Chambre criminelle de la Cour de cassation, le 18 juin 2025, n°24-82.201

Par un arrêt du 18 juin 2025, la chambre criminelle de la Cour de cassation casse l’arrêt rendu le 27 février 2024 par la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Lyon. Le litige portait sur l’exclusion d’une condamnation du bulletin n° 1 du casier judiciaire, à la suite d’une réhabilitation de plein droit.

Le condamné avait été déclaré coupable le 29 janvier 2008 et condamné à dix-huit mois d’emprisonnement avec sursis et mise à l’épreuve. La juridiction avait, en outre, prononcé l’interdiction définitive d’exercer toute profession médicale ou paramédicale. La condamnation visait des faits antérieurs à l’entrée en vigueur de la réforme issue de la loi du 27 mars 2012.

Sur le fondement de l’article 798-1 du code de procédure pénale, une requête en effacement du bulletin n° 1 a été déposée le 15 juin 2021. La chambre de l’instruction a déclaré la demande irrecevable, considérant que l’interdiction complémentaire, prononcée à titre définitif et non achevée, faisait obstacle aux effets de la réhabilitation de plein droit. Le pourvoi soutenait, à l’inverse, que la réhabilitation légale avait effacé les incapacités et déchéances, conformément aux articles 133-13 et 133-16 du code pénal.

La question posée concernait la portée temporelle et matérielle de la réhabilitation de plein droit sur une peine complémentaire définitive. Plus précisément, il s’agissait de savoir si, pour des faits commis avant le 1er janvier 2015, la réhabilitation légale acquise après dix ans efface une interdiction professionnelle dite “définitive” et ouvre droit à l’exclusion de la condamnation du bulletin n° 1. La Cour répond positivement, au visa des textes applicables antérieurement à l’entrée en vigueur différée de la réforme de 2012. Elle affirme que « En statuant ainsi, la chambre de l’instruction a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé. » Elle précise surtout que « En effet la réhabilitation, acquise du fait de l’écoulement du délai de dix ans à compter de la date à laquelle la peine d’emprisonnement assortie du sursis avec mise à l’épreuve était non avenue, a entraîné l’effacement de la peine complémentaire même prononcée à titre définitif, en répression de faits commis avant l’entrée en vigueur de la loi n° 2012-409 du 27 mars 2012 ».

I. Le sens de la décision: l’effacement par réhabilitation des interdictions définitives antérieures à 2015

A. Le cadre légal et la trajectoire procédurale

La matière est gouvernée par les articles 133-13 et 133-16 du code pénal, complétés par l’article 798-1 du code de procédure pénale pour la procédure d’exclusion du bulletin n° 1. Avant la loi du 27 mars 2012, la réhabilitation légale effaçait la condamnation et ses conséquences, y compris les incapacités et déchéances. La réforme de 2012 a introduit une réserve forte, mais avec une entrée en vigueur différée.

La Cour rappelle le texte transitoire en des termes non équivoques: « L’article 13 de loi n° 2012-409 du 27 mars 2012 a ajouté au second alinéa de l’article 133-16 précité que la réhabilitation ne produit ses effets qu’à l’issue d’un délai de quarante ans lorsqu’a été prononcée, comme peine complémentaire, une interdiction, incapacité ou déchéance à titre définitif, et précise que cette disposition entre en vigueur, pour les condamnations concernant des faits commis après la publication de ladite loi, le 1er janvier 2015. » Ainsi, pour les faits antérieurs à cette date, la règle nouvelle ne contrecarre pas l’effet extinctif de la réhabilitation de plein droit.

La décision d’appel avait retenu l’irrecevabilité, motif pris de l’inexécution achevée d’une interdiction prononcée “à titre définitif”. Ce raisonnement assimilait la subsistance matérielle de la peine complémentaire à un obstacle juridique à la réhabilitation. La chambre criminelle écarte cette assimilation, conformément à la lettre des textes et au régime transitoire.

B. La solution retenue et sa justification textuelle

La Cour de cassation énonce le principe applicable à l’espèce en rappelant la date de commission des faits et la nature de la réhabilitation. L’adverbe “même” marque l’ampleur de l’effacement: l’interdiction définitive ne résiste pas au mécanisme légal lorsque le délai de dix ans est écoulé. En ce sens, la formule précitée affirme que la réhabilitation « a entraîné l’effacement de la peine complémentaire même prononcée à titre définitif, en répression de faits commis avant l’entrée en vigueur de la loi n° 2012-409 du 27 mars 2012 ».

