Arrêt de la Cour (troisième chambre) du 9 décembre 1993. – Parlement européen contre Cornelis Volger. – Pourvoi – Fonctionnaire – Procédure de pourvoi aux vacances d’emploi – Egalité de traitement et droits des candidats à être entendus – Absence de motivation de la décision de rejet de la candidature. – Affaire C-115/92 P.

Par un arrêt en date du 1er avril 1993, la Cour de justice des Communautés européennes s’est prononcée sur les garanties procédurales entourant le pourvoi d’un emploi au sein des institutions, en particulier sur l’obligation pour l’administration de respecter les règles qu’elle se fixe et de motiver ses décisions de rejet.

En l’espèce, un fonctionnaire s’était porté candidat à un poste vacant au sein de son institution. Sa candidature fut rejetée par un formulaire type non motivé. Le fonctionnaire avait auparavant eu un entretien en vue d’une éventuelle affectation, mais n’a pas été convié à un nouvel entretien dans le cadre de la procédure formelle de pourvoi du poste, contrairement à d’autres candidats. Il a alors introduit une réclamation administrative, laquelle est demeurée sans réponse dans le délai imparti, valant rejet implicite. Le fonctionnaire a saisi le Tribunal de première instance d’un recours en annulation de la décision de rejet de sa candidature. Postérieurement à l’introduction de ce recours, l’autorité investie du pouvoir de nomination a notifié au requérant une décision motivée rejetant explicitement sa réclamation. Le Tribunal a fait droit à la demande du fonctionnaire et a annulé la décision attaquée, retenant une violation du principe d’égalité de traitement et du droit d’être entendu, ainsi qu’un défaut de motivation. L’institution a alors formé un pourvoi devant la Cour de justice, contestant l’analyse du Tribunal tant sur la procédure d’examen des candidatures que sur l’obligation de motivation.

Il était ainsi demandé à la Cour de justice de déterminer si, d’une part, l’administration qui décide discrétionnairement de tenir des entretiens avec les candidats est tenue d’appliquer cette modalité à l’ensemble d’entre eux et si, d’autre part, l’absence de motivation d’une décision de rejet de réclamation peut être régularisée après l’introduction d’un recours contentieux.

La Cour de justice rejette le pourvoi et confirme l’arrêt du Tribunal. Elle juge d’abord que dès lors que l’autorité investie du pouvoir de nomination a choisi de fonder son examen comparatif sur un entretien avec chaque candidat, le fait de ne pas entendre l’un d’eux vicie la procédure. Elle affirme ensuite que si une décision de promotion ou de mutation n’a pas à être motivée à l’égard des candidats non retenus, la décision rejetant la réclamation d’un tel candidat doit, elle, l’être, et que cette obligation ne peut être satisfaite par une motivation intervenue après l’introduction d’un recours.

La solution retenue par la Cour de justice souligne le formalisme protecteur qui encadre le pouvoir discrétionnaire de l’administration. Elle réaffirme ainsi le principe selon lequel l’administration est liée par les règles de procédure qu’elle s’impose (I), tout en consacrant la fonction essentielle de la motivation en temps utile comme une garantie du droit au recours (II).

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I. Le respect des formes comme garantie d’un examen comparatif effectif

La Cour rappelle que si l’administration dispose d’un pouvoir discrétionnaire dans l’examen des mérites des candidats, elle ne peut s’affranchir des règles qu’elle a elle-même établies. Cette autolimitation (A) conduit logiquement à sanctionner le non-respect de la procédure ainsi fixée (B).

A. L’autolimitation du pouvoir discrétionnaire de l’administration

L’autorité investie du pouvoir de nomination jouit d’une large marge d’appréciation pour évaluer les compétences et mérites des candidats à un emploi. Cette prérogative lui permet de choisir les modalités de l’examen comparatif qu’elle estime les plus pertinentes. Toutefois, ce choix n’est pas sans conséquence juridique. En l’espèce, le Tribunal avait constaté en fait que l’institution avait « entendu fonder son appréciation des mérites respectifs des candidats notamment sur un entretien de chacun d’entre eux ».

