Arrêt de la Cour (troisième chambre) du 6 avril 1995. – Flip CV et O. Verdegem NV contre Etat belge. – Demande de décision préjudicielle: Rechtbank van eerste aanleg Gent – Belgique. – Agriculture – Lutte contre la peste porcine classique – Indemnisation des propriétaires dont les porcs ont été abattus. – Affaire C-315/93.

Par un arrêt du 16 février 1995, la Cour de justice des Communautés européennes a été amenée à se prononcer sur l’étendue des obligations des États membres en matière d’indemnisation dans le cadre de la lutte contre la peste porcine classique. En l’espèce, des propriétaires de porcs abattus sur ordre des autorités sanitaires nationales, en application de mesures de lutte contre cette épizootie, ont contesté le montant des indemnités allouées par leur État. Ils soutenaient que le droit national, qui prévoyait une indemnisation partielle et soumise à des limites budgétaires, devait être interprété à la lumière du droit communautaire, lequel imposerait, selon eux, une indemnisation « immédiate et totale » des propriétaires.

Saisis du litige, les juges du fond ont sursis à statuer et ont posé à la Cour de justice deux questions préjudicielles. Ils cherchaient à savoir si la réglementation communautaire relative à la lutte contre la peste porcine classique devait être interprétée comme incluant une obligation d’indemnisation totale et immédiate des éleveurs, notamment par analogie avec des dispositions existant pour la peste porcine africaine. Subsidiairement, ils interrogeaient la Cour sur la validité de cette réglementation au regard du principe de non-discrimination, dans l’hypothèse où une telle obligation d’indemnisation ne serait pas reconnue. Le problème de droit soumis à la Cour consistait donc à déterminer si le droit communautaire harmonise les régimes d’indemnisation des propriétaires d’animaux abattus dans le cadre de la lutte contre la peste porcine classique et, dans la négative, si l’absence d’une telle harmonisation est compatible avec le principe d’égalité de traitement.

À cette question, la Cour de justice a répondu que la réglementation communautaire en la matière n’impose pas aux États membres de prévoir un régime d’indemnisation spécifique. Elle a par ailleurs jugé que l’examen de cette réglementation ne révélait aucune cause de nature à en affecter la validité, écartant ainsi toute violation du principe de non-discrimination. La solution de la Cour repose sur une stricte délimitation des compétences entre l’Union et ses États membres, affirmant la compétence nationale en matière d’indemnisation (I), tout en justifiant les différences de traitement qui peuvent en résulter (II).

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I. L’affirmation de la compétence étatique en l’absence d’harmonisation communautaire

La Cour de justice établit que les mesures communautaires de lutte contre la peste porcine classique ne créent pas d’obligation d’indemnisation à la charge des États membres. Pour ce faire, elle procède à une interprétation stricte des textes communautaires (A), ce qui la conduit à reconnaître une compétence résiduelle des États pour régler les aspects financiers de l’abattage sanitaire (B).

A. Une interprétation littérale des actes communautaires

La Cour examine attentivement les directives relatives à la lutte contre la peste porcine classique et constate que leur objet se limite à l’édiction de mesures sanitaires et prophylactiques. Elle relève qu’« en adoptant les directives 80/217 et 80/1095, le législateur communautaire n’a pas entendu réglementer les aspects financiers que comporte l’exécution de ces mesures par les propriétaires des animaux concernés et, en particulier, imposer des mesures d’indemnisation de ces propriétaires ». Cette analyse textuelle permet de conclure que l’harmonisation opérée par le législateur de l’Union se cantonne aux aspects techniques de la lutte contre la maladie, tels que la surveillance des exploitations, la destruction des animaux ou la désinfection des locaux.

Par ailleurs, la Cour refuse d’étendre par analogie les règles applicables à d’autres épizooties. L’argument des requérants au principal, fondé sur une décision relative à la peste porcine africaine en Sardaigne prévoyant une indemnisation « immédiate et totale », est ainsi écarté. La Cour souligne que cette maladie est différente et que les mesures adoptées visaient une situation géographique et sanitaire spécifique, justifiant des dispositions particulières. Le fait que l’Union ait prévu un soutien financier aux États qui indemnisent les éleveurs n’implique pas non plus une obligation pour ces derniers de le faire, mais constitue une simple faculté.

