Par un arrêt en date du 8 mars 1989, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé les conditions de recevabilité des recours des fonctionnaires et la portée de l’obligation de protection qui incombe aux institutions. En l’espèce, un fonctionnaire soutenait avoir été victime de violences de la part de son supérieur hiérarchique. Il avait sollicité de l’autorité investie du pouvoir de nomination l’ouverture d’une procédure disciplinaire à l’encontre de ce dernier. Face au silence de l’administration, il a introduit une réclamation formelle, laquelle est également restée sans réponse. Le fonctionnaire a alors saisi la Cour d’un recours visant à l’annulation de la décision implicite de rejet, à la reconnaissance de son droit à la protection statutaire et à l’indemnisation du préjudice subi. L’institution défenderesse a soulevé plusieurs exceptions d’irrecevabilité, arguant notamment du caractère confirmatif de la décision attaquée et de l’introduction nouvelle, au stade contentieux, de demandes relatives à la protection et à l’indemnisation.
Le litige posait ainsi à la Cour une double question. D’une part, il s’agissait de déterminer si un recours dirigé contre le rejet d’une réclamation est recevable alors même que cette décision ne ferait que confirmer un rejet implicite antérieur, et si des conclusions indemnitaires peuvent être formulées pour la première fois devant le juge. D’autre part, la Cour était appelée à définir les conditions dans lesquelles l’obligation de protection de l’administration, prévue par le statut des fonctionnaires, est engagée à la suite des allégations d’un agent. La Cour a jugé le recours largement recevable, considérant que la procédure précontentieuse obligatoire rend attaquable la décision de rejet de la réclamation, et que la demande d’indemnisation ne modifie pas l’objet du litige. Sur le fond, elle a cependant rejeté les prétentions du requérant en affirmant que l’obligation de protection n’existe que si les faits sont établis, ce qui suppose que le fonctionnaire apporte un commencement de preuve de ses allégations.
Il convient d’analyser la solution de la Cour en examinant d’abord la clarification des règles de recevabilité du recours contentieux (I), puis la délimitation rigoureuse des conditions d’application de l’obligation de protection (II).
I. La recevabilité assouplie du recours contentieux
La Cour confirme une approche pragmatique de la recevabilité des recours, tant en ce qui concerne l’acte attaquable (A) que l’objet des conclusions présentées au juge (B).
A. L’autonomie de la décision de rejet de la réclamation
L’administration soutenait que le recours était irrecevable car il visait une décision implicite de rejet de la réclamation qui ne faisait que confirmer une première décision implicite de rejet de la demande initiale. Un tel acte, purement confirmatif, ne serait pas susceptible de recours. La Cour écarte fermement cet argument en se fondant sur la structure même du système de recours prévu par le statut. Elle rappelle qu’un fonctionnaire ne peut saisir la Cour qu’après avoir épuisé la voie de la réclamation administrative préalable. Cette exigence procédurale confère nécessairement à la décision statuant sur la réclamation, qu’elle soit explicite ou implicite, le caractère d’un acte attaquable.
La Cour énonce ainsi que « dans le système du statut, le fonctionnaire doit présenter une réclamation contre la décision qu’il conteste et se pourvoir devant la cour contre la décision qui rejette sa réclamation ». Par cette formule, elle consacre l’idée que le rejet de la réclamation n’est pas un simple acte confirmatif mais le point de départ du délai de recours contentieux. La solution offre une sécurité juridique appréciable au fonctionnaire, qui sait précisément quel acte il doit contester. Elle garantit l’effectivité de la procédure précontentieuse en lui reconnaissant une pleine autonomie fonctionnelle, indispensable au dialogue entre l’agent et son administration.
B. L’admission de la demande indemnitaire nouvelle en phase contentieuse
L’institution défenderesse faisait également valoir que la demande d’indemnisation, formulée pour la première fois dans la requête, était irrecevable car elle n’avait pas été présentée au stade de la réclamation administrative. La Cour rejette cette exception en s’appuyant sur sa jurisprudence constante relative à l’identité de cause et d’objet entre la réclamation et le recours. Elle juge que si les conclusions ne peuvent être nouvelles, elles peuvent être développées par des moyens et arguments qui, sans figurer dans la réclamation, s’y rattachent étroitement.
La Cour considère qu’une demande en annulation peut « impliquer une demande de reparation du préjudice qui a pu lui etre cause par ladite decision ». Cette interprétation extensive permet de considérer que la demande indemnitaire n’est que le prolongement logique de la contestation initiale. En liant la réparation à l’illégalité fautive contestée, la Cour évite un formalisme excessif qui obligerait les fonctionnaires à détailler l’ensemble de leurs préjudices dès la phase administrative. Cette approche pragmatique favorise une bonne administration de la justice, en permettant au juge de statuer sur toutes les conséquences d’un acte illégal sans contraindre l’agent à multiplier les procédures.
II. Les conditions substantielles de l’obligation de protection de l’administration
Après avoir admis la recevabilité du recours sur le fond, la Cour en précise les limites, en rappelant que le droit à la protection est conditionné par l’établissement des faits (A) et que le refus d’enquêter de l’administration est soumis à un contrôle judiciaire restreint (B).
A. La charge du commencement de preuve incombant au fonctionnaire
Le requérant reprochait à l’administration d’avoir manqué à son devoir de sollicitude et d’avoir violé l’article 24 du statut en ne donnant pas suite à sa demande de poursuites disciplinaires. La Cour, tout en rappelant que l’obligation de protection de l’administration couvre les agressions émanant d’autres fonctionnaires, subordonne son déclenchement à une condition essentielle. Elle affirme que cette obligation « n’existe que pour autant que les faits en question sont établis ».
La Cour établit ainsi une répartition claire de la charge de la preuve. Elle précise qu’il appartient au fonctionnaire « d’apporter, au moins, un commencement de preuve de la realite des attaques dont il affirme etre l’objet ». L’administration n’est donc pas tenue de lancer une enquête sur de simples allégations. Cette exigence protège l’institution contre les demandes abusives et préserve la sérénité du service. En l’espèce, le requérant n’avait fourni aucun élément concret à l’appui de son récit et avait même refusé de nommer d’éventuels témoins. Faute d’un tel commencement de preuve, l’administration n’était pas tenue d’agir.
B. Le contrôle restreint du juge sur le refus d’enquêter de l’administration
En conséquence du principe énoncé, la Cour conclut que l’administration a pu légalement refuser de prendre des mesures. Elle souligne que son rôle est d’apprécier la légalité de la décision de l’administration au vu des éléments dont celle-ci disposait au moment où elle a statué. Le juge ne saurait se substituer à l’administration pour mener l’enquête ou pour apprécier l’opportunité d’une telle mesure lorsque les conditions de son déclenchement ne sont pas réunies.
La Cour relève la « carence manifeste » du requérant à étayer ses dires durant la procédure administrative. Dans ces conditions, le refus de l’administration d’intervenir n’était pas entaché d’illégalité. Cette position réaffirme une jurisprudence classique sur les limites du contrôle juridictionnel, qui ne porte que sur l’erreur manifeste d’appréciation ou le détournement de pouvoir. En refusant d’entendre les témoins proposés pour la première fois à l’audience, la Cour confirme que la légalité s’apprécie au jour de la décision attaquée, et que le prétoire ne peut servir à pallier les défaillances probatoires du requérant au stade administratif. La commission n’ayant commis aucune faute, les conclusions en annulation et en indemnisation sont donc rejetées.