BIC – Provisions – Conditions de constitution – Conditions de fond – Origine de la perte ou de la charge

I. Origine de la perte ou de la charge

1

D’une manière générale, les pertes et charges qui affectent la détermination du
résultat fiscal des entreprises sont susceptibles d’être déduites sous forme de
provisions, lorsqu’elles sont rendues probables par un événement survenu pendant
l’exercice et toujours en cours à sa clôture.

La doctrine et la jurisprudence administratives (cf. ci-après,
n°s 70 et suiv.) avaient déduit de ce principe que les
entreprises ne sont pas autorisées à constituer des provisions à raison de leurs
« charges annuelles et normales » incombant aux exercices suivants.

Après l’exposé du principe, sera évoquée la notion de « charge annuelle et
normale » de l’entreprise à la lumière de la jurisprudence du Conseil d’État.

A. La perte ou la charge doit trouver son origine dans l’exercice à la clôture
duquel la provision est constituée

10

Ce principe a été confirmé par la jurisprudence du Conseil d’État et emporte des
conséquences lorsque les provisions sont afférentes à des risques survenu ou
disparaissant après la clôture de l’exercice.

1. Principes

20

Les dispositions de l’article
39-1

du CGI
n’ont pas pour effet d’autoriser les entreprises à anticiper la
déduction de leurs charges ; elles leur permettent seulement de déduire des
résultats d’un exercice une perte, une dépréciation ou une charge qui,
apparaissant probable à la clôture de cet exercice, peut lui être rattachée sous
forme de provision dès lors qu’elle trouve son origine dans des opérations
réalisées ou des faits survenus au cours dudit exercice.

Ainsi, des dépenses importantes d’entretien décennal d’une chaufferie ne peuvent
être déduites a priori sous forme de provision, sur la durée de la garantie de
la précédente dépense, en l’absence d’événement en cours à la clôture de
l’exercice rendant probable le charge considérée (RM Lorenzini, JO déb. AN du 9
février 1987 n° 12 049).

30

Il a été jugé qu’une société qui a concédé la licence d’exploitation d’un
procédé industriel moyennant un prix payable en plusieurs annuités et révisable
dans l’hypothèse où d’autres concessions viendraient à être ultérieurement
consenties à des tiers à des conditions plus favorables, ne peut déduire de ses
bénéfices d’un exercice déterminé une provision destinée à faire face au risque
d’irrécouvrabilité ou de réduction du prix de la concession si, à la clôture de
l’exercice considéré, aucun événement en cours ne permet d’envisager
l’irrécouvrabilité du reliquat de sa créance ou une réduction du prix de la
concession (CE, arrêt du 12 janvier 1951, n° 81124, RO, p. 138).

Il a été également jugé qu’une entreprise n’était pas en droit de constituer, en
franchise d’impôt, à la clôture d’un exercice, une provision destinée à faire
face au versement de l’indemnité de licenciement à laquelle pouvait prétendre
une employée évincée et de divers dommages-intérêts réclamés par des
concurrents, dès lors que cette entreprise n’établissait pas avoir été saisie,
sous quelque forme que ce soit, au cours de cet exercice, de réclamations
tendant à obtenir le versement d’indemnités ou de dommages-intérêts. Elle ne
pouvait, en conséquence, être regardée, à la clôture dudit exercice, comme la
débitrice d’indemnités suffisamment déterminées dans leur principe et leur
montant pour justifier la constitution de provisions (CE, arrêt du 20 février
1974, n°
83452,
7e, 8e et 9e s.-s. réunies, RJ II, p. 41).

Dans le même sens : arrêt du Conseil d’État du 30 mai 1949, n° 97035, 8e s.-s.,
RO, p. 182 (cf. ci-après,
BOI-BIC-PROV-30-20-10-20
n° 100
).

L’origine de la perte ou de la charge envisagée doit donc pouvoir être trouvée
dans l’exercice de constitution de la provision.

Ce principe a encore été confirmé dans les arrêts reproduits ci-après.

– Après avoir rappelé qu’une provision destinée à faire face au non-recouvrement
d’une créance n’est susceptible d’être admise en déduction que si cette créance
est valablement inscrite à l’actif du bilan de l’entreprise, la Haute Assemblée
a jugé que pour remplir cette condition, la créance qu’un exploitant individuel
a rachetée pour sa valeur d’origine aux créanciers d’une société en liquidation
dont il était le principal associé et qu’il a apportée à son entreprise
personnelle, doit être prise en compte dans les écritures de cette dernière pour
sa valeur réelle à la date de l’apport.