B. La compétence résiduelle des États membres pour l’indemnisation

En l’absence de dispositions communautaires régissant l’indemnisation, la Cour en déduit logiquement que cette matière relève de la compétence de chaque État membre. Cette solution est une application directe du principe des compétences d’attribution, selon lequel l’Union n’agit que dans les limites des compétences que les États membres lui ont attribuées dans les traités. Les aspects non harmonisés, même dans un domaine où l’Union est intervenue, demeurent de la compétence nationale.

Dès lors, chaque État est libre de mettre en place ou non un régime d’indemnisation, d’en fixer les modalités et les montants, y compris d’y apporter des limitations d’ordre budgétaire. Le droit national, qui subordonnait en l’espèce l’indemnisation « aux limites des crédits budgétaires », ne contrevient donc pas au droit communautaire, car il s’exerce dans un champ laissé libre par ce dernier. L’arrêt confirme ainsi l’autonomie des États membres dans la gestion des conséquences économiques internes des politiques sanitaires communes, dès lors que le législateur de l’Union n’en a pas disposé autrement.

Cette autonomie laissée aux États soulève cependant la question de son éventuelle contrariété avec le principe d’égalité de traitement entre les opérateurs économiques de l’Union.

II. Le rejet de la discrimination résultant des divergences nationales

La Cour de justice examine ensuite la validité de la réglementation communautaire au regard du principe de non-discrimination. Elle conclut que l’absence d’obligation d’indemnisation harmonisée ne constitue pas une discrimination (A) et que les différences de traitement entre les régimes de lutte contre les maladies animales sont objectivement justifiées (B).

A. L’absence de violation du principe de non-discrimination

La Cour écarte l’argument selon lequel la réglementation communautaire créerait une discrimination entre les propriétaires d’animaux selon leur nationalité. Elle constate que le droit de l’Union est neutre sur la question de l’indemnisation et ne crée donc aucun régime différencié. Si des différences de traitement existent, elles ne découlent pas de la réglementation communautaire elle-même, mais des choix souverains opérés par les États membres dans l’exercice de leur compétence résiduelle.

La Cour précise que « la circonstance que certains États membres aient, dans le cadre des compétences qu’ils conservent, adopté un régime d’indemnisation de ces propriétaires alors que d’autres États membres n’en auraient pas adopté ne saurait non plus enfreindre les règles du traité ». Ce faisant, elle refuse de tenir le droit de l’Union pour responsable des disparités nées de l’exercice par les États de leurs propres compétences. Le principe de non-discrimination ne saurait donc être invoqué pour imposer une harmonisation que le législateur de l’Union n’a pas souhaitée.

B. La justification des différences de traitement entre situations distinctes

Enfin, la Cour répond à l’argument comparant la peste porcine classique à d’autres maladies animales pour lesquelles une indemnisation est prévue par le droit communautaire. Elle juge que le principe d’égalité de traitement, tel qu’énoncé notamment à l’article 40, paragraphe 3, du traité, n’est pas violé, car « les situations en cause sont objectivement différentes ». Cette affirmation rappelle que le principe d’égalité de traitement impose de traiter de manière identique des situations comparables, mais n’interdit pas de traiter différemment des situations qui ne le sont pas.

Le législateur de l’Union dispose d’un large pouvoir d’appréciation dans la conduite de la politique agricole commune. Il peut légitimement considérer que la lutte contre différentes maladies animales appelle des réponses différenciées, y compris sur le plan financier, en fonction de la gravité de la maladie, de son étendue géographique, de l’urgence de l’intervention ou des objectifs de la politique sanitaire. En refusant d’assimiler les régimes de lutte contre la peste porcine classique à ceux d’autres épizooties, la Cour valide la cohérence de l’action de l’Union et préserve la marge de manœuvre du législateur dans la gestion des crises sanitaires.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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