Arrêt de la Cour (troisième chambre) du 7 mai 1986. – Jean-Pascal Rihoux et autres contre Commission des Communautés européennes. – Fonctionnaires – Demande d’annulation des opérations d’un concours. – Affaire 52/85.

Par un arrêt en date du 7 mai 1986, la Cour de justice des Communautés européennes a été amenée à se prononcer sur les conséquences procédurales du choix, par des candidats à un concours, d’introduire une réclamation administrative préalable facultative avant de saisir la juridiction.

En l’espèce, plusieurs fonctionnaires se sont présentés à un concours général en vue de la constitution d’une réserve d’administrateurs. Les épreuves consistaient en une série de questions à choix multiple et en un entretien oral. Pour être inscrits sur la liste d’aptitude, les candidats devaient obtenir une note minimale pour l’ensemble des épreuves ainsi qu’un seuil spécifique à l’épreuve orale. N’ayant atteint ni l’un ni l’autre de ces seuils, les requérants ont été informés de leur échec. Ils ont alors formé des réclamations administratives individuelles, mais rédigées en des termes identiques, contestant uniquement la régularité de l’épreuve écrite. Ces réclamations ayant été rejetées par une décision de l’autorité investie du pouvoir de nomination, les intéressés ont saisi la Cour de justice. Dans leur recours contentieux, ils reprenaient leur contestation de l’épreuve écrite, mais y ajoutaient de nouveaux moyens tirés de l’irrégularité de l’épreuve orale, de la violation du secret des travaux du jury et d’un détournement de pouvoir. L’institution défenderesse a soulevé une exception d’irrecevabilité à l’encontre de ces nouveaux moyens, au motif qu’ils n’avaient pas été présentés dans les réclamations préalables.

La question de droit qui se posait à la Cour était double. Il s’agissait d’abord de déterminer si un recours contentieux pouvait valablement contenir des chefs de contestation nouveaux, non soulevés dans la réclamation administrative préalable lorsque cette dernière, bien que facultative, avait été choisie par les requérants. Il convenait ensuite, pour les seuls moyens jugés recevables, de statuer sur le point de savoir si l’organisation d’une épreuve écrite de concours était entachée d’irrégularité en raison de la nature des questions posées, de troubles mineurs durant son déroulement ou de l’absence d’un membre du jury.

À la première question, la Cour répond par la négative, affirmant que le recours contentieux ne peut modifier ni la cause ni l’objet de la réclamation. Elle déclare par conséquent irrecevables les moyens qui n’avaient pas été soulevés au stade de la procédure précontentieuse. Sur le fond, la Cour rejette ensuite l’ensemble des critiques formulées à l’encontre de l’épreuve écrite, considérant qu’aucune irrégularité de nature à vicier l’opération de concours n’a été établie.

La solution retenue par la Cour de justice conduit à une stricte délimitation du cadre du litige dès le stade de la réclamation administrative (I), tout en confirmant la marge d’appréciation laissée au jury dans l’organisation matérielle des épreuves (II).

I. La cristallisation du litige par la réclamation administrative préalable

A. Le rappel du caractère facultatif de la réclamation contre une décision de jury

La Cour commence son raisonnement en rappelant une solution bien établie de sa jurisprudence. La voie de recours normale contre une décision d’un jury de concours est la saisine directe de la juridiction, l’autorité administrative ne disposant pas du pouvoir d’annuler ou de modifier une telle décision. Ainsi, la réclamation administrative préalable prévue par le statut des fonctionnaires revêt dans ce contexte un caractère purement facultatif. La Cour précise que le choix d’emprunter cette voie ne doit pas avoir pour effet de priver l’administré de son droit au recours juridictionnel, notamment en le mettant hors délai.

