CESUR c. TÜRKİYE

Par une décision en date du 12 décembre 2023, la Cour européenne des droits de l’homme a statué sur la recevabilité d’une requête introduite par un ressortissant turc. La haute juridiction a ainsi été amenée à se prononcer sur les conséquences procédurales d’une violation de la confidentialité inhérente à la procédure de règlement amiable.

En l’espèce, un individu incarcéré s’était vu refuser la remise d’un livre à caractère religieux par l’administration pénitentiaire. Après avoir épuisé sans succès un premier recours devant le juge d’exécution de Kayseri, il obtint gain de cause devant la cour d’assises de Kayseri, laquelle annula les décisions défavorables. Toutefois, cette décision de justice demeura inexécutée pendant une période d’au moins cent vingt jours. Face à cette inertie, l’intéressé forma un recours individuel devant la Cour constitutionnelle, qui le déclara irrecevable par une décision sommaire du 4 septembre 2020. Il saisit alors la Cour européenne des droits de l’homme en invoquant une violation de l’article 9 de la Convention. Après avoir communiqué l’affaire au gouvernement défendeur, la Cour a engagé une procédure de règlement amiable. C’est dans ce contexte que les termes de la proposition de règlement ont été divulgués dans un quotidien national, l’article de presse précisant que le requérant était la source de cette information. Le gouvernement a alors soulevé une exception d’irrecevabilité pour abus du droit de recours, et le conseil du requérant, bien qu’invité à présenter ses observations, n’a pas donné suite.

Il était ainsi demandé à la Cour si la divulgation délibérée par un requérant des conditions d’un règlement amiable confidentiel constituait un abus du droit de recours individuel de nature à entraîner l’irrecevabilité de sa requête.

La Cour européenne des droits de l’homme répond par l’affirmative et déclare la requête irrecevable en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention. Elle juge que le comportement de l’intéressé « constitue une violation de la règle de confidentialité qui doit également être considéré comme un abus du droit de recours ». La Cour fonde sa décision sur la caractérisation d’une faute procédurale (I), réaffirmant par là même l’importance fondamentale de la confidentialité dans le mécanisme de règlement des litiges (II).

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I. La sanction procédurale de la violation de la confidentialité des négociations

La décision d’irrecevabilité repose sur la constatation d’un manquement factuel du requérant à ses obligations (A), manquement que la Cour qualifie juridiquement d’abus du droit de recours (B).

A. La divulgation avérée des termes confidentiels du règlement amiable

La Cour fonde sa décision sur un élément factuel non contesté. Le gouvernement défendeur a produit un article de presse dont le contenu démontrait sans équivoque la publicisation des pourparlers confidentiels. L’article lui-même attribuait explicitement la fuite au requérant. La juridiction européenne souligne que le conseil de ce dernier, bien qu’ayant eu connaissance des allégations du gouvernement, a gardé le silence. Cette absence de contestation a permis à la Cour de tenir pour acquis le manquement à la confidentialité.

Elle relève en effet qu’« il n’est pas contesté par les parties que les termes de la déclaration de règlement amiable ont paru dans les médias nationaux et que le requérant a divulgué ceux-ci ». La charge de la preuve, initialement supportée par le gouvernement qui soulevait l’exception, se trouve ainsi satisfaite. Le silence du requérant face à une allégation précise et documentée a été interprété par la Cour comme une reconnaissance implicite des faits. Cette approche pragmatique permet à la juridiction de ne pas s’attarder sur l’établissement des faits pour se concentrer sur leur qualification juridique et les conséquences qui en découlent.

B. La qualification d’abus du droit de recours individuel

À partir de ce fait établi, la Cour procède à une qualification juridique rigoureuse. Elle rappelle que la confidentialité des négociations en vue d’un règlement amiable est une règle fondamentale, explicitement prévue par l’article 39 § 2 de la Convention et l’article 62 § 2 de son règlement. La violation de cette obligation n’est pas un simple manquement formel ; elle constitue un acte de nature à vicier la procédure.

La Cour réitère sa jurisprudence constante selon laquelle « une violation intentionnelle par un requérant de l’obligation de confidentialité imposée aux parties par ces dispositions peut être qualifiée d’abus du droit de recours ». En l’espèce, la divulgation des termes de la négociation à un journal est considérée comme une manœuvre visant à exercer une pression extérieure sur le processus, ce qui est l’antithèse de l’esprit du règlement amiable. Par conséquent, l’acte du requérant sort du cadre de l’exercice légitime de son droit de saisine pour entrer dans le champ de l’abus, justifiant l’application de l’article 35 § 3 a) de la Convention qui prévoit le rejet de toute requête considérée comme abusive. Cette sanction, bien que sévère, s’explique par la fonction essentielle que remplit la confidentialité dans le système conventionnel.

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II. La portée de la règle de confidentialité au sein du système conventionnel

La décision commentée réaffirme le rôle cardinal de la confidentialité pour garantir l’intégrité du processus de règlement amiable (A), tout en servant de rappel des devoirs qui incombent aux justiciables européens (B).

A. La protection de l’intégrité du processus de règlement amiable

La confidentialité n’est pas une simple règle de procédure, mais une condition essentielle de l’efficacité et de l’équité des règlements amiables. La Cour souligne que cette règle « vise à préserver les parties et la Cour elle-même de toute tentative de pression politique ou de quelque autre ordre que ce soit ». En garantissant que les négociations se déroulent à l’abri des regards extérieurs, la Convention cherche à créer un espace de confiance où les parties peuvent discuter librement, sans craindre que leurs propositions ou concessions soient utilisées contre elles publiquement ou politiquement.

Cette protection est cruciale pour le gouvernement, qui pourrait hésiter à reconnaître une éventuelle violation et à proposer une réparation s’il craignait une instrumentalisation politique. Elle l’est également pour le requérant, dont la situation personnelle ne doit pas devenir un enjeu public. En sanctionnant fermement sa violation, la Cour protège un outil indispensable à la bonne administration de la justice et à la gestion de son propre contentieux, le règlement amiable permettant de clore de nombreuses affaires sans examen au fond.

B. Le rappel des obligations procédurales incombant au requérant

Cette décision illustre que le droit de recours individuel, bien que fondamental, n’est pas dépourvu de contreparties. Les requérants ne sont pas de simples bénéficiaires de droits, mais aussi des acteurs de la procédure judiciaire qui doivent en respecter les règles. La Cour rappelle que les règles de procédure, qu’elles soient internes ou propres au système de la Convention, « visent à assurer la bonne administration de la justice et le respect du principe de sécurité juridique ».

En déclarant la requête irrecevable, la juridiction européenne envoie un message clair : le respect de la loyauté procédurale est une condition sine qua non de l’examen d’une requête. Le comportement du requérant a été perçu comme une tentative de contourner le cadre judiciaire pour déplacer le débat sur la scène médiatique. Un tel acte est considéré comme une remise en cause de l’autorité et de la fonction même de la Cour. La sanction de l’abus du droit de recours agit ainsi comme un mécanisme de régulation, assurant que le dialogue entre le justiciable et la justice européenne se maintienne dans un cadre de confiance et de respect mutuel des règles établies.

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