Arrêt de la Cour (troisième chambre) du 3 mars 1993. – General Milk Products GmbH contre Hauptzollamt Hamburg-Jonas. – Demande de décision préjudicielle: Finanzgericht Hamburg – Allemagne. – Montants compensatoires monétaires – Application à un produit agricole extracommunautaire lors d’une exportation vers un autre État membre. – Affaire C-8/92.

Par un arrêt rendu en réponse à une question préjudicielle du Finanzgericht Hamburg, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé les conditions d’application des montants compensatoires monétaires à des produits agricoles importés d’un pays tiers puis réexportés au sein de la Communauté. En l’espèce, une société spécialisée dans la commercialisation de produits laitiers importait en République fédérale d’Allemagne du fromage de cheddar originaire de Nouvelle-Zélande. Une partie de cette marchandise était ensuite réexportée vers d’autres États membres, opération pour laquelle la société bénéficiait de l’octroi de montants compensatoires monétaires positifs. À la suite d’une modification de la réglementation communautaire et des accords internationaux pertinents à la fin de l’année 1984, l’autorité douanière nationale a refusé l’octroi de ces montants pour une opération de réexportation.

Saisie du litige par la société exportatrice, la juridiction allemande a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour de justice la question de savoir si les règlements communautaires applicables devaient être interprétés comme excluant l’octroi de montants compensatoires monétaires positifs à l’exportation de fromage de cheddar néo-zélandais, dès lors que ce produit avait été importé dans l’État membre d’exportation sans qu’un montant compensatoire négatif ou un régime de prix minimal n’ait été appliqué. La question posée revenait ainsi à déterminer si la suppression du régime de prix minimal à l’importation entraînait par voie de conséquence la suppression du droit aux montants compensatoires monétaires lors de la réexportation intracommunautaire de la marchandise. La Cour de justice répond que l’octroi de ces montants demeure possible, à moins que l’opération ne constitue un abus de droit.

La solution retenue par la Cour repose sur une double démarche : elle consacre d’une part la persistance d’un droit découlant des textes réglementaires (I), tout en l’assortissant d’autre part d’une réserve essentielle fondée sur un principe général du droit communautaire (II).

I. La confirmation du droit à l’octroi des montants compensatoires monétaires

La Cour fonde sa réponse affirmative sur une analyse rigoureuse des textes en vigueur, en combinant une interprétation littérale de leurs dispositions (A) et une approche téléologique qui en conforte le sens (B).

A. Une interprétation littérale des textes applicables

Le raisonnement de la Cour s’appuie en premier lieu sur une lecture stricte de la réglementation communautaire. Elle constate que les règlements n° 974/71, n° 1371/81 et n° 900/84 établissaient le principe de l’octroi de montants compensatoires monétaires pour l’exportation du produit en cause, classé sous la position tarifaire pertinente. Les juges soulignent qu’aucune disposition spécifique n’écartait expressément cet octroi dans la situation d’une réexportation faisant suite à une importation sans application de montants compensatoires négatifs. La modification de l’arrangement avec la Nouvelle-Zélande en 1984, qui a entraîné la suspension du régime de prix minimal, n’a pas été accompagnée d’une modification des règles relatives à l’octroi des montants à l’exportation.

De surcroît, la Cour utilise un argument a contrario en se référant à une réglementation postérieure. Elle relève que le règlement n° 611/88, concernant d’autres produits, mentionne explicitement l’absence d’octroi de montants compensatoires à la réexportation vers un autre État membre. Cette précision textuelle pour certains cas renforce l’idée que, en son absence pour le fromage de cheddar néo-zélandais, le droit à l’octroi de ces montants était maintenu. La logique est claire : une exception ne peut être présumée et doit découler d’un texte exprès qui, en l’espèce, faisait défaut.

B. Une lecture téléologique confortant la solution

Au-delà de l’analyse littérale, la Cour examine la finalité des mécanismes en présence. Elle rappelle que les montants compensatoires monétaires ont pour objet de « neutraliser les conséquences que les fluctuations des monnaies nationales auraient pu avoir sur les échanges de produits agricoles dans la Communauté ». Leur fonction est donc purement monétaire et vise à préserver l’unité des prix et la fluidité des échanges au sein du marché commun. D’un autre côté, le régime de prix minimal appliqué aux importations de pays tiers avait un objectif économique distinct, celui de protéger le marché communautaire contre des importations à des prix jugés trop bas.

La suspension du régime de prix minimal traduisait simplement une nouvelle appréciation économique de la part de la Commission, considérant que les prix des fromages néo-zélandais n’étaient plus une menace pour le marché intérieur. La Cour en déduit logiquement que cette suspension « n’a pas, en elle-même, d’incidence directe et nécessaire sur l’octroi des mcm à l’exportation ». Les deux dispositifs poursuivant des objectifs différents, la modification de l’un ne saurait entraîner l’extinction automatique de l’autre. Cette dissociation des finalités vient ainsi valider l’interprétation littérale des textes.

II. La tempérance de la solution par le principe de l’interdiction de l’abus de droit

Si la Cour établit fermement le principe de l’applicabilité des montants compensatoires, elle y apporte une limite de taille en consacrant l’exception tirée de l’abus de droit (A), dont il convient de préciser la portée dans le cadre du litige (B).

A. L’application d’un principe général du droit communautaire

La Cour ne se contente pas d’une application mécanique des règlements. Elle introduit une nuance fondamentale en se référant à un principe non écrit du droit communautaire, celui de l’interdiction des pratiques abusives. Elle juge ainsi que le droit à l’octroi des montants compensatoires ne saurait être reconnu « s’il est établi que les opérations d’importation et d’exportation n’ont été réalisées que dans le seul but de bénéficier de manière abusive de la réglementation susmentionnée ». Cette formule, calquée sur une jurisprudence antérieure, permet d’écarter le bénéfice d’une disposition communautaire lorsque celle-ci est détournée de sa finalité.

L’application de ce principe signifie que les opérateurs économiques ne peuvent créer artificiellement les conditions d’obtention d’un avantage financier prévu par le droit communautaire. Une transaction doit correspondre à une logique commerciale et économique réelle. Si l’enchaînement importation-réexportation n’a d’autre justification que la perception d’une aide communautaire, il constitue un montage abusif que les autorités nationales sont en droit de sanctionner en refusant l’avantage sollicité. La Cour rappelle ainsi que le respect formel des conditions réglementaires ne suffit pas à légitimer une opération.

B. La portée de la réserve d’abus de droit

En formulant cette réserve, la Cour de justice confie à la juridiction nationale une mission essentielle. C’est en effet au juge de renvoi qu’il appartient d’apprécier souverainement les faits du litige pour déterminer si les opérations en cause relevaient de transactions commerciales normales ou constituaient un montage artificiel. La charge de la preuve d’un tel abus pèse sur l’autorité administrative qui entend refuser le bénéfice du droit. Cette dernière devra démontrer que l’opération, dans son ensemble, est dépourvue de toute rationalité économique autre que la perception des montants compensatoires.

Cette solution illustre parfaitement la répartition des rôles entre la Cour de justice et les juridictions nationales dans le cadre d’un renvoi préjudiciel. La Cour fournit l’interprétation du droit communautaire, y compris de ses principes généraux, tandis que le juge national applique cette interprétation aux faits spécifiques de l’affaire. La portée de la décision est donc considérable : elle sécurise le droit des opérateurs agissant dans le cadre d’un commerce légitime tout en fournissant aux États membres un outil efficace pour lutter contre les détournements de fonds communautaires et préserver l’intégrité des politiques communes.

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Hassan KOHEN
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