S’agissant d’une créance dont le recouvrement était peu probable par suite de
l’insolvabilité du débiteur, sa valeur réelle à la date de l’apport était minime
et l’exploitant n’était en droit de l’inscrire à l’actif du bilan de son
entreprise que pour cette valeur réduite et non pour sa valeur de rachat.

Par suite, en l’absence d’événement survenu postérieurement à l’apport et ayant
entraîné une nouvelle dépréciation de la créance avant la fin de l’exercice, le
contribuable ne pouvait constituer à la clôture de son bilan une provision pour
tenir compte du non-recouvrement probable de ladite créance (CE, arrêt du 17
mars 1976, n°
91621,
RJ II, p. 33).

– Une société avait consentie à ses filiales des avances en n’exigeant pas le
règlement total des factures concernant les ventes de produits qu’elle leur
avait cédés. Elle avait constitué des provisions d’un montant égal aux dites
avances. Le Conseil d’État a jugé qu’aucun événement précis survenu au cours des
exercices de constitution des provisions ne permettait de considérer comme
irrécouvrables les créances qu’elle détenait sur ses filiales (CE, arrêt du 29
juin 1981, n°s 15950 à 15953, 8e et 9e s.-s.).

40

Toutefois, dans un arrêt du 9 juillet 1982 (n°
33033)
la Haute Assemblée a accepté la constitution d’une provision pour supplément de
prix dans le cas d’une société qui, achetant pour les besoins de son
exploitation du lait au cours d’une campagne chevauchant deux exercices,
acquitte, compte tenu des pratiques commerciales en vigueur, au titre du premier
exercice, un prix d’été au litre inférieur à celui qu’elle devra payer en fin de
campagne et verse aux producteurs au cours de l’exercice suivant un complément
de prix aboutissant au prix final moyen garanti pour l’ensemble de la campagne.

2. Provisions afférentes à des risques survenus après la clôture de l’exercice

50

Si elle trouve son origine dans un événement ayant pris naissance après la
clôture de l’exercice, une provision n’est pas déductible des résultats de cet
exercice et la charge doit être normalement supportée par un exercice ultérieur.

C’est ainsi qu’une entreprise ne saurait se prévaloir, pour justifier une
provision pour créance douteuse, de la circonstance qu’une créance est devenue
irrécouvrable avant la date prévue pour le dépôt de la déclaration des résultats
d’un exercice donné, dès lors que ladite créance, bien que devenue irrécouvrable
au cours de l’exercice suivant, n’était pas considérée comme douteuse à la
clôture de l’exercice litigieux (CE, arrêt du 28 juin 1963, n° 56569, RO, p.
375).

3. Provisions afférentes à des risques disparaissant après la clôture de
l’exercice

60

Dans la mesure où la perte ou la charge est apparue comme probable à la clôture
d’un exercice donné, une provision valablement constituée ne doit pas être
rapportée par le service au résultat fiscal de cet exercice dans l’hypothèse où
le risque en vue duquel elle a été constituée viendrait à disparaître
ultérieurement par suite de circonstances nouvelles. Dans cette situation la
provision serait normalement rapportée au résultat de l’exercice au cours duquel
elle est devenue sans objet (cf. ci-après, BOI-BIC-PROV-50 n° 90 et suiv.).

B. Provisions et charge annuelles et normales de l’entreprise

1. Évolution de la jurisprudence

70

Le Conseil d’État ne fait plus aux entreprises une interdiction de principe de
couvrir leurs charges normales et annuelles par des provisions.

80

Le Conseil d’État avait déjà abandonné la théorie des charges annuelles et
normales pour reconnaître la validité des provisions pour congés payés (CE,
arrêt du 29 mai 1970 n°
74232).

Remarque : Cette jurisprudence avait été rendue sans effet en
matière de congés payés par l’article 25 de la loi du 9 juillet 1970, codifié au
3e alinéa de l’article
39-1-1°
du CGI
(cf. BOI-BIC-PROV-30-20-10-10 ) avant
l’intervention de la loi du 30 décembre 1986 (cf.
BOI-BIC-PROV-30-20-10-10).

