Arrêt de la Cour (troisième chambre) du 9 janvier 1997. – S. Agri SNC et Agricola Veneta Sas contre Regione Veneto. – Demande de décision préjudicielle: Consiglio di Stato – Italie. – Aides à ‘l’extensification’ de la production agricole – Calcul de la réduction de la production – Période de référence. – Affaire C-255/95.

Par un arrêt du 21 mars 1995, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé les conditions d’application du régime d’aides à l’extensification de la production agricole. En l’espèce, deux sociétés agricoles s’étaient vu refuser le bénéfice d’aides destinées à encourager la réduction de leur production bovine. L’administration nationale compétente justifiait ce refus par le fait qu’une part substantielle de la réduction du cheptel était intervenue durant la période comprise entre la fin de la période de référence, servant au calcul de la production normale, et le début de la période d’engagement de cinq ans. De ce fait, la diminution supplémentaire réalisée pendant la première année d’engagement était inférieure au seuil de vingt pour cent de la production de référence, exigé par la réglementation.

Saisies du litige, les juridictions administratives nationales ont d’abord rejeté les recours pour des motifs procéduraux. La juridiction d’appel, estimant que la solution dépendait de l’interprétation du droit communautaire, a saisi la Cour de justice à titre préjudiciel. La question posée visait essentiellement à déterminer si la réglementation communautaire autorisait un État membre à prendre en compte les variations de production intervenues dans la période intermédiaire pour apprécier le respect de l’engagement de réduction. Le gouvernement national et la Commission soutenaient que l’aide constituait la contrepartie d’une réduction effective et volontaire durant la période d’engagement, excluant les baisses de production antérieures. Les sociétés requérantes affirmaient au contraire que le calcul devait se fonder uniquement sur la comparaison entre la production de la période de référence et celle de la période d’engagement.

Le problème de droit soumis à la Cour consistait donc à savoir si le droit communautaire s’oppose à ce qu’un État membre subordonne l’octroi de l’aide à l’extensification à une réduction de la production opérée exclusivement pendant la période d’engagement, en excluant du calcul les baisses déjà survenues avant celle-ci. La Cour de justice répond que les règlements applicables « ne permettent pas à un État membre, en cas de baisse de la production intervenue pendant la période intermédiaire comprise entre la fin de la période de référence et le début de la période d’engagement, de subordonner, en toute hypothèse, l’octroi de l’aide à l’‘extensification’ à la condition que la production réalisée au cours de la période intermédiaire soit réduite, au cours de la période d’engagement, d’un montant correspondant à 20 % au moins de la production de la période de référence ».

La solution retenue par la Cour repose sur une interprétation stricte des textes réglementaires, laquelle est confortée par une analyse de la finalité du dispositif d’aide. Il convient ainsi d’examiner la méthode d’interprétation littérale adoptée par la Cour (I), avant d’analyser la portée de la décision à l’aune des objectifs de la politique agricole commune (II).

***

I. L’affirmation d’une interprétation littérale des conditions de l’aide

La Cour de justice fonde sa décision sur une lecture rigoureuse des textes communautaires, en s’attachant au cadre temporel défini pour le calcul de la réduction de production. Elle consacre ainsi la primauté de la période de référence (A) tout en rejetant l’ajout de conditions non prévues par les règlements (B).

A. La centralité de la période de référence dans le calcul de la réduction

La Cour rappelle que la réglementation communautaire définit précisément les modalités de calcul de la réduction de production. Le règlement n° 797/85, modifié, et le règlement d’application n° 4115/88 établissent que la diminution doit être appréciée par rapport à une production normale, calculée sur la base d’une période de référence déterminée par les États membres. Le juge communautaire en déduit logiquement que « la réduction de la production doit procéder d’une comparaison entre la production réalisée durant la période d’engagement et la production moyenne pendant la période de référence ».

Cette approche s’oppose directement à l’argumentation de l’État membre et de la Commission. Leur thèse revenait en pratique à substituer la production de la période intermédiaire à celle de la période de référence comme base de calcul, vidant cette dernière de sa substance. En effet, en exigeant une nouvelle réduction de 20 % à partir du niveau de production constaté au début de l’engagement, on ne mesurait plus l’effort de l’agriculteur par rapport à sa production « normale » et historique, mais par rapport à une situation conjoncturelle. La Cour refuse cette modification implicite des textes, qui aurait pour effet d’introduire un troisième repère temporel, la « période intermédiaire », alors que les règlements n’en font aucune mention.

