Arrêt de la Cour (troisième chambre) du 9 juillet 1981. – Adriaen Van Zaanen contre Cour des comptes des Communautés européennes. – Fonctionnaires – Durée de l’intérim – Promotion. – Affaire 184/80.

Un recours introduit par un fonctionnaire devant la Cour de justice des Communautés européennes offre à cette dernière l’occasion de préciser les modalités d’application de l’article 7, paragraphe 2, du statut des fonctionnaires relatif à l’occupation d’un emploi par intérim. En l’espèce, un fonctionnaire de grade LA/4, après l’échec d’une première procédure de recrutement, fut chargé d’occuper par intérim le poste de chef du service linguistique, un emploi de grade LA/3. Cet intérim fut exercé durant une année, soit la durée maximale prévue par le statut pour un même agent. À l’expiration de cette période, l’autorité investie du pouvoir de nomination mit fin à ses fonctions et désigna un autre fonctionnaire, de grade LA/5, pour assurer un nouvel intérim sur ce même poste. Le premier fonctionnaire forma alors un recours, estimant que la décision mettant fin à son intérim était insuffisamment motivée, que l’institution ne pouvait nommer un second intérimaire, et qu’elle aurait dû engager sans délai une nouvelle procédure de recrutement. Il soutenait notamment que la durée maximale d’un an s’appliquait à l’occupation du poste vacant lui-même, et non à la seule désignation d’un agent. Le requérant contestait également la légalité de la nomination du second intérimaire en raison de l’écart de deux grades entre son grade d’origine et celui du poste à pourvoir. L’institution défenderesse, une institution nouvellement créée, justifiait quant à elle le recours à un second intérim et le retard dans l’organisation d’un concours par les contraintes liées à la mise en place de ses services.

La question de droit soulevée par cette affaire portait donc sur l’interprétation des limites applicables à l’occupation d’un emploi par intérim, tant sur le plan de sa durée totale que des conditions de grade de l’agent désigné, ainsi que sur l’étendue du contrôle du juge sur la gestion administrative d’une vacance d’emploi. La Cour de justice rejette le recours dans son intégralité. Elle juge que la limite d’un an pour un intérim s’applique à chaque fonctionnaire individuellement et non au poste. Elle valide par ailleurs la nomination d’un agent à un poste dont le grade n’est pas immédiatement supérieur au sien. Enfin, elle considère que le retard pris par l’administration pour lancer une procédure de recrutement était justifié par la nécessité d’organiser ses services.

La décision clarifie ainsi le régime juridique de l’intérim en consacrant une interprétation souple de ses conditions (I), tout en confirmant la marge d’appréciation reconnue à l’administration dans la gestion de ses vacances d’emploi (II).

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I. La clarification du régime juridique de l’occupation d’un emploi par intérim

La Cour apporte deux précisions essentielles sur les conditions d’application de l’article 7, paragraphe 2, du statut. Elle établit d’abord que la durée maximale de l’intérim constitue une limite personnelle à l’agent et non une contrainte fonctionnelle pesant sur le poste (A). Elle confirme ensuite l’absence de restriction quant à l’écart de grade pouvant exister entre l’agent et l’emploi qu’il occupe temporairement (B).

A. La portée de la durée maximale de l’intérim : une limite personnelle et non fonctionnelle

Le requérant soutenait que la durée d’un an prévue par le statut constituait une limite absolue à l’occupation d’un poste par intérim, interdisant la succession de plusieurs agents au-delà de cette période. Une telle interprétation aurait contraint l’administration soit à pourvoir le poste définitivement, soit à le laisser vacant. La Cour écarte cette thèse en se fondant sur une lecture littérale du texte. Elle juge qu’il « ressort du texte de L ‘ article 7 , paragraphe 2 , que la duree maximale de L ‘ interim renvoie a la periode maximale pendant laquelle un fonctionnaire peut occuper temporairement L ‘ emploi en question . Il N ‘ impose pas une limite D ‘ un an a L ‘ occupation ad interim de L ‘ emploi en question ».

La solution est logique et pragmatique. Elle assure un équilibre entre, d’une part, la nécessité de garantir la continuité du service en évitant qu’un poste essentiel reste vacant et, d’autre part, le caractère temporaire et dérogatoire de l’intérim. En limitant la durée pour un seul agent, le statut empêche qu’une situation provisoire ne se pérennise au profit d’une personne qui n’a pas été nommée selon les procédures de droit commun. Cependant, en autorisant la succession d’intérimaires, la Cour reconnaît à l’administration la flexibilité nécessaire pour faire face à des vacances prolongées, notamment lorsque les procédures de recrutement s’avèrent complexes ou infructueuses. Cette interprétation consacre ainsi une limite personnelle, attachée à l’agent, et non une limite fonctionnelle, attachée au poste.

