Arrêt de la Cour (troisième chambre) du 5 avril 2001. – Commission des Communautés européennes contre République hellénique. – Manquement d’Etat – Non-transposition de la directive 94/56/CE. – Affaire C-494/99.

Par un arrêt en date du 25 avril 2001, la Cour de justice des Communautés européennes s’est prononcée sur le manquement d’un État membre à ses obligations de transposition d’une directive.

En l’espèce, la directive 94/56/CE du Conseil, établissant les principes fondamentaux régissant les enquêtes sur les accidents et les incidents dans l’aviation civile, devait être transposée par les États membres au plus tard le 21 novembre 1996. Faute d’avoir reçu notification des mesures de transposition de la part d’un État membre à l’expiration de ce délai, la Commission des Communautés européennes a engagé une procédure en manquement. Elle a d’abord adressé une lettre de mise en demeure le 30 mai 1997, à laquelle les autorités nationales ont répondu que les mesures nécessaires étaient en cours d’élaboration. Constatant l’absence de progrès, la Commission a ensuite émis un avis motivé le 24 septembre 1998, invitant l’État membre à se conformer à ses obligations dans un délai de deux mois. En réponse, les autorités nationales ont informé la Commission de la préparation d’un nouveau décret présidentiel. N’ayant toujours pas obtenu la preuve d’une transposition complète, la Commission a saisi la Cour de justice en vertu de l’article 226 du traité CE. Devant la Cour, le gouvernement défendeur a maintenu que des textes, notamment un projet de loi et un décret présidentiel, étaient en cours de préparation et soumis aux instances consultatives nationales.

La question de droit posée à la Cour était donc de savoir si un État membre peut se prévaloir de difficultés d’ordre interne, telles que la lenteur de ses procédures législatives et réglementaires, pour justifier le non-respect du délai de transposition d’une directive.

À cette question, la Cour de justice répond par la négative, en constatant le manquement de l’État membre à ses obligations. Elle fonde sa décision sur une jurisprudence établie, rappelant de manière lapidaire qu’« un État membre ne saurait exciper de dispositions, pratiques ou situations de son ordre juridique interne pour justifier l’inobservation des obligations et délais prescrits par une directive ». En conséquence, la Cour déclare que l’État membre a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de la directive.

Il convient d’analyser la portée de cette décision, qui réaffirme avec constance le principe de la primauté du droit communautaire sur les contraintes internes des États membres (I), avant d’examiner les conséquences qu’emporte une telle solution dans le cadre du contentieux en manquement (II).

I. La réaffirmation du principe de primauté face aux contraintes internes

L’arrêt s’inscrit dans une logique jurisprudentielle bien établie, caractérisée par la constatation objective du manquement de l’État membre (A) et par le rejet constant de toute justification tirée de son ordre juridique interne (B).

A. La constatation objective du manquement de l’État membre

La procédure en manquement, telle qu’encadrée par l’article 226 du traité CE, repose sur une approche factuelle et objective. La Cour de justice ne recherche pas les causes ou les éventuelles difficultés politiques ou administratives rencontrées par l’État défendeur. Son contrôle se limite à vérifier si, à l’expiration du délai fixé dans l’avis motivé, l’État membre a rempli ou non l’obligation qui lui incombait. En l’espèce, l’obligation était double : adopter les dispositions nécessaires pour se conformer à la directive 94/56/CE et en informer la Commission.

Le simple fait que le délai de transposition, fixé au 21 novembre 1996, soit écoulé sans que la législation nationale ait été mise en conformité suffit à caractériser le manquement. La Cour constate de manière objective l’absence de transposition dans le délai imparti. Les arguments de l’État membre, faisant état de l’élaboration en cours de plusieurs textes normatifs, sont sans pertinence pour écarter le constat de la défaillance. Le manquement est constitué par le non-respect de l’obligation de résultat que constitue la transposition d’une directive dans les délais prescrits.

B. Le rejet systématique des justifications d’ordre interne

Le point central du raisonnement de la Cour réside dans le rappel de sa jurisprudence constante, cristallisée au point 10 de l’arrêt. En affirmant qu’« un État membre ne saurait exciper de dispositions, pratiques ou situations de son ordre juridique interne pour justifier l’inobservation des obligations », la Cour réitère un principe fondamental pour la cohésion et l’effectivité de l’ordre juridique communautaire. Admettre de telles justifications reviendrait à permettre à chaque État membre de se soustraire à ses obligations en invoquant les spécificités de son propre système, ce qui anéantirait l’application uniforme du droit de l’Union.

Cette position intransigeante garantit que les obligations découlant des traités et des actes de droit dérivé, comme les directives, s’imposent aux États membres indépendamment de leur organisation constitutionnelle, administrative ou politique. Que le retard soit dû à la complexité de la matière, à des difficultés de coordination entre ministères, à la lenteur du processus parlementaire ou à la consultation d’organes internes comme le Conseil d’État, aucune de ces circonstances ne constitue une excuse valable. Cette solution, bien que sévère, est indispensable à la préservation de l’uniformité et de l’effectivité du droit de l’Union.

II. La portée de la solution dans le contentieux en manquement

La décision rendue, si elle peut paraître formelle, n’est pas dépourvue de conséquences juridiques importantes. Sa portée s’apprécie à travers la nature déclaratoire de l’arrêt (A) ainsi que les suites potentielles qu’un tel constat de manquement peut entraîner (B).

A. La nature déclaratoire de l’arrêt en manquement

L’arrêt rendu sur le fondement de l’article 226 du traité CE est de nature déclaratoire. Il se borne à constater officiellement l’existence d’une violation du droit communautaire par un État membre. La Cour ne dispose pas, à ce stade de la procédure, du pouvoir d’annuler une norme nationale contraire ou de contraindre directement l’État à légiférer. L’effet principal de l’arrêt est d’obliger l’État membre concerné, en vertu de l’article 228 du traité CE, à prendre les mesures que l’exécution de l’arrêt de la Cour comporte.

Bien que dépourvue de force exécutoire directe pour ce qui est de la modification de l’ordre juridique interne, cette déclaration solennelle met fin à toute contestation sur la réalité du manquement. L’État ne peut plus nier sa défaillance et se trouve dans l’obligation juridique de mettre sa législation en conformité avec les exigences de la directive. Le caractère déclaratoire de l’arrêt constitue ainsi la première étape d’un processus visant à assurer le respect du droit de l’Union.

B. Les conséquences potentielles du manquement constaté

Le constat d’un manquement ouvre la voie à des conséquences plus contraignantes si l’État membre persiste dans sa défaillance. Si, après le prononcé de l’arrêt, l’État ne prend pas les mesures nécessaires pour se conformer, la Commission peut engager une seconde procédure en manquement, dite de « manquement sur manquement », sur le fondement de l’article 228 du traité CE. Cette procédure peut aboutir à la condamnation de l’État au paiement d’une somme forfaitaire ou d’une astreinte, créant ainsi une sanction financière dissuasive.

En outre, le manquement constaté peut avoir des effets pour les justiciables. L’absence de transposition d’une directive dans les délais peut permettre aux particuliers d’invoquer, devant leurs juridictions nationales, les dispositions de cette directive à l’encontre de l’État défaillant, à condition que ces dispositions soient inconditionnelles et suffisamment précises. Ainsi, même en l’absence de loi nationale, l’arrêt en manquement vient conforter la possibilité pour les personnes concernées par le domaine de l’aviation civile de se prévaloir des droits que la directive 94/56/CE leur confère.

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Hassan KOHEN
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