévoyait pas l’attribution d’une quantité de référence dans une telle hypothèse factuelle.

La solution retenue par la Cour repose sur une analyse rigoureuse des textes applicables, excluant une interprétation extensive des dérogations prévues (I). Cette approche littérale est ensuite validée au regard des principes généraux du droit communautaire, notamment la confiance légitime et la non-discrimination, que la Cour estime ne pas avoir été méconnus (II).

I. L’application stricte des conditions d’octroi d’une quantité de référence

La Cour examine successivement les deux dispositifs qui auraient pu permettre au producteur d’obtenir une quantité de référence : le régime spécifique destiné aux producteurs ayant souscrit un engagement de non-commercialisation, et le régime général dérogatoire pour cas de force majeure. Elle constate que le producteur est exclu du premier (A) et ne peut utilement se prévaloir du second (B).

A. L’exclusion du bénéfice du régime spécifique

Le règlement n° 857/84, dans sa version modifiée, a introduit un article 3 bis pour permettre aux producteurs qui n’avaient pas livré de lait pendant l’année de référence en raison d’un engagement de non-commercialisation d’obtenir une quantité de référence spécifique. Cependant, le bénéfice de ce mécanisme a été encadré par des conditions temporelles précises. Même après l’intervention du règlement n° 1639/91, qui a assoupli ces conditions suite à un précédent arrêt de la Cour, le droit à une quantité de référence n’a été ouvert qu’aux producteurs dont la période d’engagement avait expiré au cours de l’année 1983. Le raisonnement de la Cour est ici implacable : le producteur dont l’engagement a pris fin avant le 1er janvier 1983 ne relève pas du champ d’application de cette disposition. La Cour souligne que la réglementation ne comporte aucune autre voie permettant de déroger à cette règle. Elle affirme ainsi que l’article 3 bis « ne prévoit cependant pas la possibilité, pour les producteurs dont la période de non-commercialisation ou de reconversion a expiré avant le 1er janvier 1983, d’obtenir une telle quantité de référence ». Cette lecture littérale ferme la porte du régime spécifique au requérant.

B. L’impossibilité de recourir au régime général dérogatoire

À défaut de pouvoir bénéficier du régime spécifique, le producteur espérait se prévaloir de la dérogation générale prévue à l’article 3, point 3, du règlement n° 857/84. Cette disposition permet à un producteur, dont la production de l’année de référence a été affectée par un événement exceptionnel, de demander la prise en compte d’une autre année de référence comprise entre 1981 et 1983. L’incapacité professionnelle de longue durée est explicitement reconnue comme un tel événement. Si le producteur remplissait bien la condition de l’événement exceptionnel en 1983, il ne pouvait toutefois tirer aucun avantage de cette disposition. En effet, durant les deux autres années de référence possibles, 1981 et 1982, il était lié par son engagement de reconversion et n’avait, par conséquent, aucune production laitière à faire valoir. La Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle le règlement ne permet que de substituer une année de référence à une autre, et non de prendre en compte des livraisons effectuées en dehors de la période 1981-1983 ou de calculer une quantité théorique. Comme le précise l’arrêt, « ce choix est toutefois limité expressément à l’une des deux autres années situées à l’intérieur de la même période, ce qui exclut la prise en compte de livraisons de lait effectuées en dehors de cette période ». La combinaison malheureuse des circonstances place ainsi le producteur dans une situation sans issue au regard de la lettre des textes.

II. La validation de la réglementation au regard des principes généraux du droit

Face à cette impasse textuelle, le producteur soutenait que l’interprétation stricte de la réglementation violait les principes de confiance légitime et de non-discrimination. La Cour examine et rejette successivement ces deux arguments, confirmant ainsi la validité du cadre réglementaire appliqué (A et B).

A. Le rejet de la violation du principe de confiance légitime

Le principe de confiance légitime protège l’opérateur économique qui, ayant été incité par un acte de l’Union à adopter un certain comportement, peut légitimement s’attendre à ne pas être soumis à des règles qui le pénaliseraient spécifiquement pour ce comportement. La Cour reconnaît ce principe mais en limite la portée en l’espèce. Elle opère une distinction déterminante entre la situation du producteur découlant de son engagement de non-commercialisation et celle résultant de son incapacité de travail. La confiance légitime ne le protège que des conséquences directes de son engagement. Or, l’absence de production en 1983 n’est pas due à l’engagement, qui avait déjà expiré, mais à une cause étrangère, l’incapacité professionnelle. La Cour juge que le principe « ne fait pas obstacle à ce que, sous un régime tel que celui du prélèvement supplémentaire, des restrictions soient imposées à un producteur, en raison du fait qu’il n’a pas commercialisé de lait pendant une période déterminée, antérieure à l’entrée en vigueur dudit régime, pour des raisons étrangères à son engagement de non-commercialisation ou de reconversion ». La protection s’arrête donc là où commence le nouveau risque, en l’occurrence la maladie, que le producteur doit assumer.

B. L’absence de méconnaissance du principe de non-discrimination

Le producteur faisait valoir qu’il était traité différemment des agriculteurs qui, n’étant pas liés par un engagement, avaient pu produire en 1981 et 1982 et pouvaient donc utiliser ces années comme référence alternative en cas de problème en 1983. La Cour reconnaît l’existence d’une différence de traitement. Toutefois, elle rappelle que le principe d’égalité ne s’oppose à une telle différence que si elle n’est pas objectivement justifiée. Or, elle estime que la cause de cette différence réside dans le choix du législateur de limiter strictement la période de référence aux années 1981 à 1983 et d’exclure la prise en compte de quantités théoriques. Cette limitation, selon la Cour, poursuit un but légitime. Elle est justifiée par « la nécessité de limiter, dans l’intérêt à la fois de la sécurité juridique et de l’efficacité du régime de prélèvement supplémentaire, le nombre des années susceptibles d’être retenues comme années de référence ». La différence de traitement étant ainsi fondée sur une justification objective et raisonnable liée aux objectifs de la politique agricole commune, elle ne constitue pas une discrimination prohibée par le traité.

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