Par un arrêt en date du 8 août 1996, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé le champ d’application de la directive 79/409/CEE concernant la conservation des oiseaux sauvages. En l’espèce, une procédure pénale avait été engagée aux Pays-Bas à l’encontre d’un particulier pour la détention d’oiseaux appartenant à une sous-espèce ne vivant pas naturellement à l’état sauvage sur le territoire européen. Toutefois, l’espèce principale dont cette sous-espèce est issue, ainsi que d’autres sous-espèces de celle-ci, sont présentes sur le territoire de l’Union. La législation néerlandaise interdisait la détention de ces oiseaux, mais des doutes subsistaient quant à la compatibilité de cette protection étendue avec les objectifs de la directive. La juridiction néerlandaise, le Gerechtshof te ‘s-Hertogenbosch, a donc saisi la Cour de justice à titre préjudiciel. Il était ainsi demandé à la Cour de déterminer si une réglementation nationale protégeant des sous-espèces d’oiseaux non présentes sur le territoire européen des États membres était conforme à la directive, au seul motif que l’espèce parente y vit à l’état sauvage. La Cour de justice a répondu par l’affirmative, jugeant que « la directive 79/409/CEE […] s’applique aux sous-espèces d’oiseaux ne vivant naturellement à l’état sauvage qu’en dehors du territoire européen des États membres, dès lors que l’espèce à laquelle elles appartiennent ou d’autres sous-espèces de cette espèce vivent naturellement à l’état sauvage sur le territoire en question ». La Cour a ainsi opté pour une interprétation large et finaliste de la directive, assise sur la primauté de la notion biologique d’espèce (I), consacrant une solution pragmatique destinée à assurer l’effectivité de la protection environnementale (II).
I. L’extension du champ d’application de la directive par une interprétation téléologique
La Cour fonde son raisonnement sur une analyse des objectifs de la directive qui la conduit à privilégier une approche large de la protection. Cette démarche s’appuie sur la reconnaissance de la primauté de la notion d’espèce sur celle de sous-espèce (A), justifiée par la nécessité d’assurer une protection efficace et uniforme de l’avifaune sur le territoire de l’Union (B).
A. La primauté de la notion d’espèce sur celle de sous-espèce
La Cour de justice souligne que l’article 1er de la directive articule le régime de protection autour de la notion d’« espèces d’oiseaux vivant naturellement à l’état sauvage sur le territoire européen ». Partant de ce constat, elle relève qu’en taxinomie aviaire, la notion d’espèce est une catégorie scientifique fondamentale qui englobe par définition toutes ses subdivisions, y compris les sous-espèces. Ainsi, un individu appartenant à une sous-espèce spécifique appartient nécessairement à l’espèce parente. Dès lors qu’une espèce est représentée sur le territoire européen par au moins une de ses sous-espèces, l’ensemble de l’espèce, et par conséquent toutes ses autres sous-espèces, entrent dans le champ d’application de la directive.
Pour conforter cette analyse, la Cour opère une distinction entre la rigueur scientifique attachée à la définition de l’espèce et le caractère plus relatif de celle de la sous-espèce. Elle rappelle que « la notion de sous-espèce n’est pas fondée sur des critères distinctifs aussi rigoureux et objectifs que ceux qui servent à délimiter les espèces entre elles ». En effet, la délimitation des sous-espèces repose sur des critères morphologiques, comportementaux ou géographiques qui peuvent faire l’objet de divergences au sein de la communauté scientifique, à la différence des caractères génétiques qui définissent une espèce. Cette fragilité de la notion de sous-espèce rendrait son utilisation comme critère principal d’application de la directive à la fois complexe et incertaine.
B. La nécessité d’une protection efficace et uniforme de l’avifaune
L’interprétation retenue par la Cour est également dictée par un impératif d’effectivité. Si le champ d’application de la directive était limité aux seules sous-espèces vivant sur le territoire européen, sa mise en œuvre se heurterait à des difficultés pratiques considérables. Les autorités de contrôle des États membres seraient confrontées à la tâche ardue, voire impossible, de distinguer des sous-espèces souvent très proches morphologiquement. Une telle situation engendrerait une application non uniforme de la législation au sein de la Communauté, ce qui serait contraire à l’objectif de protection efficace de l’avifaune et pourrait créer des distorsions de concurrence entre les opérateurs économiques.
En adoptant une approche extensive, la Cour s’assure que la protection ne puisse être aisément contournée par le commerce de sous-espèces exotiques mais biologiquement très proches des espèces protégées. Cette interprétation finaliste, qui s’attache au but poursuivi par la directive plutôt qu’à une lecture littérale et restrictive de ses termes, est conforme à l’esprit du texte, qui vise à la conservation du patrimoine aviaire commun en tant que problème transfrontalier. La solution garantit ainsi une application cohérente et homogène du droit de l’environnement, indispensable à l’atteinte des objectifs fixés par le législateur de l’Union.
II. La consécration d’une solution pragmatique aux implications étendues
En choisissant une définition large du champ de protection, la Cour établit une solution pragmatique dont la valeur se mesure à l’aune des risques de contournement et de perturbation écologique qu’elle prévient (A). Cette décision a également pour portée de clarifier l’articulation entre le droit de l’Union et les réglementations nationales, en validant implicitement les mesures de protection étendues (B).
A. La justification par les risques de contournement et de perturbation écologique
La valeur de cet arrêt réside principalement dans son pragmatisme. La Cour anticipe les conséquences néfastes qu’aurait entraînées une solution inverse. Admettre que les sous-espèces non européennes échappent à la directive aurait ouvert une brèche dans le système de protection. Le commerce et la détention de ces oiseaux auraient été libres, créant une voie de contournement évidente des interdictions frappant les espèces européennes. En raison des difficultés d’identification, il serait devenu aisé de faire passer des oiseaux d’une sous-espèce protégée pour des spécimens d’une sous-espèce non protégée.
Au-delà du risque de fraude, la Cour prend en considération un danger écologique majeur. L’introduction de sous-espèces non indigènes sur le territoire de l’Union comporte un risque non négligeable de lâchers dans la nature. De tels agissements pourraient conduire à une « modification artificielle de l’avifaune naturelle de la Communauté », phénomène incompatible avec l’objectif de sauvegarde des équilibres biologiques, expressément mentionné dans les considérants de la directive. L’hybridation entre des sous-espèces introduites et les populations locales pourrait notamment altérer le patrimoine génétique de ces dernières. En prévenant ce risque, la Cour renforce la cohérence du droit de l’environnement de l’Union avec les grands principes de la conservation de la biodiversité.
B. La portée de la décision pour les réglementations nationales
La portée de cette décision est significative pour les États membres. En confirmant que la protection offerte par la directive s’étend aux sous-espèces non européennes d’une espèce présente sur le territoire de l’Union, la Cour rend les questions subsidiaires du juge de renvoi sans objet. La question de savoir si la législation néerlandaise constituait une « mesure plus stricte » au sens de l’article 14 de la directive ne se pose plus dans les mêmes termes. La réglementation nationale apparaît en réalité comme une application correcte et diligente de la directive, telle qu’interprétée par la Cour.
Cet arrêt établit un socle de protection élevé et uniforme pour l’ensemble des États membres. Il conforte la légitimité des législations nationales qui, comme la loi néerlandaise en l’espèce, avaient déjà adopté une approche large pour assurer une protection sans faille de leur avifaune. En définitive, la décision ne se limite pas à trancher un cas d’espèce mais pose un principe d’interprétation général. Elle assure que la protection des oiseaux sauvages ne soit pas compromise par des distinctions taxinomiques trop subtiles et difficiles à mettre en œuvre, privilégiant ainsi la finalité écologique et l’intégrité du droit environnemental de l’Union.