B. Le rejet d’une condition de postériorité de l’effort de réduction

La Cour écarte également l’argument selon lequel l’engagement de l’exploitant devrait être la cause directe et unique de la baisse de production. La Commission soutenait que le producteur devait fournir une « véritable contrepartie » en diminuant sa production postérieurement à la souscription de son engagement. Cependant, la Cour constate que les règlements ne prévoient nullement une telle chronologie. Elle relève que les textes semblent au contraire « partir de l’hypothèse selon laquelle la période d’engagement […] suit immédiatement la période de référence », sans envisager l’hypothèse d’un décalage temporel.

De cette absence de précision, la Cour conclut qu’« il ne saurait en être déduit que cette réduction ne peut jamais intervenir, en tout ou partie, auparavant ». Par ce raisonnement, le juge refuse d’ajouter aux textes une condition qu’ils ne contiennent pas. L’engagement de l’agriculteur ne porte pas tant sur l’acte de réduire que sur le maintien d’un niveau de production réduit pendant une durée de cinq ans. Cette interprétation formaliste garantit la sécurité juridique pour les exploitants et prévient les divergences d’application entre les États membres qui pourraient résulter de l’introduction de critères non écrits.

II. La consécration d’une approche finaliste au service des objectifs de la politique agricole

Au-delà de l’analyse textuelle, la Cour de justice justifie sa solution par une appréciation des objectifs poursuivis par le législateur communautaire. Elle estime que le but de la réglementation est atteint même en l’absence de réduction supplémentaire (A) et prend soin de distinguer ce régime d’aide d’autres mécanismes d’indemnisation (B).

A. L’effectivité de l’aide au regard de l’objectif de maîtrise des excédents

Le régime d’aide à l’extensification vise à lutter contre les excédents agricoles en encourageant les producteurs à réduire durablement leur capacité de production. La Cour estime que cet objectif est satisfait dès lors qu’un exploitant s’engage à maintenir un niveau de production inférieur à son niveau normal, peu importe le moment où la réduction initiale a eu lieu. En effet, « l’objectif de cette réglementation est également atteint lorsqu’un éleveur […] s’engage à maintenir son nouveau niveau de production tout au long de la période couverte par son engagement ».

La Cour souligne que, sans l’incitation financière de l’aide, un producteur ayant subi une baisse de production aurait naturellement cherché « à retrouver son niveau normal de production au lieu de maintenir celle-ci en dessous de ses capacités ». L’engagement de ne pas reconstituer son cheptel pendant cinq ans constitue donc bien l’effort justifiant la compensation financière. Cette approche pragmatique garantit l’effet utile de la réglementation, en se concentrant sur le résultat final – une production moindre sur le marché – plutôt que sur la chronologie précise de l’effort de l’agriculteur. L’aide ne rémunère pas un sacrifice ponctuel mais un engagement durable qui contribue à l’équilibre des marchés.

B. La clarification de la portée du régime face à d’autres dispositifs d’aide

La Cour écarte enfin l’argument de la Commission tiré d’un risque de cumul d’aides, notamment avec les indemnités versées suite à des épizooties. Le juge opère une distinction claire entre les finalités des deux mécanismes. Tandis que l’indemnisation pour épizootie vise à « compenser les pertes subies » et permettre à l’éleveur de « reconstituer son troupeau », l’aide à l’extensification a pour but d’« encourager […] les producteurs à réduire la production normale de leur exploitation ».

Cette distinction est fondamentale pour apprécier la valeur de la décision. Un producteur qui reçoit une indemnité pour perte de bétail et qui choisit de ne pas reconstituer entièrement son troupeau, en s’engageant dans le programme d’extensification, se place dans une situation comparable à celui qui vend volontairement une partie de son cheptel. Dans les deux cas, le producteur renonce à un potentiel de revenu en échange d’une aide, servant ainsi l’objectif de réduction des surplus. En clarifiant cette articulation, la Cour prévient une interprétation qui aurait pu pénaliser certains agriculteurs et affaiblir l’efficacité du dispositif d’extensification, démontrant une vision cohérente des instruments de la politique agricole commune.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture