Par un arrêt en date du 13 mai 1982, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé les conditions dans lesquelles la mobilité des fonctionnaires peut être encadrée par des contraintes budgétaires. La décision offre un éclairage sur la distinction entre les différentes catégories de personnel au sein de la fonction publique européenne et sur l’étendue du pouvoir d’organisation des services dont disposent les institutions.
En l’espèce, un fonctionnaire scientifique, dont la rémunération était imputée sur des crédits de recherche, avait posé sa candidature à un emploi de premier secrétaire auprès d’une délégation de la Communauté dans un pays tiers. L’avis de vacance correspondant précisait toutefois que le poste était exclusivement réservé aux fonctionnaires rémunérés sur les crédits de fonctionnement de l’institution. En conséquence, la candidature de l’intéressé fut écartée au motif qu’il ne remplissait pas cette condition spécifique.
Le fonctionnaire évincé a introduit une réclamation, laquelle fut implicitement rejetée. Il a alors formé un recours en annulation devant la Cour de justice. Le requérant soutenait, d’une part, que la décision de rejet de sa candidature était entachée de vices de forme et, d’autre part, que la clause de l’avis de vacance limitant l’accès au poste constituait une mesure illégale et discriminatoire. Il arguait notamment que cette restriction violait une décision antérieure relative à la rotation du personnel et instaurait une différence de traitement injustifiée entre les fonctionnaires. Se posait donc à la Cour la question de savoir si une institution pouvait légalement restreindre un emploi à une catégorie de fonctionnaires définie par la nature de son financement budgétaire. De manière subsidiaire, il était demandé à la Cour si la décision organisant la rotation du personnel constituait une disposition générale d’exécution du statut, soumise à des exigences procédurales spécifiques.
À cette question, la Cour répond par l’affirmative, jugeant que la spécialisation des crédits budgétaires constitue une justification objective à une telle restriction d’accès. Elle valide ainsi la légalité de l’avis de vacance et, par voie de conséquence, le rejet de la candidature. Elle précise en outre que la décision relative à la rotation du personnel relève du pouvoir d’organisation interne de l’institution et non des dispositions générales d’exécution du statut.
La solution retenue par la Cour repose ainsi sur une stricte application du principe de spécialité budgétaire, dont elle fait découler une justification à un traitement différencié entre agents (I). Cette approche renforce par ailleurs la reconnaissance d’une large autonomie des institutions dans l’aménagement de leurs services (II).
I. La légitimation d’une différence de traitement fondée sur l’affectation budgétaire
La Cour examine avec attention l’argument du requérant selon lequel l’exclusion des fonctionnaires rémunérés sur crédits de recherche serait discriminatoire. Elle écarte cette critique en s’appuyant sur la primauté des règles d’allocation budgétaire (A), ce qui la conduit à valider une application différenciée des règles statutaires (B).
A. La primauté du principe de spécialité budgétaire
Le raisonnement de la Cour prend pour point de départ la règle selon laquelle les fonctionnaires participant à des mouvements de rotation « sont affectés avec leur poste budgétaire ». Or, les postes financés par des crédits de recherche sont spécifiquement destinés à la réalisation d’objectifs scientifiques et techniques définis par l’autorité budgétaire. L’affectation d’un agent rémunéré sur de tels crédits à des fonctions de nature administrative ou de représentation, comme en l’espèce, reviendrait à détourner ces fonds de leur finalité. La Cour formalise cette logique en affirmant qu’« un fonctionnaire remunéré sur crédits de recherche ne saurait donc être affecté, avec son poste budgétaire, à des taches ne relevant pas du programme de recherches sans qu’une telle pratique constitue une violation des decisions prises par le conseil en matiere de recherches et des regles budgetaires d’affectation des credits ». Cette analyse consacre la prééminence des contraintes budgétaires sur la mobilité interne des fonctionnaires, érigeant la source de financement en critère déterminant de l’affectation fonctionnelle.