Cependant, cette jurisprudence protectrice des droits des fonctionnaires ne saurait pour autant les dispenser « de respecter l’ensemble des contraintes procédurales qui s’attachent à la voie de la réclamation préalable qu’ils ont choisie ». En d’autres termes, si le choix de la voie précontentieuse proroge le délai de recours, il emporte également l’adhésion du requérant à un cadre procédural dont il ne peut s’affranchir par la suite. Cette approche vise à éviter de conférer des droits supérieurs aux fonctionnaires qui choisissent cette voie par rapport à ceux qui saisissent directement la Cour.

B. La sanction du non-respect de l’identité de cause et d’objet entre la réclamation et le recours

L’une des contraintes procédurales majeures de la réclamation préalable est de permettre un règlement amiable du différend. Pour ce faire, l’administration doit être en mesure de connaître avec une précision suffisante les griefs qui lui sont adressés. La Cour en déduit une conséquence logique et rigoureuse : le recours contentieux qui suit le rejet de la réclamation doit conserver une identité de cause et d’objet avec cette dernière. Le litige se trouve ainsi « cristallisé » par les termes de la réclamation.

Appliquant ce principe à l’espèce, la Cour juge que « le fonctionnaire qui a choisi la voie de la réclamation préalable ne peut présenter devant la cour, d’une part, que des conclusions ayant le même objet que celles exposées dans la réclamation et, d’autre part, que des chefs de contestation reposant sur la même cause que ceux invoqués dans la réclamation ». Si des arguments nouveaux peuvent être développés devant le juge, ils doivent impérativement se rattacher étroitement aux chefs de contestation initialement soulevés. Les moyens relatifs à l’épreuve orale, au secret des délibérations et au détournement de pouvoir, étant sans rapport avec la seule critique de l’épreuve écrite formulée dans les réclamations, sont donc écartés comme irrecevables car présentés après l’expiration du délai de recours direct.

II. L’appréciation souveraine du jury de concours confortée

A. Le rejet des critiques sur le contenu et le déroulement de l’épreuve écrite

Une fois le périmètre du litige délimité, la Cour examine les seuls moyens recevables, tous relatifs à l’épreuve écrite. Les requérants soutenaient d’abord que l’avis de concours n’avait pas été respecté, une partie de l’épreuve étant selon eux un test psychotechnique non prévu. La Cour, après examen du sujet, écarte cet argument en jugeant que les questions posées ne méconnaissaient pas les spécifications de l’avis et ne visaient pas à établir un profil psychologique.

Ensuite, les requérants alléguaient que l’épreuve avait été perturbée par un incident lié à une erreur de traduction. La Cour reconnaît l’existence d’un « léger trouble », mais estime qu’il n’a pas été de nature à vicier le déroulement des épreuves, l’incident ayant été bref et les candidats ayant pu se consacrer aux autres questions. Cette position illustre la réticence du juge à annuler un concours pour des incidents mineurs qui n’ont pas substantiellement affecté l’égalité entre les candidats.

B. La consécration de l’absence d’obligation de présence du jury lors des épreuves écrites

Enfin, les requérants invoquaient l’irrégularité de l’épreuve en raison de l’absence de membres du jury dans le centre d’examen, seule la secrétaire du jury étant présente. Sur ce point, la Cour énonce une règle claire et de portée générale, en affirmant qu’« aucune disposition du statut non plus qu’aucun principe général du droit n’impose la présence d’un membre du jury lors du déroulement des épreuves écrites d’un concours ».

Cette solution est empreinte de réalisme, la Cour reconnaissant qu’une telle présence serait « matériellement difficile, voire impossible à assurer » lorsque les épreuves sont organisées dans de multiples centres géographiquement éloignés. En l’absence de toute discrimination établie entre les candidats des différents centres, cet argument ne pouvait donc prospérer. La Cour conforte ainsi le pouvoir d’organisation du jury, qui peut valablement déléguer la surveillance matérielle des épreuves écrites sans que la régularité du concours en soit affectée.

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Hassan KOHEN
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