Arrêt de la Cour (troisième chambre) du 9 novembre 2000. – Commission des Communautés européennes contre Hitesys SpA. – Clause compromissoire – Inexécution d’un contrat – Recouvrement de sommes avancées – Procédure par défaut. – Affaire C-356/99.

Un arrêt rendu par la Cour de justice des Communautés européennes dans l’affaire C-356/99 illustre la rigueur avec laquelle les obligations contractuelles sont appréciées dans le cadre des financements communautaires pour la recherche. En l’espèce, une entité communautaire avait accordé un soutien financier à un consortium de trois entités, dont un coordinateur, pour la réalisation d’un projet de recherche et développement. Suite à des difficultés financières, la société coordinatrice initiale fut restructurée et remplacée par une nouvelle société qui reprit l’intégralité de ses obligations. Cependant, cette dernière manqua à son devoir de soumettre les rapports techniques et financiers périodiques requis par le contrat, malgré les rappels de l’entité bailleresse de fonds.

Face à cette défaillance persistante, l’entité communautaire a d’abord mis le cocontractant en demeure, puis a considéré le contrat comme arrivé à échéance avant de le résilier formellement pour inexécution. Elle a alors réclamé le remboursement de la part de l’avance que le coordinateur avait conservée pour ses propres activités. La société défenderesse a tenté de justifier ses manquements par des difficultés économiques et a transmis tardivement certains documents, bien après la date de fin du projet et même après la notification de résiliation. L’entité communautaire ayant maintenu sa position, elle a saisi la Cour de justice en vertu d’une clause compromissoire stipulée au contrat. La société défenderesse n’ayant pas présenté de mémoire en défense, la Cour a statué par défaut.

Il revenait ainsi à la Cour de déterminer si l’inexécution prolongée des obligations de communication d’informations par un cocontractant justifiait la résiliation du contrat à ses torts et entraînait l’obligation de restituer intégralement les avances perçues, nonobstant les justifications économiques avancées et les soumissions documentaires tardives.

La Cour a jugé le recours fondé, condamnant la société défaillante au remboursement de l’intégralité de l’avance perçue, majorée des intérêts de retard calculés à compter de la date de réception des fonds. Cette décision souligne la sévérité de l’appréciation de l’inexécution dans les contrats publics de recherche (I) et la rigueur des conséquences financières qui en découlent (II).

***

I. La sanction d’une défaillance contractuelle caractérisée

La Cour valide la décision de résiliation du contrat en se fondant sur une appréciation stricte des obligations du cocontractant. Elle constate d’abord une inexécution fautive des obligations contractuelles (A), avant de rejeter les justifications avancées par la partie défaillante (B).

A. La constatation d’une inexécution fautive des obligations contractuelles

Le contrat, loi des parties, imposait la remise périodique de rapports techniques et financiers destinés à permettre le suivi de l’avancement des travaux et la correcte utilisation des fonds publics. La Cour relève que ces obligations, loin d’être accessoires, sont au cœur du mécanisme de contrôle et de confiance entre le bailleur de fonds et les bénéficiaires. Or, en l’espèce, le manquement est flagrant et prolongé. La Cour souligne que la société défenderesse « a envoyé le premier rapport technique semestriel avec six mois de retard et que, à la date du 27 juillet 1995, c’est-à-dire après expiration du délai final d’exécution du projet de recherche, elle n’avait encore transmis ni les rapports techniques pour la période de juin à décembre 1994, ni le rapport technique définitif, ni les rapports financiers relatifs à la période du 1er janvier 1994 au 30 juin 1995 ».

Cette accumulation de retards et d’omissions constitue une violation substantielle du contrat. En ne fournissant pas les informations requises dans les délais impartis, le coordinateur a placé l’entité communautaire dans l’impossibilité d’exercer son droit de regard sur la bonne marche du projet. La décision de résilier le contrat, après une mise en demeure restée infructueuse, apparaît donc comme la conséquence logique et justifiée de cette attitude, conformément à l’article 8, paragraphe 2, sous d), des conditions générales du contrat. La Cour confirme ainsi que le respect des obligations de reporting est une condition essentielle au maintien de la relation contractuelle dans ce type de financement.

