Un arrêt rendu par la Cour de justice des Communautés européennes le 31 janvier 1985 offre un éclairage sur les modalités de nomination des fonctionnaires et l’étendue du pouvoir d’appréciation de l’administration. En l’espèce, un juriste-linguiste au service de la Commission s’était porté candidat au poste de chef de la division de traduction pour la langue française. Après avoir exercé l’intérim de ces fonctions à plusieurs reprises, sa candidature fut écartée au profit d’un autre agent. Le fonctionnaire évincé forma alors une réclamation, arguant notamment que son dernier rapport de notation n’avait pas été inclus dans son dossier personnel lors de l’examen comparatif des mérites par l’autorité de nomination. La Commission procéda à un nouvel examen des candidatures en incluant cette fois le rapport manquant, mais confirma sa décision initiale de nommer l’autre candidat. Saisi d’un recours en annulation, le juge communautaire fut amené à se prononcer d’une part sur la régularité de la procédure suivie par l’institution, et d’autre part sur les limites de son contrôle quant au choix opéré par l’administration. La Cour rejeta le recours, considérant la procédure comme régulière malgré ses péripéties et confirmant la latitude dont dispose l’institution pour évaluer les mérites des candidats.
La solution de la Cour précise ainsi le cadre procédural des décisions de promotion en validant une organisation flexible des instances consultatives et en admettant la régularisation des vices formels (I). Elle réaffirme ensuite avec force le caractère restreint du contrôle juridictionnel sur l’appréciation substantielle des mérites des candidats par l’administration (II).
I. La validation d’une procédure de nomination souple et pragmatique
L’arrêt commenté examine d’abord les griefs du requérant relatifs aux irrégularités qui auraient entaché la procédure de nomination. Il en résulte une clarification bienvenue sur la liberté de l’administration dans la mise en place d’organes consultatifs internes (A) et sur la possibilité de purger la procédure d’un vice par un réexamen du dossier (B).
A. La liberté de l’administration dans l’organisation des instances consultatives non statutaires
Le requérant contestait la composition et le rôle d’un comité consultatif, surnommé « groupe noël », chargé d’examiner les candidatures aux emplois de direction. Il soutenait que sa composition était irrégulière et critiquait l’absence de représentants du personnel en son sein. La Cour écarte ces arguments en se fondant sur la nature non statutaire de cet organe. Elle rappelle que « les decisions de promotion , de mutation et de transfert relevent de la seule responsabilite de L ‘ autorite investie du pouvoir de nomination ». Par conséquent, si cette autorité décide de mettre en place de sa propre initiative une instance consultative non prévue par le statut, « elle est libre D ‘ en regler a son gre la composition et les responsabilites ».
Cette affirmation consacre une grande souplesse pour l’administration, qui peut ainsi s’entourer des avis qu’elle juge utiles sans être contrainte par un formalisme rigide. La Cour en déduit logiquement que l’institution peut prévoir que cette instance ne comprenne que des représentants de l’administration, à l’exclusion de ceux du personnel. De même, le fait que ce comité n’ait pas été consulté une seconde fois après la découverte du vice de procédure initial est jugé sans conséquence, dès lors qu’il avait déjà rendu un avis favorable sur la candidature du requérant parmi d’autres, accomplissant ainsi sa mission.
B. La régularisation d’un vice de procédure par un réexamen du dossier
Le second aspect procédural concernait l’absence du dernier rapport de notation du requérant lors de la décision initiale de nomination du 16 mai 1984. La Cour reconnaît sans détour que cette omission constituait un vice de procédure, l’article 45 du statut imposant un « examen comparatif des merites des fonctionnaires (…) ainsi que des rapports dont ils ont fait L ‘ objet ». Cependant, elle considère qu’il « pouvait etre remedie a cette irregularite par la reprise de L ‘ examen du dossier ».
La Commission ayant procédé, le 24 octobre 1984, à un nouvel examen des candidatures en prenant cette fois en compte l’ensemble des pièces pertinentes, y compris le rapport manquant, la Cour estime que la procédure a été régularisée. Le fait que la seconde décision confirme la première et aboutisse au même résultat est indifférent. Ce qui importe est que l’autorité de nomination a finalement disposé de tous les éléments pour procéder à son examen comparatif en toute connaissance de cause. Cette approche pragmatique permet de valider une nomination sans imposer l’annulation de l’ensemble du processus pour un vice qui a pu être corrigé.
Une fois la régularité de la procédure admise, la Cour s’est attachée à vérifier le bien-fondé de l’appréciation portée sur les mérites des candidats.
II. La réaffirmation du contrôle restreint sur l’appréciation des mérites
Le requérant soutenait que son profil était supérieur à celui du candidat retenu, tant en termes d’ancienneté que de rapports de notation, et mettait en cause l’état de santé de ce dernier. Face à ces arguments, la Cour réitère sa jurisprudence constante sur le large pouvoir d’appréciation de l’administration (A) et en fait une application particulière concernant l’aptitude physique des candidats (B).
A. La confirmation du large pouvoir d’appréciation de l’autorité de nomination
Pour évaluer les mérites respectifs des candidats, la Cour rappelle que « L ‘ autorite investie du pouvoir de nomination dispose D ‘ un large pouvoir D ‘ appreciation ». Ce principe cardinal du contentieux de la fonction publique a pour corollaire une limitation du contrôle du juge. Celui-ci doit en effet se « limiter a la question de savoir si , eu egard aux voies et moyens qui ont pu conduire L ‘ administration a son appreciation , celle-ci S ‘ est tenue dans des limites non critiquables et N ‘ a pas use de son pouvoir de maniere manifestement erronee ».
Le contrôle juridictionnel n’est donc pas un contrôle d’opportunité ; le juge ne substitue pas sa propre évaluation à celle de l’administration. Il ne censure que l’erreur évidente et grossière dans l’appréciation des faits ou des qualifications. En l’espèce, au vu des éléments du dossier, notamment les notations et les aptitudes à l’encadrement des deux principaux candidats, la Cour conclut que la Commission n’a pas commis une telle erreur manifeste. Le choix opéré, même s’il peut être discuté, relève de la marge d’appréciation souveraine de l’institution.
B. L’appréciation de l’état de santé du candidat, prérogative exclusive de l’institution
De manière plus spécifique, l’arrêt tranche la question de la prise en compte de l’état de santé d’un candidat. Le requérant insinuait que les absences régulières du candidat retenu nuiraient à l’intérêt du service. La Cour répond de manière particulièrement nette à cet argument. Elle juge qu’il « appartient a la seule institution de juger si L ‘ etat de sante du candidat retenu lui permet de S ‘ acquitter correctement de ses fonctions ».
Cette formule confère à l’administration une prérogative quasi exclusive dans ce domaine sensible. L’aptitude physique est ainsi intégrée au cœur du pouvoir d’appréciation de l’employeur public, qui est seul à même de déterminer si la condition d’un agent est compatible avec les exigences du poste et l’intérêt du service. Sauf à démontrer un détournement de pouvoir ou une discrimination, le juge se refuse à contrôler ce type d’évaluation, la considérant comme une composante de la gestion des ressources humaines qui échappe à son contrôle direct. L’arrêt illustre ainsi parfaitement la retenue du juge face aux choix discrétionnaires de l’administration en matière de promotion.