La chambre criminelle circonscrit également la portée d’un précédent souvent invoqué. Elle souligne que « Par ailleurs, les dispositions de l’article 786, alinéa 3, du code de procédure pénale, sur le fondement duquel a été rendu l’arrêt du 28 février 2018, sont relatives aux peines prononcées à titre principal dont la réhabilitation judiciaire, et non de plein droit, est sollicitée. » La distinction entre réhabilitation judiciaire et réhabilitation de plein droit, ainsi que la nature principale ou complémentaire de la peine, devient décisive pour le régime applicable.

La cassation s’imposait donc, la chambre criminelle estimant que la juridiction d’appel a méconnu la combinatoire des textes, tels qu’ils s’appliquent à une condamnation antérieure au pivot du 1er janvier 2015.

II. Valeur et portée: clarification utile et effets pratiques

A. Correction d’une confusion jurisprudentielle

La décision entreprise s’appuyait sur un précédent relatif à la réhabilitation judiciaire et aux peines principales. La Cour de cassation prend soin de rappeler l’objet exact de cette jurisprudence et son inapplicabilité au cas d’espèce. Les juges d’appel avaient retenu qu’« Les juges, se référant à un arrêt de la Cour de cassation (Crim., 28 février 2018, pourvoi n° 16-84.441, Bull crim 2018, n° 40), ajoutent que le requérant, condamné à la peine complémentaire de l’interdiction définitive d’exercer toute profession médicale ou paramédicale, qui n’a pas fini d’être exécutée, ne peut bénéficier des effets de la réhabilitation de plein droit. » La chambre criminelle corrige cette lecture en rappelant la compétence matérielle des normes processuelles invoquées.

Cette clarification renforce la cohérence du droit transitoire, en réaffirmant la règle d’antériorité au bénéfice des personnes condamnées avant 2015. Elle évite un glissement herméneutique qui rétroagirait la rigueur du nouveau régime en dehors de son champ temporel. La ligne ainsi tracée s’accorde avec le principe de sécurité juridique et l’économie générale de la réforme de 2012.

Le rappel du périmètre de l’article 786, alinéa 3, est précieux. La Cour souligne que ce texte concerne la réhabilitation judiciaire, alors que la présente espèce porte sur la réhabilitation de plein droit. L’exacte qualification du mécanisme conditionne les effets sur les peines complémentaires. Le critère de la “définitivité” ne fait pas obstacle à l’effacement lorsque la loi transitoire ne l’exige pas.

B. Conséquences pour la réinsertion et la gestion du casier

Sur le plan pratique, la solution emporte l’effacement, par l’effet de la réhabilitation légale, d’une interdiction professionnelle pourtant qualifiée de “définitive” lorsque les faits précèdent 2015. Elle ouvre, corrélativement, la voie à l’exclusion de la condamnation du bulletin n° 1, sous le contrôle de l’article 798-1 du code de procédure pénale. La décision protège l’exigence d’un droit à l’oubli pénal après un délai substantiel d’abstinence délictuelle.

L’équilibre opéré reste mesuré. Pour les faits commis après le 1er janvier 2015, le législateur a prévu que « la réhabilitation ne produit ses effets qu’à l’issue d’un délai de quarante ans » lorsque la peine complémentaire est prononcée à titre définitif. La chambre criminelle ne remet pas en cause ce choix. Elle se borne à en respecter la date d’entrée en vigueur, ce qui exclut toute rétroactivité défavorable.

La solution contribue à la lisibilité des bulletins du casier judiciaire, en harmonisant l’effacement des condamnations avec l’extinction de leurs effets accessoires. Elle évite la contradiction qui verrait subsister une incapacité alors même que la condamnation cesse de produire ses effets par l’écoulement des délais. L’arrêt conforte, de manière pragmatique, les finalités de réinsertion et de proportionnalité.

Enfin, la portée de l’arrêt est double. Elle est d’abord normative, en verrouillant le régime transitoire de la loi de 2012 dans le champ des peines complémentaires dites “définitives”. Elle est ensuite contentieuse, en guidant les juridictions d’instruction et les parquets dans le traitement des requêtes fondées sur l’article 798-1. La formule décisive, « En statuant ainsi, la chambre de l’instruction a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé », résume cette rectification, qui rétablit l’articulation exacte entre réhabilitation légale, peines complémentaires et temporalité de la réforme.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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