B. L’absence de restriction quant à l’écart de grade pour la désignation d’un intérimaire

Le second apport de la décision concerne l’éligibilité d’un fonctionnaire à un intérim. Le requérant arguait de l’illégalité de la nomination du second intérimaire au motif que cet agent, de grade LA/5, avait été désigné à un poste de grade LA/3, sautant ainsi un grade dans la hiérarchie. La Cour rejette également ce moyen en s’appuyant sur la lettre du statut. Le texte prévoit en effet qu’un fonctionnaire peut être appelé à occuper un emploi « D ‘ une carriere . . . Superieure a la carriere a laquelle il appartient ».

La Cour estime qu’il « ne ressort nullement du texte du premier alinea du paragraphe 2 qu ‘ un fonctionnaire ne peut etre appele a occuper , par interim , qu ‘ un emploi correspondant tout au plus au grade immediatement superieur au sien ». En ne posant aucune condition relative à un écart de grade maximal, la Cour adopte une approche extensive, favorable à la souplesse de gestion des ressources humaines. Cette solution se justifie par la nature même de l’intérim, qui vise à répondre à un besoin ponctuel du service en faisant appel à des compétences disponibles en interne, sans que les contraintes de carrière ne constituent un obstacle dirimant. Le choix de l’agent relève de l’appréciation de l’administration, qui doit sélectionner le profil le plus apte à exercer les fonctions temporairement, indépendamment d’une progression de grade à grade.

II. L’appréciation de la gestion administrative de la vacance d’emploi

Au-delà de l’interprétation du régime de l’intérim, l’arrêt se prononce sur le comportement de l’administration face à une vacance d’emploi. La Cour admet que des circonstances particulières puissent justifier un retard dans l’organisation d’une procédure de recrutement (A), opérant ainsi une conciliation entre les nécessités du service et les droits des fonctionnaires (B).

A. La justification du retard dans l’organisation de la procédure de recrutement

Le grief principal du requérant portait sur l’omission de l’administration d’engager rapidement une nouvelle procédure de recrutement après l’échec de la première. Il estimait que ce retard était contraire à l’intérêt du service. L’institution défenderesse, pour sa part, invoquait les difficultés organisationnelles liées à sa récente création, qui l’obligeaient à gérer simultanément un très grand nombre de concours. La Cour se montre sensible à cet argument contextuel et admet les explications fournies.

Elle considère que l’administration « N ‘ a pas agi contrairement aux interets du service en retardant , par necessite , la mise en oeuvre des procedures prevues a L ‘ article 29 ». En reconnaissant l’état de « nécessité » comme une cause justificative, la Cour fait preuve de réalisme et accorde une marge d’appréciation importante à l’administration dans la planification de ses procédures. Elle admet que l’intérêt du service ne commande pas toujours l’ouverture immédiate d’un concours, mais peut aussi consister à gérer les priorités administratives dans un contexte de surcharge ou d’organisation naissante. Le contrôle du juge sur l’opportunité des choix de gestion administrative reste ainsi limité, dès lors que ces choix reposent sur des justifications objectives et proportionnées.

B. La conciliation entre la nécessité du service et les droits des fonctionnaires

Cette décision illustre la recherche d’un équilibre délicat entre deux impératifs. D’un côté, le droit des fonctionnaires de voir les postes vacants pourvus selon les procédures statutaires de promotion ou de concours, qui garantissent l’égalité des chances et la transparence. De l’autre, les besoins fonctionnels de l’institution, qui doit pouvoir assurer la continuité de ses missions, quitte à recourir à des solutions temporaires. En l’espèce, la Cour fait prévaloir les nécessités du service sur les attentes individuelles du requérant, qui espérait bénéficier plus rapidement d’une nouvelle chance de postuler.

La portée de cette solution réside dans la confirmation que la gestion d’une vacance d’emploi relève avant tout de la prérogative de l’administration. Le recours à un ou plusieurs intérims successifs, de même que le calendrier de l’organisation d’un concours, sont des instruments de gestion sur lesquels le juge n’exerce qu’un contrôle restreint à l’erreur manifeste d’appréciation ou au détournement de pouvoir. En validant la démarche de l’institution, la Cour légitime une gestion administrative pragmatique face à des contraintes opérationnelles exceptionnelles, tout en rappelant implicitement que ces solutions dérogatoires doivent rester justifiées et ne sauraient se substituer indéfiniment à l’application des procédures de droit commun.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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