Il avait par ailleurs rendu les arrêts suivants :

a. Décisions concernant les charges afférentes à des prestations restant à
fournir

90

– lorsqu’un contribuable a, au cours d’un exercice donné, perçu une recette ou
acquis une créance en contrepartie de l’engagement de céder des biens ou de
fournir des services au cours d’exercices ultérieurs, l’intéressé a la faculté,
pour tenir compte de la fraction de ses engagements restant à exécuter à la
clôture de l’exercice en cause, de constituer une provision correspondant au
montant probable des frais et charges de toute nature qu’il devra supporter au
cours des exercices à venir pour respecter ses engagements. Ainsi, un
établissement d’enseignement par correspondance qui a compris dans les recettes
de l’exercice au cours duquel il les a perçus, les frais de scolarité qu’une
partie de ses élèves lui a payés d’avance peut, en contrepartie, constituer une
provision destinée à couvrir les frais de correction de devoirs et le coût du
matériel d’enseignement à remettre auxdits élèves dont il aura à assurer la
charge pendant l’exercice suivant (CE, arrêt du 18 juin 1971, n°
77988,
7e, 8e et 9e s.-s., RJ II, p. 110).

Remarque : L’expression “ céder des biens ” utilisée par le
Conseil d’État doit être interprétée comme visant la cession de marchandises ;

– un contribuable qui, par contrat, a consenti pour une durée de six ans la
location d’un fonds de commerce lui appartenant, moyennant une redevance
annuelle de 100 000 F payable d’avance et globalement pour toute la période
couverte par le contrat et qui, par suite, doit comprendre dans les résultats de
l’exercice au cours duquel elle lui est acquise la somme de 600 000 F
correspondant aux six annuités de 100 000 F, peut corrélativement, pour tenir
compte des charges qu’il sera nécessairement appelé à supporter au cours des
exercices ultérieurs pour respecter ses engagements, constituer une provision
correspondant au montant probable desdites charges (CE, arrêt du 18 juin 1971,

76927,
7e, 8e et 9e s.-s., RJ II, p. 106) ;

– une société qui, en vertu des contrats passés avec ses clients, assure, outre
le fonctionnement et l’entretien de matériels de chauffage, le renouvellement de
ces matériels, est en droit de constituer une provision destinée à faire face
aux charges probables devant résulter des engagements pris (CE, arrêt du 4
juillet 1973, n° 77694, RJ II, p. 76). Dans le même sens : arrêt du Conseil
d’État du 5 mars 1975, n°
89781,
RJ II, p. 35 ;

– une entreprise d’enseignement par correspondance s’engageait, dans les
contrats souscrits par ses clients, à fournir diverses prestations, durant une
période de douze mois, moyennant un prix qui pouvait être payé, notamment, par
mensualités. Une clause du contrat précisait que, à défaut de paiement d’une
mensualité à son échéance, la totalité des sommes dues en vertu du contrat
devait être acquittée immédiatement.

La Haute Assemblée a décidé que les recettes de l’exercice devaient comprendre,
en tant que créances acquises, les mensualités qui n’étaient pas encore
encaissées à la clôture dudit exercice.

Mais elle a décidé également que, en contrepartie, l’entreprise pouvait
constituer des provisions destinées à faire face :

– aux créances douteuses résultant de ce qu’il suffisait aux clients, pour se
soustraire à ce paiement, d’invoquer un empêchement quelconque et qu’il n’était
pas en fait de l’intérêt de l’entreprise d’en poursuivre le recouvrement ;

– aux frais et charges de toute nature qu’elle serait appelée à supporter après
la clôture de l’exercice pour achever l’exécution des contrats en cours (CE,
arrêt du 24 mars 1976, n°
97611,
RJ II, p. 40).

Remarque  : Les arrêts susvisés ont été rendus sous le régime
des anciennes règles de rattachement des créances et des dettes. Or, le principe
fondamental dit « des créances acquises et des dettes certaines »
(CGI,
art. 38-2
) a été modifié par l’article 84 de la loi n° 78-1239 du 29
décembre 1978 en ce qui concerne les créances sur clients. Ainsi, pour la
détermination des résultats imposables des exercices clos à compter du 31
décembre 1978, l’article
38-2
bis du CGI
prévoit que les produits sont rattachés à l’exercice au cours
duquel intervient la livraison des biens pour les ventes et l’achèvement des
prestations pour les fournitures de services. Les règles de rattachement des
créances actuellement en vigueur ont donc rendu pratiquement caduque la
jurisprudence concernée.

b. Décisions concernant des charges fiscales dont l’exigibilité ou la mise en
recouvrement interviendra ultérieurement

100

Suivant la même évolution, le Conseil d’État a, par ailleurs, précisé que si
l’article
39-1

du CGI
ne permet la déduction que des seuls impôts mis en recouvrement ou
devenus exigibles au cours de l’exercice, ce texte ne fait pas obstacle à la
constitution, dans les conditions prévues au 5° de ce même article, de
provisions destinées à tenir compte des charges fiscales que l’entreprise devra
acquitter ultérieurement sur la base de la législation en vigueur à la clôture
de l’exercice.

