Par un arrêt du 23 mai 1996, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé l’étendue de l’obligation de motivation pesant sur les décisions des jurys de concours de la fonction publique communautaire. En l’espèce, un candidat à un concours général visant à constituer une liste de réserve d’administrateurs avait été éliminé après avoir obtenu une note insuffisante à une épreuve écrite de synthèse. Ayant demandé communication des motifs de cette évaluation, il ne reçut que la confirmation de sa note chiffrée, sans les critères de correction employés par le jury. Le candidat saisit alors le Tribunal de première instance, qui annula la décision du jury au motif que l’absence de communication des critères d’évaluation constituait un défaut de motivation, privant l’intéressé de la possibilité d’apprécier le bien-fondé de la décision et le juge d’exercer son contrôle. L’institution concernée forma un pourvoi contre cet arrêt, soutenant que la communication de la note seule constituait une motivation suffisante, la divulgation des critères de correction étant contraire au secret des délibérations du jury. Le Tribunal de première instance avait donc retenu une conception large de l’obligation de motivation, tandis que l’institution défendait une interprétation plus restrictive, fondée sur la spécificité des travaux du jury. La question de droit soumise à la Cour de justice était donc de savoir si l’obligation de motivation d’une décision d’élimination d’un candidat, prise après correction d’une épreuve, impose au jury de communiquer, outre la note obtenue, les critères d’évaluation qu’il a appliqués. La Cour de justice répondit par la négative, annulant l’arrêt du Tribunal. Elle jugea que si la motivation est requise, son étendue doit être conciliée avec le secret des travaux du jury. À ce titre, elle opéra une distinction fondamentale entre les différentes étapes du concours : pour le rejet d’une candidature au stade de l’admissibilité, les critères objectifs de sélection doivent être communiqués ; en revanche, pour l’évaluation des épreuves, qui revêt un caractère comparatif, « la communication des notes obtenues aux différentes épreuves constitue une motivation suffisante ».
La solution retenue par la Cour de justice opère une clarification bienvenue en définissant une obligation de motivation à double détente, dont l’intensité varie selon la nature des opérations menées par le jury (I). Cette distinction conduit ainsi à une réaffirmation de la primauté du secret des délibérations du jury dans sa fonction essentielle d’évaluation comparative des mérites des candidats (II).
I. La clarification d’une obligation de motivation à double détente
La Cour structure l’obligation de motivation autour de la chronologie du concours, imposant une transparence accrue lors de la phase initiale de sélection (A), tout en validant une motivation plus sobre pour la phase ultérieure d’évaluation des épreuves (B).
A. La consécration d’une motivation renforcée pour le rejet des candidatures
La Cour rappelle d’abord que les travaux d’un jury se déroulent en deux temps, le premier étant « l’examen des candidatures pour faire le tri des candidats admis au concours ». Cette phase, notamment dans les concours sur titres, consiste en une confrontation entre les qualifications produites par les candidats et celles exigées par l’avis de concours. L’opération repose sur des « données objectives » qui sont connues de chaque candidat pour ce qui le concerne. Dans ce contexte, la Cour estime que « le respect du secret entourant les travaux du jury ne s’oppose pas à ce que soient communiquées ces données objectives ». La motivation doit donc être plus détaillée pour un candidat écarté à ce stade, afin de lui permettre de comprendre les raisons de son éviction, qui ne relèvent pas d’une appréciation comparative mais d’une simple vérification de conformité. Cette exigence de transparence prévient l’arbitraire et garantit le droit du candidat à un contrôle effectif sur une décision fondée sur des éléments factuels.
B. La validation d’une motivation allégée pour l’évaluation des épreuves
À l’inverse, la Cour adopte une approche différente pour le second stade des travaux du jury, celui de l’évaluation des épreuves, qu’elle qualifie d’ « avant tout de nature comparative ». C’est à ce niveau que se situe le cœur du pouvoir d’appréciation du jury, qui évalue les mérites respectifs des candidats les uns par rapport aux autres. Pour cette phase, la Cour juge que « la communication des notes obtenues aux différentes épreuves constitue une motivation suffisante des décisions du jury ». La note chiffrée devient ainsi l’expression synthétique et adéquate du jugement de valeur porté par le jury. En ne contraignant pas ce dernier à dévoiler ses critères de correction, la Cour reconnaît que ces derniers font partie intégrante du processus délibératif et ne sauraient être assimilés aux données objectives de la phase d’admissibilité. Cette solution pragmatique permet de répondre à l’exigence de motivation sans paralyser le fonctionnement des concours.
Cette dualité de régime de la motivation s’explique par la volonté de la Cour de préserver la fonction spécifique du jury, dont l’indépendance est garantie par le secret de ses délibérations.
II. La réaffirmation de la primauté du secret des délibérations du jury
La décision de la Cour réaffirme avec force le principe du secret des travaux du jury, en le présentant comme une condition de son indépendance (A), ce qui a pour conséquence de limiter la portée du contrôle juridictionnel aux seuls aspects de régularité externe de l’évaluation (B).
A. L’incommunicabilité des critères de correction, garantie de l’indépendance du jury
La Cour rappelle que le secret des délibérations, prévu par l’article 6 de l’annexe III du statut, vise à « garantir l’indépendance des jurys de concours et l’objectivité de leurs travaux, en les mettant à l’abri de toutes ingérences et pressions extérieures ». Or, les « critères de correction adoptés par le jury préalablement aux épreuves » ne sont pas de simples instructions techniques ; ils « font partie intégrante des appréciations de nature comparative » et visent à assurer une « certaine homogénéité des appréciations ». Leur divulgation reviendrait à exposer le cœur même du processus intellectuel et délibératif du jury. Une telle obligation ouvrirait la voie à des contestations sans fin sur la pertinence ou la pondération de chaque critère, transformant le contrôle du juge en une nouvelle correction des épreuves. En protégeant ces critères par le secret, la Cour préserve le pouvoir d’appréciation du jury et garantit que son jugement ne sera pas dilué dans une justification a posteriori de sa méthode.
B. Une portée jurisprudentielle circonscrite au contrôle de la régularité externe
En jugeant que la communication de la note constitue une motivation suffisante, la Cour délimite par là même la portée de son contrôle. Le candidat évincé peut, sur la base de sa note, « vérifier, le cas échéant, qu’il n’a effectivement pas obtenu le nombre de points requis ». Le contrôle juridictionnel se concentre alors sur la régularité externe de la décision : respect des règles de procédure, absence d’erreur matérielle dans le décompte des points, ou encore respect du principe d’égalité de traitement, si une rupture est prouvée. En revanche, l’appréciation des mérites de la copie, matérialisée par la note, reste en dehors du champ de ce contrôle, sauf erreur manifeste que la seule communication des critères de correction ne permettrait pas nécessairement de déceler. La portée de cet arrêt est donc de confirmer que le juge ne saurait se substituer au jury pour évaluer la prestation d’un candidat, sa mission se limitant à sanctionner les illégalités manifestes et les vices de procédure.