Chambre commerciale financière et économique de la Cour de cassation, le 25 juin 2025, n°24-12.074

La reconduction tacite des contrats de téléphonie demeure une source de contentieux nourri, particulièrement lorsque le client entend changer d’opérateur sans respecter les formes contractuelles de résiliation. La chambre commerciale de la Cour de cassation, dans un arrêt du 25 juin 2025, apporte des précisions utiles sur l’articulation entre la clause de tacite reconduction et le mécanisme de portabilité du numéro.

Une société avait conclu le 20 décembre 2013 un contrat de fourniture de services de téléphonie et d’accès à Internet pour une durée de trente-six mois, soit jusqu’au 31 mars 2017. Les conditions générales prévoyaient une reconduction tacite pour des périodes successives de douze mois, dans le cas où le matériel téléphonique reste inchangé à l’issue de la période arrivée à échéance. Le 3 novembre 2016, la cliente a délivré un mandat de portabilité à un nouvel opérateur. Puis, par lettre du 15 septembre 2017, elle a résilié le contrat. Le fournisseur initial, estimant que le contrat avait été valablement renouvelé jusqu’au 31 mars 2018, a réclamé le paiement des sommes dues jusqu’à cette date.

La cour d’appel d’Aix-en-Provence, par arrêt du 7 décembre 2023, a condamné la cliente au paiement de 6 630 euros à titre d’indemnité pour rupture anticipée. La demanderesse au pourvoi a soutenu, d’une part, que les factures mentionnant un engagement de trente-six mois dérogeaient à la clause de tacite reconduction et, d’autre part, que le mandat de portabilité délivré avant l’échéance contractuelle valait demande de résiliation.

La question posée à la Cour de cassation était double : la mention d’une durée d’engagement dans les factures est-elle incompatible avec une clause de reconduction tacite figurant aux conditions générales ? Le mandat de portabilité délivré à un opérateur tiers produit-il effet de résiliation à l’égard de l’opérateur donneur indépendamment de toute notification ?

La chambre commerciale rejette le pourvoi. Elle retient que la mention dans les factures d’un engagement de trente-six mois n’est pas incompatible avec la clause de reconduction tacite prévoyant un renouvellement à l’issue de cette durée initiale. Elle juge ensuite que, faute pour l’opérateur donneur d’avoir été informé du mandat de portabilité avant le renouvellement tacite, la cliente restait tenue des obligations du contrat renouvelé.

L’arrêt illustre la rigueur avec laquelle la Cour de cassation apprécie tant la cohérence des stipulations contractuelles (I) que l’opposabilité du mécanisme de portabilité à l’opérateur donneur (II).

I. L’absence d’incompatibilité entre la durée initiale et la clause de reconduction tacite

A. Le rejet du moyen tiré d’une prétendue dérogation contractuelle

La demanderesse soutenait que les factures, en mentionnant un « engagement de 36 mois », contredisaient la clause de reconduction tacite des conditions générales. La Cour de cassation écarte ce moyen en le qualifiant d’inopérant. Elle relève que « la requérante ne caractérisait aucune incompatibilité entre la clause de reconduction tacite figurant dans les conclusions générales du contrat, qui prévoyait qu’à l’issue de la durée initiale du contrat, de trente-six mois ferme, les droits seraient reconduits pour une nouvelle période de douze mois, sauf dénonciation au moins trois mois avant l’échéance du contrat, et la mention, dans les factures, que le contrat était conclu pour une durée de trente-six mois ».

Cette analyse procède d’une lecture cohérente de l’économie contractuelle. La durée initiale de trente-six mois et la clause de reconduction ne s’excluent pas mutuellement. La première détermine la période d’engagement ferme, la seconde organise le sort du contrat à l’expiration de cette période. Les factures ne faisaient que rappeler la durée initiale sans nullement exclure le mécanisme de renouvellement prévu aux conditions générales.

B. L’exigence de caractérisation d’une véritable contradiction

La décision rappelle implicitement que l’interprétation du contrat doit tendre à donner effet à l’ensemble des stipulations plutôt qu’à les neutraliser. Le moyen était inopérant faute pour la demanderesse d’avoir démontré que la mention litigieuse exprimait une volonté claire d’écarter la reconduction tacite.

Cette solution s’inscrit dans la jurisprudence constante qui refuse de voir une contradiction là où les clauses peuvent être conciliées. L’article 1189 du code civil, issu de l’ordonnance du 10 février 2016, consacre d’ailleurs cette règle d’interprétation utile. La Cour de cassation maintient ainsi une approche favorable à la stabilité des relations contractuelles dans le secteur des télécommunications, où les contrats à durée déterminée renouvelables constituent la norme.

II. L’inopposabilité du mandat de portabilité non notifié à l’opérateur donneur

A. La distinction entre la manifestation de volonté et son opposabilité

La demanderesse invoquait l’article D. 406-18 du code des postes et des communications électroniques, selon lequel la demande de portabilité vaut demande de résiliation auprès de l’opérateur donneur. Elle estimait que le mandat délivré le 3 novembre 2016, soit avant l’échéance contractuelle du 31 mars 2017, avait produit effet de résiliation.

La Cour de cassation valide le raisonnement de la cour d’appel qui avait relevé que « la preuve n’est pas rapportée que la société SDI Roca en a été informée avant des courriels des 26 et 27 avril 2017, soit postérieurement au renouvellement tacite du contrat initial ». La chambre commerciale approuve cette analyse en retenant que « à défaut de résiliation notifiée avant le 31 mars 2017, le contrat s’était renouvelé par tacite reconduction ».

Cette solution distingue deux plans : la manifestation de volonté du client, qui peut résulter du mandat de portabilité, et l’opposabilité de cette volonté à l’opérateur donneur, qui suppose une information effective de ce dernier.

B. La charge de la preuve de l’information de l’opérateur donneur

L’arrêt met à la charge du client la preuve de ce que l’opérateur donneur a été informé de la demande de portabilité dans le délai utile. Cette solution peut paraître sévère au regard de la finalité du mécanisme de portabilité, conçu pour faciliter la mobilité des abonnés. Le client qui confie un mandat à l’opérateur receveur peut légitimement croire que ce dernier accomplira les formalités nécessaires.

Toutefois, la Cour de cassation maintient une analyse classique des effets du contrat. Le contrat de téléphonie liant le client à l’opérateur donneur ne peut être affecté que par un acte opposable à ce dernier. Le mandat donné à un tiers, fût-il l’opérateur receveur, ne produit pas automatiquement effet à l’égard de l’opérateur donneur tant que celui-ci n’en a pas connaissance. Cette solution incite les clients souhaitant changer d’opérateur à doubler la procédure de portabilité d’une notification directe de résiliation, surtout lorsque l’échéance contractuelle approche et qu’une clause de reconduction tacite est susceptible de jouer.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture