Arrêt de la Cour (troisième chambre) du 6 juillet 1983. – Jean-Jacques Geist contre Commission des Communautés européennes. – Fonctionnaire – Recours en annulation – Injonction de reprendre les fonctions et suspension du versement du traitement – Article 60 du statut. – Affaire 285/81.

L’arrêt rendu dans l’affaire 285/81 par la Cour de justice des Communautés européennes offre un éclairage sur les conséquences d’une absence jugée irrégulière d’un fonctionnaire. Un agent, après avoir contesté sans succès sa mutation vers un nouveau lieu d’affectation, s’est placé en congé de maladie de longue durée. Une commission d’invalidité l’ayant déclaré apte au service, et plusieurs tentatives de réaffectation ayant échoué, l’administration l’a formellement mis en demeure de rejoindre son poste. Se prévalant de certificats de son médecin personnel, le fonctionnaire n’a pas obtempéré. En conséquence, l’administration a d’abord constaté son aptitude au travail, puis, face à son absence persistante, a suspendu le versement de son traitement en application des dispositions statutaires. Le fonctionnaire a alors saisi la Cour de justice, demandant l’annulation de la décision lui ordonnant de rejoindre son poste et de celle suspendant sa rémunération. Il soutenait que la première méconnaissait le devoir de sollicitude de l’administration et que la seconde avait été prise par une autorité incompétente. La question juridique soulevée était donc de déterminer, d’une part, la portée des obligations de l’administration envers un agent dans une situation personnelle et professionnelle difficile et, d’autre part, de définir le régime juridique de la suspension du traitement pour absence irrégulière, notamment en ce qui concerne la nature de la mesure et l’autorité compétente pour la prononcer. La Cour a rejeté le recours dans son intégralité, validant la démarche de l’administration. Elle a jugé que l’injonction de rejoindre le poste était légale, l’administration n’ayant pris aucun engagement formel de réaffectation qui l’aurait liée. Surtout, elle a jugé que la suspension du traitement n’est pas une sanction disciplinaire mais une conséquence automatique de l’absence irrégulière, et a précisé que l’autorité compétente pour prendre une telle décision est l’autorité investie du pouvoir de nomination, statuant par analogie avec d’autres dispositions du même article du statut.

La solution retenue par la Cour de justice permet de consolider les prérogatives de l’administration dans la gestion de ses agents (I), tout en apportant une clarification essentielle sur le régime de la sanction financière d’une absence irrégulière (II).

I. La confirmation de la latitude de l’administration dans la gestion de l’affectation de ses agents

La décision de la Cour réaffirme avec force le pouvoir d’organisation du service dont dispose l’administration, en rappelant au fonctionnaire son devoir d’obéissance à une décision d’affectation régulière (A) et en fournissant une interprétation restrictive du devoir de sollicitude (B).

A. Le caractère contraignant de la décision d’affectation

L’arrêt souligne que la décision de mutation initiale, bien que contestée par l’agent, avait été validée par une précédente décision de la Cour. Cette affectation était donc devenue définitive et s’imposait au fonctionnaire. La Cour rappelle ainsi un principe fondamental du droit de la fonction publique : l’agent doit se conformer aux décisions relatives à son affectation dès lors qu’elles sont prises dans l’intérêt du service. Les difficultés personnelles ou familiales, bien que dignes d’intérêt, ne sauraient faire obstacle à une mesure de mutation jugée légale et justifiée. La Cour jugeait déjà dans son arrêt du 14 juillet 1977 que « les fonctionnaires de la communauté devaient supporter les inconvénients familiaux et les gênes économiques qui leur sont causés par une mutation ». En refusant de rejoindre son poste, le requérant s’est donc placé dans une situation d’irrégularité, l’administration étant en droit d’exiger l’exécution d’une décision qui n’avait jamais été rapportée.

B. L’interprétation stricte du devoir de sollicitude

Le fonctionnaire invoquait la violation du principe de sollicitude et de confiance légitime, arguant que l’administration lui avait laissé espérer une solution de réaffectation en dehors de son lieu de mutation. La Cour écarte ce moyen en opérant une distinction claire entre les efforts entrepris par l’administration pour trouver une solution et un engagement juridique formel de sa part. Elle relève que si l’administration « s’est efforcée de prendre en considération les préférences personnelles de M. Geist et de lui trouver un autre poste, elle n’a jamais retiré la décision de mutation à Ispra et n’a pris aucun engagement de le dispenser de l’obligation de rejoindre son poste ». Cette analyse rappelle que le devoir de sollicitude, bien qu’imposant à l’administration de prendre en compte la situation de ses agents, ne la contraint pas à accéder à leurs vœux, ni ne crée de droits acquis sur la base de simples discussions ou recherches de solutions alternatives. La confiance légitime ne peut naître que d’assurances précises et inconditionnelles, ce qui n’était pas le cas en l’espèce.

Le refus de l’agent de se conformer à l’ordre de rejoindre son poste a entraîné une conséquence financière, dont l’analyse par la Cour constitue l’apport principal de l’arrêt.

II. La clarification du régime de la suspension de traitement pour absence irrégulière

La Cour de justice se prononce sur la nature juridique de la mesure de suspension de la rémunération (A) et lève l’ambiguïté du statut quant à l’autorité compétente pour la prononcer (B).

A. Une mesure de conséquence et non une sanction disciplinaire

L’apport majeur de l’arrêt réside dans la qualification de la perte du droit au traitement. Le requérant soutenait que cette mesure s’analysait comme une sanction disciplinaire déguisée. La Cour rejette fermement cette thèse en affirmant que « la décision de mettre fin au versement du traitement ne constitue ni une sanction disciplinaire, qui exigerait l’intervention de la commission, ni une mesure équivalente ». Elle précise qu’en vertu de l’article 60 du statut, « le fonctionnaire en absence irrégulière dûment constatée et dont les droits à congé sont épuisés, perd de plein droit le bénéfice de sa rémunération ». Cette interprétation a une portée considérable : en qualifiant la mesure de conséquence automatique et non de sanction, la Cour la soustrait aux lourdes garanties de la procédure disciplinaire. L’administration n’a donc pas à engager une telle procédure pour cesser de rémunérer un service qui n’est pas fait, à condition que l’absence soit « dûment constatée » comme irrégulière. Sur ce point, la Cour estime que l’avis du médecin-conseil de l’institution, concluant à l’aptitude de l’agent, suffisait à établir cette irrégularité, nonobstant les certificats contraires du médecin traitant.

B. La détermination de l’autorité compétente par raisonnement analogique

Le statut étant silencieux sur l’identité de l’autorité compétente pour appliquer cette mesure pécuniaire, la Cour procède à une interprétation constructive pour combler ce vide juridique. Elle constate que l’alinéa 2 de l’article 60 du statut désigne expressément l’autorité investie du pouvoir de nomination (AIPN) pour autoriser un fonctionnaire à passer son congé de maladie hors de son lieu d’affectation. La Cour en déduit par analogie que cette même autorité est la plus à même de gérer les conséquences d’une absence irrégulière. Elle juge qu' »il convient d’admettre, dans ces conditions, que l’autorité compétente pour constater l’absence irrégulière et ordonner qu’il soit mis fin au versement du traitement, est la même que celle visée à l’article 60, alinéa 2, c’est-à-dire, l’autorité investie du pouvoir de nomination ». Cette solution pragmatique assure une cohérence dans la gestion des situations liées aux congés et aux absences. En validant ensuite la subdélégation de ce pouvoir au chef de la division « administration et personnel », la Cour ancre sa décision dans une logique de bonne administration, permettant une gestion de proximité efficace de ces situations.

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Hassan KOHEN
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