Arrêt de la Cour (troisième chambre) du 4 juillet 1985. – Alain-Pierre Allo et autres contre Commission des Communautés européennes. – Fonctionnaires – Intérêts de rappel de traitement. – Affaire 176/83.

En l’espèce, des fonctionnaires d’une institution communautaire ont perçu, à la suite de l’annulation d’un premier règlement du Conseil relatif à leurs rémunérations, des rappels de traitement en application d’un nouveau règlement. Ces rappels ont été versés sans être assortis d’intérêts destinés à compenser la perte de pouvoir d’achat subie en raison du paiement tardif. Les fonctionnaires concernés ont alors introduit des réclamations administratives, conformément à l’article 90, paragraphe 2, du statut, afin d’obtenir le versement d’intérêts de retard. Face au rejet de leurs réclamations, ils ont saisi la Cour de justice d’un recours visant, d’une part, à l’annulation de leurs bulletins de rémunération en ce qu’ils omettaient ces intérêts et, d’autre part, à la condamnation de l’institution à leur verser une indemnité pour le préjudice subi. L’institution défenderesse a soulevé deux exceptions d’irrecevabilité, contestant la nature de l’acte attaqué et la recevabilité de l’action en indemnisation. La Cour est ainsi amenée à se prononcer sur la question de savoir si un bulletin de paie, simple mesure d’exécution d’un règlement, constitue un acte faisant grief, et dans quelle mesure une demande indemnitaire peut être jointe à une demande d’annulation dans le cadre du contentieux de la fonction publique. Dans sa décision, la Cour de justice rejette la première exception en affirmant qu’un bulletin de rémunération est bien un acte susceptible de recours, mais déclare le recours irrecevable en tant qu’il vise au versement d’intérêts compensatoires, au motif que cette demande n’avait pas été formulée au stade de la réclamation administrative préalable.

La solution retenue par la Cour permet de clarifier les conditions de recevabilité des recours dans le contentieux de la fonction publique. D’une part, elle confirme une conception large de l’acte attaquable, essentielle à la protection des droits des fonctionnaires (I). D’autre part, elle rappelle le cadre procédural strict qui régit le cumul d’une action en annulation et d’une action en indemnisation, en soulignant l’importance de la procédure précontentieuse (II).

I. La confirmation du bulletin de salaire comme acte susceptible de recours

La Cour, en se prononçant sur la première exception d’irrecevabilité, réaffirme sa jurisprudence protectrice des droits des fonctionnaires en reconnaissant au bulletin de rémunération la qualité d’acte faisant grief. Elle écarte ainsi l’argument de l’institution fondé sur la nature purement exécutoire de ce document (A) pour consacrer une solution pragmatique et constante (B).

A. L’argumentaire de l’institution fondé sur la nature exécutoire du bulletin

L’institution défenderesse soutenait que le recours était irrecevable car il était dirigé contre les bulletins de rémunération. Selon elle, ces documents « ne refléteraient aucune décision et qui ne constitueraient que de simples mesures d’exécution du règlement no 3139/82 du Conseil ». Dans cette perspective, le bulletin de paie ne serait qu’un acte purement mécanique, dépourvu de caractère décisionnel propre, se limitant à appliquer une norme supérieure. Par conséquent, il ne pourrait pas être qualifié d’acte faisant grief au sens de l’article 91 du statut, privant ainsi les requérants de la possibilité de le contester directement. Cette argumentation visait à restreindre le champ des actes attaquables aux seules décisions manifestant une prise de position nouvelle de l’administration.

B. La réaffirmation d’une jurisprudence constante sur la notion d’acte faisant grief

La Cour rejette fermement cette analyse en rappelant de manière concise sa position traditionnelle. Elle énonce que « le bulletin de rémunération constitue un acte faisant grief et, par conséquent, susceptible de faire l’objet d’un recours, la circonstance que l’institution concernée ne fait qu’appliquer les règlements en vigueur étant sans pertinence à cet égard ». Cette solution, déjà affirmée notamment dans son arrêt du 21 février 1974, *Kortner*, s’inscrit dans une logique de protection effective du fonctionnaire. La Cour considère que le bulletin de paie est l’acte par lequel la situation juridique et financière du fonctionnaire est concrètement et individuellement affectée. Peu importe que cet acte soit pris en application d’un règlement ; c’est bien par son intermédiaire que le droit à rémunération du fonctionnaire se matérialise ou, comme en l’espèce, se trouve limité. Cette approche garantit un accès direct au juge face à tout acte ayant un effet concret sur la situation d’un agent.

Une fois la nature de l’acte contesté établie, la Cour se penche sur la nature des conclusions présentées par les requérants et les conditions de leur recevabilité.

II. L’encadrement strict du contentieux indemnitaire par la procédure précontentieuse

La seconde partie de la décision porte sur la recevabilité de l’action en indemnisation jointe au recours en annulation. La Cour admet sur le principe la possibilité de cumuler ces deux types de conclusions dans le cadre unifié du contentieux de la fonction publique (A), mais la soumet à une condition de concordance rigoureuse entre la réclamation administrative et la requête juridictionnelle (B).

A. L’unité du contentieux de la fonction publique et la recevabilité de principe des conclusions mixtes

L’institution défenderesse avançait que l’action en responsabilité visait en réalité à obtenir l’annulation du règlement du Conseil, ce que les requérants ne pouvaient faire directement. La Cour écarte cette objection en se fondant sur l’unité du contentieux de la fonction publique, régi par l’article 179 du traité et les articles 90 et 91 du statut. Elle rappelle que « un litige entre un fonctionnaire et l’institution dont il dépend […] se meut […] dans le cadre de l’article 179 du traité et des articles 90 et 91 du statut ». Il en résulte que les fonctionnaires « sont recevables à présenter à la fois des conclusions d’annulation et d’indemnisation ». Ce cadre unique permet à un requérant de rechercher à la fois l’annulation d’un acte illégal et la réparation du préjudice qui en découle, sans que la seconde action soit considérée comme un simple détournement de procédure.

B. La condition de concordance entre la réclamation administrative et la requête juridictionnelle

Cependant, cette faculté de cumul est assortie d’une condition procédurale impérative. La Cour souligne que les requérants sont tenus de respecter les conditions statutaires, qui sont les mêmes pour les deux voies de recours. Or, elle constate en l’espèce qu’une divergence existe entre l’objet de la réclamation préalable et celui de la requête introduite devant elle. En effet, « les requérants dans leurs réclamations n’ont demandé que des intérêts de retard et non pas des intérêts compensatoires, ce qu’ils ont fait pour la première fois dans leur requête devant la Cour ». La procédure précontentieuse ayant pour but de permettre à l’administration de prendre position sur les griefs de l’agent et d’éviter un litige, elle doit porter sur l’ensemble des demandes qui seront ensuite soumises au juge. Le défaut de mention des intérêts compensatoires au stade de la réclamation rend donc la demande correspondante irrecevable, faute d’avoir épuisé la voie administrative préalable. La Cour applique ainsi rigoureusement le principe de concordance entre la réclamation et la requête.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture