Arrêt de la Cour (troisième chambre) du 5 juillet 1984. – Marinus Ooms contre Commission des Communautés européennes. – Remboursement spécial des frais de maladie – Article 72, paragraphe 3, du statut et article 8, paragraphe 2, de la réglementation relative à la couverture des risques de maladie – Coefficient correcteurs – Articles 64 et 65 du statut. – Affaire 115/83.

Par un arrêt en date du 12 juillet 1984, la Cour de justice des Communautés européennes s’est prononcée sur les modalités de calcul du remboursement spécial des frais médicaux pour les fonctionnaires. En l’espèce, un fonctionnaire affecté en Italie avait sollicité le bénéfice d’un remboursement complémentaire pour des dépenses de santé, conformément à l’article 72, paragraphe 3, du statut. Le bureau liquidateur compétent avait procédé au calcul de ce remboursement en se fondant sur le traitement de base de l’agent, sans y appliquer le coefficient correcteur géographique prévu pour son lieu d’affectation. L’agent a alors formé une réclamation, laquelle a été rejetée par la Commission au motif que les textes régissant ce remboursement spécial ne prévoyaient pas l’application d’un tel coefficient. Saisi d’un recours en annulation contre cette décision de rejet, le juge communautaire a dû examiner l’argumentation des parties. Le requérant soutenait que l’exclusion du coefficient correcteur méconnaissait l’objectif de la disposition, qui est de limiter le sacrifice financier imposé au fonctionnaire en fonction de son pouvoir d’achat réel, et portait atteinte au principe d’égalité de traitement. La Commission, quant à elle, défendait une lecture littérale des textes, arguant que le régime d’assurance maladie vise à rembourser des frais et non à garantir une parité de pouvoir d’achat, et que l’égalité était assurée dès lors que tous les fonctionnaires de même grade et échelon bénéficiaient du même montant de remboursement pour des frais identiques, indépendamment de leur affectation. Il s’agissait donc pour la Cour de déterminer si, pour le calcul du remboursement spécial des frais de maladie prévu à l’article 72, paragraphe 3, du statut, le « traitement mensuel de base » doit s’entendre du seul traitement nominal ou s’il doit être ajusté par le coefficient correcteur applicable au lieu d’affectation. La Cour répond par l’affirmative, considérant que la finalité même du remboursement spécial impose de tenir compte des conditions de vie réelles de l’agent. Elle annule par conséquent la décision attaquée et condamne la Commission à procéder à un nouveau calcul.

La Cour fonde sa décision sur une distinction fondamentale entre les deux régimes de remboursement prévus par le statut (I), ce qui la conduit à consacrer une interprétation finaliste des dispositions applicables (II).

I. La dualité des mécanismes de remboursement comme clé d’interprétation

La Cour de justice prend soin de distinguer la nature et l’objet du remboursement ordinaire de ceux du remboursement spécial. Cette différenciation constitue le socle de son raisonnement.

A. Le caractère objectif et uniforme du remboursement ordinaire

Le régime général de couverture des risques de maladie, tel qu’établi par l’article 72, paragraphe 1, du statut, repose sur un mécanisme de remboursement forfaitaire. Ce système assure la prise en charge d’un pourcentage fixe des frais exposés par l’affilié, dans la limite de plafonds prédéfinis. Le fonctionnement de ce régime est donc impersonnel et s’applique de manière identique à l’ensemble des fonctionnaires. La Cour souligne que « les remboursements ordinaires de L’article 72, paragraphe 1, reposent sur des donnees objectives tenant notamment a L ‘ application de plafonds et de taux de remboursement fixes par le statut de maniere uniforme pour L ‘ ensemble des fonctionnaires de la communaute ». Cette approche garantit une égalité de traitement formelle, où chaque agent, quelle que soit sa situation personnelle ou son lieu d’affectation, bénéficie des mêmes conditions de prise en charge pour une dépense donnée. Le système ne tient pas compte de l’impact financier réel que la part non remboursée représente pour l’individu.

B. La nature subjective et concrète du remboursement spécial

À l’inverse, le remboursement spécial prévu au paragraphe 3 du même article poursuit une finalité différente. Il n’est pas automatique et ne se déclenche que lorsque le total des frais non remboursés sur une période de douze mois excède un seuil significatif, fixé à la moitié du traitement mensuel de base. Cette condition même démontre que le législateur a entendu introduire un correctif social, destiné à protéger les fonctionnaires contre des charges financières excessives. La Cour relève ainsi que « le remboursement special est fonde sur des donnees propres a la situation de L ‘ interesse, qui tiennent au fait […] que la partie des frais non rembourses lui impose une ‘lourde charge’ financiere ». L’octroi de ce remboursement dépend donc d’une appréciation de la situation concrète de l’agent. La notion de « lourde charge » est par essence relative et ne peut être évaluée de manière abstraite ; elle doit nécessairement être rapportée à la capacité financière effective de l’intéressé.

II. La consécration d’une interprétation téléologique du statut

Forte de cette distinction, la Cour écarte une lecture purement littérale du texte pour privilégier une interprétation fondée sur l’objectif de la norme, garantissant ainsi le respect effectif du principe d’égalité.

A. La prééminence de l’objectif de la norme sur son libellé

Face à l’argument de la Commission selon lequel ni l’article 72, paragraphe 3, du statut, ni la réglementation d’application ne mentionnent le coefficient correcteur, la Cour oppose l’esprit du texte. Elle considère que l’appréciation de la lourdeur de la charge financière ne peut se faire correctement sans tenir compte du contexte économique dans lequel vit le fonctionnaire. Le coefficient correcteur, dont l’objet est précisément d’assurer une équivalence de pouvoir d’achat entre les différents lieux d’affectation, devient alors un instrument indispensable à cette évaluation. La Cour estime que « pour apprecier correctement la lourdeur de la charge financiere supportee par le fonctionnaire demandeur D ‘ un remboursement special, il convient de tenir compte des conditions de vie qui sont celles de son lieu D ‘ affectation ». En agissant ainsi, elle refuse de dissocier le mécanisme de remboursement spécial de l’économie générale du système de rémunération des fonctionnaires, qui vise à garantir une égalité non pas nominale, mais réelle.

B. L’effectivité du principe d’égalité de traitement

En liant le calcul du remboursement spécial au traitement réel, la Cour donne sa pleine portée au principe d’égalité. L’approche défendue par la Commission aurait abouti à une rupture de cette égalité. En effet, un même montant de frais non remboursés représente un sacrifice financier bien plus important pour un fonctionnaire vivant dans un pays à coût de la vie élevé que pour son collègue affecté dans un pays où ce coût est plus faible. La solution de la Cour assure que le seuil de déclenchement du remboursement spécial correspond à un effort financier équivalent pour tous, quel que soit leur lieu d’affectation. Elle en conclut logiquement que le calcul doit s’opérer « sur la base du traitement reel, affecte du coefficient correcteur de L ‘ article 64, dont L ‘ objet est precisement de prendre en compte ces conditions de vie du lieu D ‘ affectation ». Cet arrêt illustre la volonté du juge communautaire de faire prévaloir une justice matérielle sur une application formelle des textes, en particulier lorsque sont en jeu les principes fondamentaux qui structurent le statut de la fonction publique européenne.

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