B. La justification objective de la différence de traitement
Ayant établi que la restriction d’accès au poste litigieux découlait directement des règles budgétaires, la Cour conclut à l’absence de discrimination illégale. Si la mesure instaure bien une « disparité supplémentaire » entre les catégories de personnel, elle n’en est pas moins justifiée par des considérations objectives et rationnelles. La Cour rappelle que le statut des fonctionnaires opère déjà une distinction entre les cadres scientifique ou technique et les cadres administratif ou linguistique, notamment en raison des « particularités de leurs fonctions ». La différence de traitement introduite par l’avis de vacance ne fait que prolonger cette logique en l’adaptant aux impératifs de la gestion budgétaire. La Cour estime en effet que cette disparité était « justifiée par la necessité d’assurer une application de la decision du 23 juillet 1975 conforme aux decisions prises par le conseil en matiere de recherches et aux regles budgetaires d’affectation des credits ». Le critère de l’origine des crédits apparaît ainsi comme une clé de répartition légitime des opportunités de carrière, dès lors qu’il garantit le respect de l’affectation des ressources publiques.
Au-delà de la validation de la clause de l’avis de vacance, la Cour profite de ce litige pour clarifier la nature juridique des actes d’organisation interne des institutions et en tirer des conséquences procédurales importantes.
II. La consécration du pouvoir d’organisation des services de l’institution
La Cour rejette les autres moyens du requérant en se fondant sur deux considérations qui témoignent de son attachement à une certaine forme de pragmatisme juridique. Elle écarte d’abord le moyen tiré d’un vice de forme en raison de la compétence liée de l’administration (A), avant de confirmer que les règles de rotation du personnel relèvent de la seule autonomie organisationnelle de l’institution (B).
A. L’inefficacité du moyen tiré du vice de forme en cas de compétence liée
Le requérant invoquait l’incompétence du signataire de la décision de rejet et une absence de motivation. Sans même examiner le bien-fondé de ces allégations, la Cour les juge inopérantes. Elle applique une jurisprudence constante selon laquelle l’annulation d’une décision pour un vice de forme n’a pas d’intérêt lorsque l’administration se trouve en situation de compétence liée. En l’occurrence, l’administration, confrontée à un avis de vacance légal, n’avait d’autre choix que d’écarter la candidature du requérant. La Cour le formule en des termes généraux : « Un fonctionnaire n’a aucun interet legitime a l’annulation pour vice de forme d’une decision, dans le cas ou l’administration ne dispose d’aucune marge d’appreciation et est tenue d’agir quant au fond comme elle l’a fait ». Annuler la décision n’aurait eu pour seul effet que de contraindre l’institution à en reprendre une nouvelle, identique sur le fond. Ce faisant, la Cour manifeste son refus de sanctionner des irrégularités formelles lorsque cela ne présente aucune utilité pratique pour le requérant.
B. La qualification de la décision de rotation en mesure d’organisation interne
Le dernier argument du requérant portait sur l’illégalité de la décision de 1975 organisant le système de rotation du personnel, au motif qu’elle n’avait pas été précédée des consultations prévues par l’article 110 du statut. La Cour balaie ce moyen en précisant la nature juridique de cet acte. S’appuyant sur un précédent, elle juge que « la decision du 23 juillet 1975 ne constitue pas une disposition generale d’execution du statut des fonctionnaires, visee par l’article 110 de ce statut, mais releve du pouvoir general dont chaque institution dispose, d’organiser ses propres services dans l’interet d’un fonctionnement correct de ceux-ci ». Cette qualification est déterminante : en soustrayant de telles mesures au champ des dispositions générales d’exécution, la Cour les exempte des lourdes formalités de consultation qui y sont attachées. Elle reconnaît ainsi aux institutions une souplesse indispensable pour adapter leur organisation aux besoins du service, renforçant leur autonomie de gestion et limitant les possibilités de contestation contentieuse fondées sur des arguments purement procéduraux.