Par un arrêt du 6 octobre 1980, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé l’étendue de l’obligation de motivation qui incombe à un jury de concours lors du rejet d’une candidature. En l’espèce, un fonctionnaire s’était porté candidat à un concours général sur titres et épreuves en vue de constituer une réserve de recrutement pour des postes d’administrateurs. Bien que remplissant les conditions formelles de participation, sa candidature fut écartée au stade de la sélection sur titres, le jury ne lui ayant pas attribué le nombre de points minimum requis. L’intéressé fut informé de cette décision par une lettre type datée du 21 février 1980, qui mentionnait les critères généraux de sélection sans fournir de justification individuelle. Ayant sollicité des explications, il ne reçut qu’une réponse laconique, postérieurement à l’introduction de sa réclamation administrative.
Le candidat a alors introduit une réclamation auprès de l’autorité investie du pouvoir de nomination, réclamation que l’institution défenderesse jugea irrecevable pour tardiveté. Saisie d’un recours en annulation, la Cour a d’abord dû se prononcer sur la recevabilité de celui-ci avant d’examiner le fond de l’affaire. L’institution soulevait que le délai de réclamation avait expiré, et que le requérant n’avait plus d’intérêt à agir, les épreuves du concours ayant déjà eu lieu. Sur le fond, le requérant soutenait que la décision de rejet était entachée d’un vice de forme substantiel en raison d’une motivation insuffisante. L’institution rétorquait que les informations fournies, complétées au cours de la procédure, satisfaisaient aux exigences statutaires. La question juridique posée à la Cour était donc de déterminer si, et dans quelle mesure, un jury de concours de grande ampleur est tenu de motiver individuellement ses décisions de refus d’admission, et si un défaut de motivation peut être régularisé en cours d’instance.
La Cour annule la décision du jury. Elle juge que l’obligation de motiver une décision faisant grief ne peut être satisfaite par des informations communiquées après l’introduction d’un recours. Surtout, elle établit un équilibre entre les contraintes pratiques des concours de masse et le droit du candidat à une protection juridictionnelle effective. Pour ce faire, elle admet une procédure en deux temps : une information initiale sommaire peut être communiquée, à condition que le jury fournisse des explications individuelles à tout candidat qui en fait la demande, et ce, avant l’expiration du délai de recours.
Cet arrêt réaffirme avec force l’exigence de motivation comme une garantie fondamentale pour l’administré (I), tout en l’aménageant de manière pragmatique pour tenir compte des spécificités des concours de grande envergure (II).
I. La réaffirmation du principe de motivation face aux prérogatives du jury
La Cour rappelle que l’obligation de motiver une décision est une règle de portée générale qui ne cède que difficilement, même face à des principes comme le secret des délibérations. Elle réaffirme ainsi que l’exigence de motivation constitue une garantie essentielle pour le justiciable (A), limitant par là même la portée du secret des travaux du jury (B).
A. L’exigence de motivation, garantie essentielle pour le justiciable
La motivation d’un acte administratif faisant grief poursuit un double objectif. D’une part, elle permet au juge d’exercer son contrôle sur la légalité de la décision. D’autre part, elle fournit à l’intéressé les éléments nécessaires pour apprécier l’opportunité d’introduire un recours. La Cour le formule clairement en affirmant que « L’obligation de motiver une decision faisant grief a pour but de permettre a la cour D’exercer son controle sur la legalite de la decision et de fournir a L’interesse une indication suffisante pour savoir si la decision est bien fondee ou si elle est entachee D’un vice permettant D’en contester la legalite. »
En conséquence directe de cette finalité, la motivation doit être contemporaine de la décision qu’elle vient éclairer. La Cour écarte donc fermement l’argument de l’institution selon lequel les explications fournies en cours d’instance auraient pu « régulariser » le défaut de motivation initial. Elle juge que « L’absence de motivation ne saurait etre regularisee par le fait que L’interesse apprend les motifs de la decision au cours de la procedure devant la cour. » Cette position est constante et protectrice des droits de la défense, car elle empêche l’administration de construire une motivation a posteriori pour justifier une décision initialement infondée. L’information doit être donnée au moment où elle est la plus utile, c’est-à-dire lorsque le destinataire de la décision doit décider s’il conteste l’acte.