B. Le rejet des justifications avancées par le cocontractant défaillant

Face à ses manquements, la société défenderesse a invoqué la crise économique du groupe auquel elle appartenait. La Cour écarte cet argument de manière péremptoire, en se fondant sur la lettre même du contrat. Celui-ci prévoyait que l’inexécution pouvait être justifiée par des « motifs techniques ou économiques raisonnables ». Cependant, la Cour interprète cette clause de façon restrictive et objective. Elle juge qu’« une raison de cette nature ne saurait être invoquée, car elle se rapporte à une situation propre à la société concernée et non à des problèmes techniques ou économiques en rapport avec l’exécution du projet de recherche ».

Cette distinction est fondamentale et protectrice des deniers publics. Elle signifie que le risque d’entreprise, incluant les difficultés financières internes, pèse entièrement sur le cocontractant. Seules des difficultés objectives, directement liées à la réalisation du projet de recherche lui-même, auraient pu constituer une excuse valable. En refusant de prendre en compte la situation financière propre à la société, la Cour établit une jurisprudence claire : les entités qui s’engagent dans des projets financés par des fonds publics doivent garantir leur propre stabilité et ne peuvent se prévaloir de leurs propres turpitudes pour échapper à leurs obligations. La tentative de régularisation tardive, par l’envoi d’un rapport final plus de deux ans après la fin du contrat, est logiquement jugée inopérante.

II. La rigueur des conséquences financières de la résiliation

La qualification d’inexécution fautive emporte des conséquences financières sévères pour la société défaillante. La Cour admet non seulement la légitimité du remboursement intégral de l’avance perçue (A), mais également l’application de pénalités de retard particulièrement étendues (B).

A. La légitimité du remboursement intégral de l’avance perçue

Le contrat prévoyait qu’en cas de résiliation, l’entité communautaire pouvait exiger le remboursement des sommes versées « dans la mesure où elle le juge équitable et raisonnable au regard de la nature et de l’importance des travaux effectués et de leur utilité ». La société défenderesse ayant conservé 132 500 euros de l’avance, la question se posait de savoir si un remboursement total était « équitable et raisonnable ». La Cour répond par l’affirmative, considérant que, « vu les défaillances constatées au point 20 du présent arrêt, l’exigence d’un remboursement de toute la somme de 132 500 écus apparaît raisonnable ».

Ce raisonnement repose sur une inversion implicite de la charge de la preuve. En l’absence totale de rapports fiables et soumis en temps utile, il était impossible pour l’entité communautaire d’évaluer la réalité, la qualité ou l’utilité des travaux qui auraient été menés. Par sa propre faute, la société coordinatrice s’est privée de la possibilité de démontrer qu’elle avait droit à conserver une partie de l’avance au titre de travaux réellement effectués. Le remboursement intégral n’est donc pas une sanction disproportionnée, mais la simple conséquence de l’absence de justification de l’emploi des fonds. L’avance étant conditionnée à la bonne exécution du projet, l’incapacité à prouver cette exécution rend la détention des fonds sans cause.

B. L’application extensive des pénalités de retard

Au-delà du principal, la Cour condamne la société défenderesse au paiement d’intérêts de retard. La particularité de la décision réside dans le point de départ retenu pour le calcul de ces intérêts. Conformément à l’article 8, paragraphe 4, des conditions générales, les intérêts sont calculés « à partir de la date de réception du paiement par le contractant ». La Cour fait une application littérale de cette clause et fixe le point de départ des intérêts au 8 janvier 1994, soit la date présumée de l’encaissement de l’avance par le coordinateur initial.

Cette solution est d’une grande sévérité. Elle signifie que les intérêts ne courent pas à compter de la mise en demeure ou de la demande de remboursement, mais bien rétroactivement depuis le versement initial. D’un point de vue juridique, cela revient à considérer que, du fait de l’inexécution ultérieure, la détention des fonds était illégitime *ab initio*. Cette mesure a une portée dissuasive considérable. Elle prive le cocontractant défaillant de tout bénéfice qu’il aurait pu tirer de la trésorerie procurée par l’avance, et pénalise lourdement l’immobilisation de fonds publics qui n’ont pas été employés conformément à leur objet. La décision réaffirme avec force le principe selon lequel les financements communautaires ne sont pas des subventions acquises, mais des avances conditionnelles dont la conservation est subordonnée au respect scrupuleux de l’ensemble des obligations contractuelles.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture