Par un arrêt rendu dans l’affaire 265/83, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé les contours du contrôle juridictionnel sur les procédures de fixation du taux d’invalidité des fonctionnaires et a posé une limite substantielle au pouvoir de l’administration dans ce processus. À la suite d’une agression ayant entraîné une invalidité permanente partielle, un fonctionnaire à la retraite a engagé une procédure pour la reconnaissance de ses droits au titre de l’article 73 du statut. Le médecin désigné par l’institution a d’abord évalué le taux global d’invalidité à 34 % en appliquant une règle de calcul proportionnel, ce qui a conduit l’administration à notifier un projet de décision sur cette base. Le fonctionnaire a contesté cette évaluation et a sollicité la réunion de la commission médicale prévue par la réglementation. Par la suite, l’institution a reconnu que la méthode de calcul était erronée et que les taux partiels devaient être additionnés, ce qui portait le taux global à 37,25 %, et a versé une indemnité provisionnelle correspondante. Cependant, la commission médicale, après examen, a fixé le taux d’invalidité à 34 %. Se fondant sur ce nouvel avis, l’autorité investie du pouvoir de nomination a arrêté sa décision finale à ce taux inférieur et a réclamé au fonctionnaire le remboursement du trop-perçu. Saisie d’un recours par le fonctionnaire, la Cour était amenée à répondre à la question de savoir si l’autorité administrative, après une réclamation initiée par un fonctionnaire contre un projet de décision, peut arrêter une décision définitive qui lui est plus défavorable.
La Cour de justice répond par la négative, en annulant la décision de la Commission pour autant qu’elle fixait un taux d’invalidité inférieur à celui initialement reconnu après correction du mode de calcul. Tout en réaffirmant la pleine autonomie des commissions médicales dans leurs appréciations techniques, la Cour encadre strictement le pouvoir de décision de l’administration. Ainsi, il convient d’examiner la portée de l’autonomie conférée à la commission médicale (I), avant d’analyser la limite posée au pouvoir de révision de l’administration, qui ne peut statuer au détriment du réclamant (II).
I. L’autonomie réaffirmée de la commission médicale
La Cour clarifie d’abord la nature et l’étendue des pouvoirs de la commission médicale, en confirmant tant la régularité de son fonctionnement que la souveraineté de son appréciation. Elle rejette ainsi les moyens du requérant visant à remettre en cause la validité et le contenu du rapport médical.
A. La régularité de la procédure suivie par la commission
Le requérant soutenait que la procédure était irrégulière au motif qu’un quatrième médecin, qui n’était pas membre de la commission, avait participé aux délibérations et signé le rapport. La Cour écarte cet argument en adoptant une approche pragmatique, considérant que la finalité de l’expertise médicale prime sur un formalisme strict. Elle juge que « Rien N’interdit a la commission medicale D’appeller en consultation, de commun accord, D’autres medecins si cela lui parait indique, la nature des lesions a apprecier pouvant en effet exiger L’avis D’un specialiste ». La présence d’un consultant, même active, ne vicie donc pas la procédure dès lors que la commission a été régulièrement constituée et que cette consultation est jugée utile par ses membres. Cette solution garantit que l’organe médical dispose de tous les moyens nécessaires pour éclairer sa décision, sans être contraint par des règles de composition excessivement rigides. La validité de l’avis médical repose sur la compétence collective mobilisée, et non sur le nombre statutaire de ses participants.
B. L’indépendance de l’appréciation médicale
La Cour rappelle ensuite un principe fondamental du contentieux de la sécurité sociale des fonctionnaires : le contrôle du juge ne s’étend pas aux appréciations médicales proprement dites, qui relèvent de la compétence exclusive des experts médicaux. Le requérant ne pouvait donc utilement soutenir que la commission médicale aurait dû être liée par les évaluations antérieures, qu’elles émanent du premier médecin expert ou de l’administration elle-même. La Cour est explicite à ce sujet, affirmant qu' »Aucune disposition de la reglementation N’impose a la commission medicale de tenir pour definitif le contenu de rapports medicaux ou D’autres prises de positions prealablement adoptees ». La mission de la commission est de fournir un avis technique indépendant et objectif, ce qui implique une liberté d’appréciation entière. Elle n’est pas une simple instance de révision, mais un organe qui procède à un nouvel examen complet du dossier médical. En conséquence, le fait que ses conclusions soient différentes, voire moins favorables sur certains points que des évaluations précédentes, ne constitue pas en soi une irrégularité.
Toutefois, si l’autonomie de l’organe médical est ainsi consacrée, la liberté de l’autorité administrative d’utiliser cet avis se trouve, elle, nettement plus encadrée par les principes généraux du droit.
II. La limitation du pouvoir de révision de l’autorité administrative
Le cœur de l’arrêt réside dans la limitation qu’il impose à l’autorité investie du pouvoir de nomination. En se fondant sur la logique des voies de recours, la Cour interdit à l’administration de prendre une décision finale plus défavorable que son projet initial, consacrant ainsi une protection essentielle pour le fonctionnaire réclamant.
A. L’application de l’interdiction de la *reformatio in pejus*
Le requérant faisait valoir que l’administration ne pouvait revenir sur le taux d’invalidité qu’elle avait elle-même reconnu après avoir abandonné la « règle de Balthazar ». La Cour accueille ce raisonnement en appliquant un principe général du droit des procédures contentieuses, celui de l’interdiction de la *reformatio in pejus*, selon lequel une partie ne doit pas voir sa situation aggravée par le seul fait de son recours. Elle transpose ce principe à la procédure de réclamation administrative prévue par le statut, en jugeant que « L’autorite investie du pouvoir de nomination ne peut, en prenant sa decision definitive, S’ecarter au detriment du fonctionnaire ou de ses ayants droit des conclusions auxquelles elle etait parvenue dans son projet de decision ». La procédure de saisine de la commission médicale étant un droit ouvert au seul fonctionnaire pour contester le projet de l’administration, elle ne saurait se retourner contre lui. Permettre à l’administration d’aboutir à une solution moins favorable dissuaderait les fonctionnaires d’exercer leur droit de contestation et viderait cette garantie de sa substance.
B. La détermination du seuil d’intangibilité
La Cour précise ensuite la portée de cette protection. Le seuil intangible n’est pas constitué par les différents éléments techniques du premier rapport médical, mais par la conclusion globale du projet de décision notifié par l’administration. Elle énonce que « ce principe ne S’impose qu’au regard du projet de decision lui-meme, qui porte sur un taux global D’invalidite et sur une indemnisation calculee sur cette base, et non au regard des differents elements du rapport du medecin designe par L’institution ». En l’espèce, ce projet de décision a été implicitement mais certainement modifié lorsque l’administration a admis l’inapplicabilité de la « règle de Balthazar ». Dès cet instant, le taux plancher que l’administration s’était engagée à reconnaître n’était plus de 34 %, mais bien de 37,25 %. La décision finale ne pouvait donc descendre en dessous de ce taux, peu important que l’avis de la commission médicale, obtenu ultérieurement, ait été moins favorable. La Cour sanctionne ainsi l’administration non pas pour avoir suivi l’avis médical, mais pour avoir violé la confiance légitime du fonctionnaire en revenant sur une position qu’elle avait elle-même consolidée. La même logique est appliquée à la date de consolidation des lésions, qui ne pouvait être fixée à une date antérieure à celle retenue dans le projet initial.