B. Le secret des délibérations, un principe à portée limitée
L’institution se prévalait du secret des travaux du jury, garanti par le statut des fonctionnaires, pour justifier le caractère succinct des informations transmises. Le secret des délibérations vise à garantir l’indépendance et la sérénité des jurys en leur permettant de débattre et de décider librement, à l’abri de toute pression extérieure. Cependant, la Cour refuse d’en faire un paravent absolu qui anéantirait le droit à une bonne administration.
Elle pose ainsi une règle de principe claire en déclarant que « le secret des travaux du jury […] ne saurait dispenser un jury de concours D’indiquer au moins sommairement au candidat ecarte lors de la selection sur titres les raisons de cette decision. » En d’autres termes, le secret protège le processus délibératif, comme les opinions émises par les membres du jury ou la méthode de notation précise, mais il ne saurait couvrir le résultat de ce processus, à savoir les motifs objectifs qui fondent la décision finale. Le candidat a le droit de savoir non pas comment la décision a été prise, mais pourquoi elle a été prise. La Cour opère ainsi une conciliation entre deux exigences légitimes, en faisant prévaloir la transparence nécessaire à l’exercice des voies de recours.
II. L’aménagement pragmatique de l’obligation de motivation dans les concours de masse
Ayant posé le principe de la nécessaire motivation, la Cour en module l’application pour répondre aux contraintes administratives. Elle consacre ainsi une procédure de motivation en deux temps (A), solution équilibrée qui garantit l’effectivité des droits du candidat (B).
A. La consécration d’une procédure de motivation en deux temps
La Cour se montre sensible aux difficultés pratiques que rencontrerait une administration tenue de rédiger des milliers de motivations individualisées dès le stade initial. Elle reconnaît que pour les concours à très forte participation, une telle obligation « alourdirait de maniere intolerable les operations des jurys et les travaux de L’administration du personnel. » C’est pourquoi elle valide une approche échelonnée.
Dans un premier temps, le jury peut se contenter d’envoyer une notification informant le candidat des critères généraux de sélection et du résultat le concernant. La lettre du 21 février 1980, bien qu’insuffisante en elle-même, correspondait à ce premier stade. Toutefois, ce n’est que la première étape d’un processus qui doit impérativement comporter une seconde phase. La Cour admet ainsi « qu’un jury fasse parvenir au candidat dans un premier stade, seulement une information sur les criteres et le resultat de la selection […] et ne fournisse des explications individuelles qu’ulterieurement, et a ceux des candidats qui le demandent expressement ». Cette solution dissocie la notification de la décision et la communication de sa motivation détaillée, celle-ci devenant un droit exerçable sur demande.
B. Une solution équilibrée garantissant l’effectivité des voies de recours
La portée novatrice de l’arrêt réside dans la condition temporelle qu’il assortit à cette procédure en deux temps. La communication des motifs individualisés n’est pas laissée à la discrétion de l’administration ; elle doit intervenir dans un délai précis et contraignant. La Cour juge que la fourniture d’explications individuelles n’est admissible « a condition toutefois que ces indications individuelles soient envoyees par le jury de concours avant L’expiration du delai prevu par les articles 90 et 91 du statut ».
Cette condition est déterminante, car elle assure l’effet utile du droit au recours. En effet, un candidat ne peut rédiger une réclamation ou un recours pertinent que s’il connaît les raisons spécifiques de son échec. En obligeant le jury à répondre avant l’expiration du délai de recours, la Cour garantit que le candidat disposera des éléments nécessaires pour contester la décision en connaissance de cause. Cette solution pragmatique concilie l’efficacité administrative et le respect des droits fondamentaux du justiciable, et constitue depuis lors une ligne directrice pour l’organisation des concours au sein des institutions. Elle transforme l’obligation de motivation en un droit que le candidat peut activer, tout en assurant que son exercice ne soit pas vidé de sa substance.