Ces principes ont été appliqués dans les cas suivants :

– une entreprise qui, à la fin d’un exercice, a pris l’engagement ferme de
verser à ses salariés une
« prime de bilan » en rémunération du travail accompli par eux pendant cette
même période est fondée à constituer une provision en vue de faire face au
paiement ultérieur du versement forfaitaire (actuellement taxe sur les salaires)
et de la taxe d’apprentissage afférents à ces compléments de rémunération, dès
lors que ce paiement apparaît probable compte tenu de la législation en vigueur
à la clôture de l’exercice (CE, arrêt du 25 octobre 1972, n°
80122,
7e, 8e et 9e s.-s., RJ II, p. 122) ;

– une société qui a émis le 1er juin 1962 des bons de caisse anonymes et s’est
engagée envers les souscripteurs à supporter la retenue à la source afférente
aux intérêts de ces bons a pu valablement provisionner à la clôture de
l’exercice arrêté le 31 décembre 1962, à la fois les intérêts courus jusqu’à
cette date et la retenue à la source correspondante (CE, arrêt du 13 décembre
1972, n°s
81107
et 81108, RJ II, p. 162).

Remarque : Aucune interdiction de prendre en charge la retenue
à la source n’était édictée à l’époque à l’encontre des sociétés en ce qui
concerne les bons de caisse. Actuellement, voir article
1672
bis du CGI
.

2. Domaine et portée de la jurisprudence

110

Cette jurisprudence concerne :

– les impôts dont la mise en recouvrement ou l’exigibilité, au
cours d’un exercice ultérieur, découle d’opérations effectuées par l’entreprise
pendant l’exercice considéré. Les décisions des 25 octobre 1972 et 13 décembre
1972 (cf. n° 100 ci-dessus) sont conformes, pour l’essentiel, à la doctrine
administrative en matière de provisions pour impôts (cf.
BOI-BIC-PROV-30-20-20) ;

– les frais et charges devant résulter d’un contrat qui confère
à l’entreprise des sommes ou avantages immédiatement et globalement imposables
et mettant à sa charge, en contrepartie, une obligation de faire, certaine dans
son principe, mais dont l’exécution est nécessairement échelonnée sur plusieurs
exercices.

120

Le Conseil d’État a énoncé, dans les considérants de ses arrêts, un principe
très large suivant lequel les entreprises peuvent déduire de leur résultat
fiscal, par voie de provisions, les sommes destinées à faire face au paiement
d’une quelconque des charges énumérées notamment aux 1° et 4° de l’article
39-1
du CGI
qu’elles n’auront à supporter qu’ultérieurement, sous réserve que ces
charges puissent être regardées comme nettement précisées, évaluées avec une
approximation suffisante, probables et se rattachant aux opérations déjà
effectuées.

Toutefois, l’application de ce principe se trouve exclue le plus souvent en
matière de charges
« normales et annuelles », du fait que l’appréciation de ces charges est rendue
difficile en raison de leur nature propre. Tel est le cas, en règle générale,
des dépenses courantes exposées à l’occasion de travaux de réparations et
d’entretien (cf. BOI-BIC-PROV-30-20-40) qui, le
plus souvent, ne se rattachent pas à un événement précis survenu au cours de
l’exercice mais à la dégradation lente et progressive de certaines
immobilisations ou matériels (CE, arrêts du 30 janvier 1939, n° 61712, RO, p. 48
et 28 juin 1961, n° 33758, RO, p. 393).

130

De telles dépenses ne peuvent donc, normalement, être imputées que sur les
résultats de l’exercice au cours duquel elles sont exposées, remarque étant
faite qu’il n’est dérogé à cette règle que dans deux situations particulières :

– lorsque les circonstances ont fait obstacle de manière insurmontable à
l’exécution des travaux (cf.
BOI-BIC-PROV-30-20-40 n°s 50 et suiv.) ;

– ou, s’il s’agit de travaux de gros entretien qui ne se répètent pas
annuellement et dont le montant revêt un caractère exceptionnel (cf.
BOI-BIC-PROV-30-20-40 n° 70 et suiv.).

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Hassan KOHEN
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