En retenant cette modalité, l’administration a, pour cette procédure spécifique, transformé une simple faculté en une obligation procédurale. Elle a ainsi limité son propre pouvoir discrétionnaire. Cette approche est conforme au principe *patere legem quam ipse fecisti*, qui impose à une autorité de respecter les règles qu’elle a elle-même édictées. Le respect de cette procédure devient alors une garantie fondamentale pour les candidats, assurant que leur situation sera examinée de manière équitable et selon des critères uniformes. La Cour, en se fondant sur l’appréciation souveraine des faits par le Tribunal, entérine cette analyse : la décision de tenir des entretiens a créé un cadre procédural contraignant.

B. L’illégalité de la procédure comme vice sanctionné

Dès lors que la procédure d’examen comparatif était fixée, son non-respect à l’égard d’un candidat constitue une irrégularité qui entache la validité de la décision finale. Le fait que le requérant n’ait pas été convié à un entretien, contrairement aux autres postulants, a rompu l’égalité de traitement. La Cour confirme que cette omission a privé l’intéressé « de la garantie d’un examen comparatif effectif de sa candidature ». Le moyen de défense de l’institution, selon lequel un entretien n’aurait rien apporté à l’appréciation de la candidature d’un fonctionnaire déjà bien connu de ses services, est jugé inopérant.

En effet, la régularité de la procédure est une question de principe qui ne saurait dépendre de l’utilité supposée d’une de ses étapes dans un cas particulier. La Cour affirme que « les raisons de l’absence de l’entretien, invoquées par le Parlement, ne pouvant justifier le non-respect d’une procédure que l’aipn s’était elle-même imposée ». Par conséquent, en sanctionnant ce manquement, la Cour ne fait que tirer la conséquence nécessaire de la violation d’une forme substantielle, garantissant ainsi que le pouvoir discrétionnaire de l’administration ne dégénère pas en arbitraire.

II. L’exigence de motivation comme protection du droit au recours

Au-delà de la régularité formelle de l’examen, la Cour se prononce sur l’obligation de motivation, dont elle précise la temporalité (A) et confirme l’impossibilité d’une régularisation tardive, en raison de sa fonction essentielle (B).

A. La temporalité de l’obligation de motiver une décision de rejet

La jurisprudence communautaire a établi une distinction subtile concernant la motivation des décisions en matière de recrutement ou de promotion. L’autorité n’est pas tenue de motiver la décision initiale de non-sélection à l’égard de chaque candidat écarté, afin de ne pas alourdir excessivement le processus. Cependant, cette absence de motivation initiale est compensée par une obligation renforcée au stade suivant. La Cour rappelle fermement qu’elle « est, en revanche, tenue de motiver sa décision portant rejet d’une réclamation déposée en vertu de l’article 90, paragraphe 2, du statut, par un candidat non promu ».

La motivation de la réponse à la réclamation est donc le moment où le fonctionnaire doit recevoir les explications lui permettant de comprendre les raisons de la décision qui lui fait grief. Cette motivation est « censée coïncider avec la motivation de la décision contre laquelle la réclamation était dirigée ». En l’espèce, le silence gardé par l’administration sur la réclamation, suivi d’une décision de rejet explicite mais tardive, a privé le fonctionnaire de cette garantie au moment où elle lui était due, c’est-à-dire avant qu’il n’ait à décider de l’opportunité d’une action en justice.

B. Le refus de la régularisation d’un vice de forme substantiel

L’argument principal de l’institution consistait à soutenir qu’une motivation, même fournie après l’introduction du recours, pouvait régulariser le défaut initial. La Cour rejette catégoriquement cette thèse. Elle consacre le fait que la motivation poursuit une double finalité : elle doit permettre à l’intéressé d’apprécier l’opportunité d’introduire un recours et au juge d’exercer son contrôle de légalité. Or, une motivation tardive ne remplit aucune de ces deux fonctions de manière adéquate.

Comme le souligne la Cour en reprenant le raisonnement du Tribunal, « une réponse motivée intervenant après l’introduction d’un recours ne remplirait sa fonction ni à l’égard de l’intéressé ni à l’égard du juge ». Accepter une telle régularisation porterait atteinte aux droits de la défense et au principe d’égalité des armes entre les parties. La motivation n’est donc pas une simple formalité susceptible d’être couverte a posteriori ; elle constitue une garantie substantielle dont le non-respect en temps utile vicie irrémédiablement la décision et justifie son annulation. La décision attaquée est donc logiquement annulée pour ce second motif.

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